27 mai 2020
La crise du Covid19 a mis un coup d’arrêt quasi-total à l’ensemble de la filière automobile avec une baisse d’activité de 80%, pour un secteur qui représente 16% du chiffre d’affaires de l’industrie en France.
Comment relancer un secteur qui se veut le fer de lance industriel français en misant sur l’électrique et l’autonome, sur un fond d’innovation dite écologique ? Le président de la République nous en donne une lecture qui pourrait laisser béat et enjoué. Mais est-ce que le plan de relance tel qu’il est proposé est fondamentalement basé sur l’innovation écologique ? Et d’ailleurs, que veut dire innovation écologique ?
Le discours du 26 mai 2020 annonce clairement les défis d’un secteur qui commençait déjà à trébucher avant même l’arrivée de la crise sanitaire. Est affichée l’ambition de trouver les « moyens de défendre le tissu industriel sur toute la chaîne de valeur, de relancer la machine et destocker et préparer demain ».
Le « Black Friday de l’automobile » est lancé
La période du confinement et la crise conduit à une estimation de près de 500.000 véhicules invendus à la fin du mois de juin 2020.
Ce qu’on ne dit pas c’est que ce « stock » est constitués de près de 50% de véhicules diesel, 45 % de véhicules essence (soit 95% des véhicules thermiques), 3% à 5% de véhicules hybrides, et 1% à 2% de véhicules électriques. Un stock de véhicules qui est donc majoritairement émetteur de polluants (même si respectant les normes en vigueur).
Ce que l’on ne dit pas non plus c’est que les réseaux de distribution font face à la dépréciation de leurs stocks. Ces véhicules invendus dans les concessions automobiles pendant près de 4 mois représentent une immobilisation de trésorerie correspondante de l’ordre de 10 milliards d’euros.
Le plan de soutien et de relance porte donc d’abord sur un premier axe : soutenir la demande, pour déstocker rapidement et massivement les invendus, pousser à la frénésie de la consommation rapidement, peu importe les usages et les utilités. Le « black Friday de l’automobile » sera ainsi lancé le 1er juin avec une prime à la conversion pour les 200.000 premiers achats à venir s’apparentant à une prime à la casse ! Et sous un fond de renforcement des primes pour les véhicules propres. Celles-ci étant doublées pour les heureux chanceux vivant et travaillant dans les « zones à faibles émissions », citadelles aux périmètres très urbains denses au sein desquels l’usage de la voiture n’est pas plus approprié que celui des modes actifs (la marche ou le vélo) ou des transports collectifs. Par contre, tant pis pour les habitants hors de la citadelle dans le périurbains, dans le rural et n’ayant pas ou peu les moyens d’avoir un véhicule propre pour se déplacer !
Au regard des non-dits, il ne s’agit pas de soutenir la demande mais d’écouler les stocks existants « quoi qu’il en coûte » par des mesures « boost » de la consommation pour écouler les 95% de véhicules thermiques invendus et les 5% de véhicules électriques ou hybrides.
Quand bien même, les véhicules neufs polluent moins, réduit-on pour autant les émissions afin d’atteindre les objectifs pieux ? Pas si sûr ! Certes les véhicules neufs sont moins polluants, mais 95% continueront à émettre (sur une durée de vie de 10 ans). Cette pollution se cumule ! Il n’y a pas de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais au mieux un ralentissement de la hausse (toutes autres choses égales par ailleurs) ! Et cela ne résout pas le problème des particules fines (frottements sur la chaussée, frottements des freins, etc …) qui n’ont que faire que le véhicule soit thermique, électrique ou autonome !
Enfin, la question plus large du recyclage – et les pollutions associées – des véhicules mis au rebut se pose, mais elle est pourtant absente dans le plan de relance.
Ainsi affirmer que « le soutien à la demande » permet de réconcilier l’objectif écologique et l’objectif économique est un leurre ! Le simple fait de le dire est une figure de style littéraire qui finit de convaincre que ce n’est pas le cas. Les découplages croissance économique et décroissance de l’empreinte du vivant est un imaginaire qui ne fait que retarder les effets sociétaux des changements majeurs à venir !
Soyez branchés massivement mais le tout électrique, ce n’est pas pour demain !
Rappelons qu’en 2019, il a été immatriculé en France pas moins de 2,2 millions de véhicules dont uniquement 42 764 véhicules électriques (données automobile-propre.com). Soit 1,9% des ventes !
L’objectif du plan de soutien et de relance est quant à lui affiché avec un objectif mobilisateur : devenir la première nation du véhicule électrique propre en Europe en portant à plus de 1 million par an sous 5 ans la production de véhicules électriques ou hybrides, et de consolider l’empreinte de ce secteur industriel. Soit un effort colossal qui devrait conduire à un bouleversement du parc automobile et des immatriculations à l’horizon 2025 avec une croissance des ventes de véhicules électriques de près de 2300 % ! En supposant que le volume total d’immatriculation des véhicules par an reste relativement stable (hypothèse par ailleurs très discutable au regard des crises économiques et sociales actuelles qui ne font que commencer), cet effort colossal ne représenterait que 50% de l’équivalent des immatriculations totale de l’année 2019 ! Dit autrement, 50% des immatriculations en 2025 seraient toujours des immatriculations de véhicules thermiques.
8 milliards d’euros sont mis sur la table par l’État français dans le pacte État-entreprises et salariés pour conduire à cette transformation profonde avec notamment des engagements forts attendus de la part des constructeurs français (PSA et Renault) qui doivent relocaliser la production et maintenir la production sur tous les sites français pour arriver à produire près de 75% à 80% des 1 million de véhicules propre dans une avenir allant de 2025 à 2040.
Autrement dit les efforts sont très importants pour l’ensemble des parties (8 milliards pour l’Etat, et une transformation lourde des constructeurs et leur filière) pour produire environ 40% des immatriculations « propre » du parc automobile de demain. Une bonne partie de la production continuera indéniablement à être thermique, et finalement pas très CO₂ compatible (quand bien même les normes sur les émissions pourront et devront être plus strictes dans les années à venir). Et sur laquelle, le plan de soutien ne se prononce pas en termes de contreparties écologiques.
Les autres formes de la voiture de demain à nuancer dans le plan de soutien
Affirmer que l’après sera le monde de la motorisation électrique et des véhicules autonome reste donc très fortement à nuancer dans le décryptage écologique du plan de relance et de soutien au secteur automobile.
Certes la croissance de la part de l’électrique est affichée, sans pour autant se préoccuper de ce que représenterait la production nationale d’électricité nécessaire pour le bon fonctionnement d’un tel parc automobile. Mais, comme nous venons de le démontrer, quand on part de très bas, les croissances ne peuvent être que très fortes au prix de milliards d’euros qui laisseront toutefois une grand part aux véhicules thermiques. Force est de constater que ce pan entier de la production de véhicules thermiques ne fait pas l’objet du changement de paradigme tant souhaité pour concilier écologie et économie dans le plan de soutien.
Quant au véhicule autonome, le mythe et l’imaginaire que l’on peut en avoir est très loin et fictif. Il ne saurait résoudre bons nombres des préoccupations sociales et environnementales.