16 octobre 2021
L’état de sidération qui était le nôtre il y a un an, lors de l’attentat djihadiste contre le professeur Samuel Paty, ne s’efface pas.
Nous appelions à un sursaut citoyen. Nous avions l’espoir que le traumatisme de la décapitation d’un enseignant d’histoire-géographie qui avait montré à ses élèves les caricatures publiées par Charlie Hebdo débouche sur plus qu’une simple prise de conscience. Qu’enfin allait se produire une remobilisation massive de la République autour de son école, de la laïcité, de la liberté d’expression. Qu’enfin un élan allait porter partout le combat contre l’islamisme radical et son idéologie totalitaire. Que plus jamais une ou un enseignant ne se sentirait seul, alors que depuis 2015 la propagande djihadiste dénonçait l’école de la République et son éducation « mécréante » en appelant à tuer des professeurs qui enseignent la laïcité.
Bien sûr, en haut, au sommet de l’État, il y a eu des proclamations solennelles, puis classiquement de nouvelles lois et l’accumulation d’annonces. Mais dans les écoles, collèges et lycées, les enseignantes et enseignants se sentent encore seuls, parfois en désarroi, pris dans des injonctions contradictoires, pas toujours soutenus par une administration timide, soucieuse d’éviter de « faire des vagues » et qui semble surtout avoir beaucoup d’autres priorités. En dépit des discours, l’école reste désemparée et ne peut régler à elle seule tous les renoncements.
Les hommages qui sont rendus aujourd’hui à Samuel Paty sont un acte de résistance contre l’horreur de la barbarie totalitaire, respectueux de sa mémoire. Ils portent aussi pour nous une exigence : celle qu’enfin la France soit à la hauteur d’un combat déterminé pour la laïcité, pour l’éducation, pour la culture, pour l’émancipation de toutes et tous.
Samuel Paty était un enseignant d’histoire-géographie comme il y en a tant. Investi dans son travail, dans sa mission auprès de ses élèves, il portait la respiration laïque de l’école. Il donnait à la jeunesse le meilleur de l’éducation nationale : partager le savoir, apprendre à raisonner par soi et contre soi, respecter l’autre, découvrir l’altérité sans que les convictions personnelles ne soient la grille d’analyse imposée.
Cette conception de la mission de l’éducation dans la République percute de plein fouet la vision utilitariste de l’école qui s’est installée depuis des années, celle de l’économisme qui place au centre de tout la croissance et la compétitivité à laquelle le système scolaire devrait préparer la jeunesse. Ce qui manque tant, c’est une rupture nette avec cette perte de sens.
L’urgence pour l’éducation n’est pas seulement dans ses moyens, l’amélioration et la reconnaissance et le statut des enseignants, elle est d’abord dans l’affirmation de ce que la République lui confie comme mission principale : la formation de citoyennes et de citoyens libres et émancipés. La transmission des valeurs de laïcité, de l’histoire, ne peut pas être séparée de l’ensemble d’un projet éducatif, ni considérée comme un simple compartiment parmi d’autres. En vérité, elle ne peut pas se réaliser dans le cadre d’un projet de société conservateur, où ces valeurs sont conjuguées au passé. Là est la contradiction fondamentale de la politique du gouvernement actuel, et sa limite.
Pour redonner un élan à l’école, il faut vouloir une société juste, féministe, laïque, antiraciste, démocratique, une République qui donne un avenir à la jeunesse et se tient debout parce qu’elle se projette dans une vision du futur au travers d’un nouvel horizon de civilisation à la hauteur des défis de l’urgence écologique.
Voilà ce qui relie à nos yeux efficacité dans la lutte contre l’islamisme radical et le projet de la République écologique que nous voulons construire, pleinement laïque et émancipatrice. Les écologistes doivent porter cette ambition avec clarté et détermination dans la campagne de 2022.
Charlotte Le Provost, Eric Poujade et Delphine Batho