06 décembre 2022
Alors que les citoyennes et les citoyens souffrent dans les TER en retard ou annulés et les RER bondés (quand ils fonctionnent), c’est sur Youtube qu’Emmanuel Macron a fait une annonce tonitruante le 27 novembre dernier : lancer 10 lignes de REM (Réseau express métropolitain) dans dix métropoles françaises.
Cette annonce, qui n’a fait l’objet d’aucune concertation au parlement, ni avec les collectivités territoriales, ni avec les usagers, relève des méthodes éculées du fait présidentiel : un mode de gouvernance patriarcal où l’hyper-président décide de tout, sans consulter personne, pour faire un « coup ». Celui-ci s’inscrit dans une stratégie de greenwashing de la politique gouvernementale dont personne n’est dupe. Car les choses sont claires : ce pouvoir n’aime pas le train. Il y a quelques jours, il a déclenché le 49-3 pour s’opposer aux 3 milliards de budget supplémentaire pour le ferroviaire votés par l’Assemblée nationale. Lors de la loi climat, il défendait la reprise de la croissance de l’aérien. Il a trainé les pieds pour effacer la « dette Covid » de la SNCF et de RFF, quand il se précipitait pour prendre en charge celle de l’aérien et de l’automobile. En fait, l’annonce présidentielle est une opération de communication politique destinée à détourner les regards de la galère quotidienne subie dans les transports, qui suscite une révolte légitime, en faisant miroiter l’horizon lointain de futures infrastructures.
Oui, il faut un plan d’urgence pour le ferroviaire, mais d’abord pour stopper l’effondrement en cours. Les trains et RER du quotidien sont depuis des décennies la victime collatérales des grands projets inutiles, Grand Paris Express, Lyon-Turin, LGV etc. À l’heure de la « fin de l’abondance », où chercher le financement de nouveaux grands projets pharaoniques ? Il est prouvé que ces grands projets se font nécessairement aux dépens des réseaux existants des petites lignes ferroviaires. La situation des réseaux des trains express régionaux est critique, en voie de détérioration massive faute d’entretien et de rénovation. Les moyens actuels alloués pour la régénération des petites lignes ferroviaires sont très insuffisants pour enrayer ces dégradations. Les défaillances font quotidiennement l’actualité. L’exemple du Grand Paris Express montre une explosion des coûts d’investissements. Initialement prévus à 19 milliards d’euros, le budget global pourrait atteindre en 2022 probablement 60 milliards d’euros. Des sommes qui, utilement investies, auraient pu pallier la dégradation de la qualité de service dans toutes les régions et organiser de nouvelles dessertes par la rénovation des réseaux.
Mais surtout, la promesse de RER métropolitains ne s’inscrit dans une vision caduque de l’aménagement du territoire dans un contexte d’urgence écologique absolue. Quels en seraient les bénéfices pour la population ? Les formules incantatoires du Président de la République appelant à plus de qualité de vie grâce aux RER métropolitains ne cachent pas les intentions productivistes poursuivant la concentration accrue des richesses, des activités économiques, financières, stratégiques, autour des centres métropolitains au détriment des territoires alentours. Il s’agit là d’étendre encore les bassins d’emploi, obligeant la population à toujours plus de déplacements quotidiens, toujours plus loin, toujours plus de fatigue physique et psychique, toujours plus d’une prétendue vitesse qui cache une perte de temps considérable dans nos vies. Les territoires « autour » des centres métropolitains ne sont considérés que comme des réservoirs de main d’œuvre jetable, d’espaces naturels artificialisables, réceptacles des déchets de la ville ; des lieux où l’on dort, mais où l’on ne travaille pas et où l’on n’a plus le temps d’y vivre ! L’espace et le temps des citoyennes et citoyens ne sont pas libérés du productivisme. Ce dernier les « privatise » encore plus vite avec les RER métropolitains.
La course à la croissance des grands projets métropolitains est celle des infrastructures consommatrices d’énergie et de matières premières, destructrices de la biodiversité. Cela va à l’encontre d’un nouvel équilibre global à rechercher, dans le respect des milieux naturels et du climat. Des RER qui renforcent la métropolisation, ne sont pas seulement une illusion ou une fausse bonne idée. Ils traduisent une vision qui est celle du monde d’avant à l’heure où il faut organiser la démobilité, ralentir, organiser la dé-métropolisation. L’avenir de la politique des transports ne doit plus être pensé seulement comme celle du « report modal », de l’automobile vers le ferroviaire, mais comme celle qui interroge et agit sur les besoins.
Une autre vision de l’aménagement du territoire s’impose donc, celle qui privilégie la proximité, économise les déplacements, s’efforce concrètement de relocaliser l’emploi là où habitent les gens. Il est temps d’entrer dans une société post métropolisation qui redonne vie à chaque territoire.
Claudine Parayre et Abel Cuvidad