14 décembre 2023
Nous avons atteint le « stade Dubaï » de la lutte contre le changement climatique. Celui de la mainmise, désormais au grand jour, des lobbys du pétrole sur le seul cadre multilatéral existant pour affronter le défi climatique. Tout, dans le déroulement et le dénouement de la 28ème Conférence des Parties sur le Climat de l’ONU (COP28), fait penser par analogie à l’essai publié par Mike Davis en 2007.
Bien sûr, le choix du pays hôte des négociations internationales faisait déjà craindre le pire. Drôle d’idée que de réunir la conférence sur le climat dans une pétromonarchie, 4ème pays producteur de l’OPEP se situant au 8ème rang des réserves mondiales. Lieu de tous les superlatifs bâtis grâce aux pétro-profits, temple de l’extravagance du consumérisme international le plus débridé, du ski indoor en plein désert, des piscines réfrigérées, et du blanchiment offshore de l’argent sale, Dubaï s’annonçait en soi comme le « lieu du crime presque parfait » pour l’industrie des énergies fossiles. Nous n’avions pas la naïveté de croire qu’en se jouant en quelque sorte « à domicile » au pays de l’or noir, cette COP pouvait déboucher sur un tournant historique en faveur du renoncement à son exploitation.
Mais rien ne nous a été épargné. Ni la présidence de la COP Climat par le Sultan Ahmed Al-Jaber, président de la première compagnie pétrolière des Émirats arabes unis, la Abu Dhabi National Oil Company. Ni les six représentants de Total membres officiels de la délégation française. Ni le courrier de mise en demeure de l’OPEP, adressé dans la dernière ligne droite des négociations, pour faire injonction de renoncer à toute mention claire de la sortie des énergies fossiles.
Au milieu de conflits d’intérêts aussi grossiers, que le texte final parle d’une « transition hors des énergies fossiles » est présenté comme une « victoire » par certains États. Ils sont soulagés d’avoir arraché de haute lutte – enfin – la mention des mots « énergies fossiles » dans un texte international sur le climat. Là où la communauté scientifique internationale est formelle depuis des décennies : les énergies fossiles c’est STOP, intégralement, et tout de suite ! On est à mille années lumière de la crédibilité face à l’état d’urgence climatique, qui frappe déjà ici et maintenant.
L’accord trouvé à Dubaï n’engage pas les États à sortir des énergies fossiles. Le texte se contente d’appeler les États à contribuer « chacun à sa manière » à des « efforts » , sans aucune contrainte ou agenda précis. Quiconque s’intéresse au contenu réel de l’accord, plutôt qu’au paravent des communiqués finaux de satisfecit, devrait lire l’analyse de l’avocat Arnaud Gossement à son sujet. Le lien entre énergies fossiles et émissions de gaz à effet de serre à l’origine du réchauffement climatique est savamment distancié dans le texte. Les États sont appelés à engager des « efforts globaux » , parlant de « transition vers la sortie des énergies fossiles » plutôt que de sortie immédiate comme le préconisent les auteurs des rapports du GIEC. Pire, lorsque le texte parle de « transition énergétique » , c’est pour transitionner du pétrole au gaz fossile… Et voilà le PDG de Total Patrick Pouyanné qui se réjouit que la stratégie de son groupe soit ainsi confortée. Last but not least, cette COP28 met en avant les énergies dites bas carbone : le nucléaire, l’hydrogène naturel et le stockage de CO2. L’extraction des ressources ne se faisant pas à la pelle, et stockage de CO2 étant une technologie énergivore très contestée, est ainsi délivré un permis de poursuivre l’extraction des énergies fossiles, sous couvert de l’hypothèse de la future capture et du stockage du carbone.
Le club de Rome, dans une lettre ouverte au Secrétaire générale des Nations Unies dénonce le fait que la COP28 a été incapable « de parvenir à un consensus sur le fait que le monde doit commencer à éliminer progressivement les combustibles fossiles ». Il demande que « les Nations unies réajustent le processus actuel de la COP pour refléter le besoin d’urgence et mettre en place une structure qui garantisse et permette de maintenir l’ambition, la mise en œuvre et la responsabilité des décisions de la COP en cette période de complexité et de polycrise croissantes ». En d’autres mots : arrêtons le blabla, mettons nous au travail. Cela implique de refonder le cadre des COP, qui reste prisonnier de l’impossibilité de remettre en cause l’obsession pour la croissance économique inscrite dans ses règles fondatrices, comme nous l’avions déjà souligné.
Après Dubaï, l’Azerbaïdjan ! La future COP29 aura lieu en Azerbaïdjan, pays membre de l’OPEP+, dont 90% des revenus d’exportations dépendent du pétrole et surtout du gaz, qui finance 60% du budget du gouvernement. De là à penser qu’il y aura une instrumentalisation de la future COP29 par l’industrie pétrolière, il n’y a qu’un pas… En fait, l’industrie des énergies fossiles, avec l’assentiment des États, ne se cache même plus de vouloir détruire l’outil qui aurait pu porter la lutte mondiale qui doit s’engager contre le réchauffement climatique.
Bref, rien n’est réglé. L’humanité ne peut dire ni ouf, ni merci. Il faut en tirer une conclusion politique. Les sempiternels débats sur les conclusions des COP (le verre est-il à moitié vide, ou à moitié plein ?) ont de moins en moins d’intérêt. Il n’y aura pas de sursaut à l’échelle internationale pour le climat sans un rapport de force politique pour l’obtenir et des États pionniers, déterminés, volontaristes, pour agir et non se contenter de discours dans les cercles diplomatiques. Pas plus qu’il n’y en aura sans s’attaquer aux causes du problème, à savoir la course à la croissance basée sur l’extractivisme, plutôt qu’aux seuls symptômes.
Abel Cuvidad et Cécile Faure