Alerte sur l’avenir de la Méditerranée

01 février 2025

Particulièrement vulnérable, le bassin méditerranéen, un des dix plus importants hotspots de la biodiversité mondiale, est en situation de destruction massive du fait des activités humaines. Dans ce contexte, l’étude prospective “La Méditerranée à l’horizon 2050” (dit « MED2050 ») alerte sur les conséquences des tendances lourdes à l’oeuvre actuellement et plaide pour une transformation majeure. Gérard Le Bars nous en présente un résumé.

Cette étude a été publiée le 16 janvier dernier par le Plan Bleu, crée en 1977 par la France pour contribuer au Plan d’Action pour la Méditerranée (PAM) du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Le rôle de cet organisme est de produire des études pour les décideurs et les sociétés civiles de tous les pays méditerranéens.

Le rapport MED2050 a pour objectifs, compte tenu des menaces croissantes, d’anticiper les évolutions des écosystèmes méditerranéens, d’identifier les risques majeurs de crises et de ruptures et de proposer des transitions vers la résilience.

Grâce à des scénarios prospectifs, le rapport analyse tous les aspects climatiques, géopolitiques, culturels et politiques envisageables, pouvant impacter significativement le bassin méditerranéen. La démarche repose également sur le travail d’experts d’une vingtaine de pays, ainsi que la consultation de nombreuses personnalités qualifiées et de jeunes.

Le constat est édifiant et les perspectives probables à l’échéance de 2050 sont dramatiques :

  • La région méditerranéenne est la deuxième région du monde qui se réchauffe le plus rapidement, après l’Arctique : + 1,5 °C pour la température de l’air par rapport à l’ère préindustrielle en 2020, + 2,3 °C en 2050 d’après les projections des experts méditerranéens, une hausse de 40 cm du niveau de la mer est prévue dès 2040 avec une température maritime moyenne en hausse de 1,2 °C.
  • Sa population devrait passer de 522 millions d’habitants à environ 630 millions, soit une croissance de 20 %. L’augmentation se produira essentiellement dans le sud et l’est du bassin, qui sera de plus en plus urbanisée.
  • La ressource halieutique ne pourra se maintenir que si l’aquaculture se développe de manière importante. L’écosystème marin va se “tropicaliser”, subir des canicules marines et 20 % des espèces endogènes risquent de disparaître.
  • Espace maritime déjà le plus pollué au monde par les plastiques, la Méditerranée devrait connaître une pollution de ce type multipliée par 1,5 ou 2.
  • La quasi-totalité du bassin connaîtra des sécheresses, mais plus particulièrement le sud et l’est du bassin. Le cycle de l’eau sera intensifié : plus d’évaporation, précipitations accrues mais très locales laissant certaines régions sujettes à un manque d’eau important pendant de longues périodes.
  • Les besoins en énergie devraient exploser, en hausse de près de 40 %, essentiellement dans le sud.
  • Toutes les activités vitales devraient donc être impactées : besoins en eau, agriculture, alimentation, énergie, transport, avec des impacts socio-économiques considérables et difficilement maîtrisables.

Ces tendances, sans être complètement acquises, sont très lourdes et leurs probabilités de réalisation fortes.

Cependant, des incertitudes politiques, géopolitiques, économiques et culturelles sont plus volatiles, pourraient malgré tout influer sur ces tendances lourdes. La situation au Moyen Orient, les relations entre l’Europe et l’Afrique du Nord, les perspectives de coopération avec la Chine et/ou l’Afrique non littorale de la Méditerranée impacteront largement la stabilité ou l’instabilité de la région. Quatre catégories de ruptures sont évoquées :

  • Un bouleversement écologique “allant très au-delà de ce qui est actuellement prévu en raison de l’occurrence de plusieurs « points de basculement » qui accélérerait radicalement la vitesse du changement climatique” ;
  • De grands changements géopolitiques, peu probables à l’heure actuelle : paix durable au Moyen Orient, démondialisation, union des pays du Maghreb, Assemblée méditerranéenne,… ;
  • Une prise de conscience de l’importance des changements climatiques et de la pollution et la mise en œuvre de politiques ad hoc ;
  • Une évolution des modes de vie grâce à l’arrivée aux responsabilités de nouvelles générations et à l’accélération de l’accès des femmes au travail dans les pays du Sud.

Sur cette base, MED2050 présente 6 scénarios de trajectoire possible allant du « business as usual » et de la gestion chaotique de crises successives, à la transformation pour la résilience :

Le scénario 1 “inertie” entraînera la prolongation des tendances actuelles par l’absence de décisions structurantes (business as usual). La dégradation des écosystèmes se poursuivra ; les inégalités continueront de s’aggraver ; les tensions sociales se renforceront ; les flux migratoires internes et externes au bassin continueront d’augmenter. Les éventuelles explosions sociales pourront, peut-être, être évitées par des actions gouvernementales ponctuelles, forcément limitées par des dettes étatiques devenues chroniques dans un contexte de croissance faible notamment dans le nord du bassin.

Le scénario 2 “choc des crises et adaptations forcées” est probablement le plus catastrophique avec une succession de crises par effet domino. Les États essaieront de s’adapter dans l’urgence, de plus en plus difficilement. Les infrastructures se dégraderont et nombre de projets seront abandonnés. Cependant, la déficience du niveau central pourra entraîner une certaine organisation locale reposant sur des solidarités territoriales, avec la conséquence possible de replis nationalistes ou régionalistes.

Le scénario 3 “croissance à tout prix” se place dans un contexte de croissance économique érigée en principe, avec une marche forcée vers un libéralisme forcené. Cela entraînera une fragmentation de la Méditerranée avec le résultat d’un « chacun pour soi » au niveau des Etats et des individus. Les ressources terrestres et marines seront exploitées à outrance de façon intensive, conduisant à un “heurt frontal” avec les limites planétaires.

Les trois autres scénarios laissent un peu plus d’espoir : 

Le scénario 4 “partenariat euro-méditerranéen” repose sur une coopération multilatérale réussie entre l’Union européenne et les autres pays méditerranéens dans la perspective d’une “transition bleue-verte” alliant écologie et économie, fondée sur la technologie et les incitations économiques. Dans ce cas, les crises font l’objet de prises en compte durables en collaboration étroite avec les pays du Nord. Cependant, le techno-solutionnisme montrerait rapidement ses limites…

Le scénario 5 “un autre modèle de développement durable” est spécifiquement méditerranéen, avec ici aussi la mise en œuvre de solutions durables impliquant des transformations profondes des modes et conditions de vie locales, et des modes de gouvernance beaucoup plus collaboratifs, dans le respect des ressources vitales terrestres et marines. Ce modèle pourrait prendre valeur d’exemple à l’échelle mondiale.

Le scénario 6 “la Méditerranée, bien commun mondial” a pour point de départ une dégradation extrême qui provoque une forte réaction, élevant la Méditerranée au niveau de bien commun mondial. Il ne pourrait se réaliser que dans le cadre d’une gouvernance commune respectueuse des biens communs (marins, terrestres, atmosphériques) avec une forte régulation.

Les analyses du Plan Bleu montrent que le bassin méditerranéen risque d’être en 2050 dans une situation alarmante, bien plus qu’aujourd’hui. Les scénarios envisagés montrent que le laisser-aller ou le libéralisme à outrance ne peuvent conduire qu’à des catastrophes écologiques et sociales. La politique des petits pas ne pourra pas non plus résoudre le problème. MED2050 plaide pour une transformation majeure. Des solutions de ruptures sont indispensables dans les modes de vie et dans le respect de la nature, mais le rapport considère qu’elles ne pourront probablement intervenir qu’à la suite de crises récurrentes non maîtrisées. “Il n’y a guère d’autres choix possibles que le volontarisme et la définition de chemins de transition” affirme-t-il dans sa conclusion. 

Gérard LE BARS