Loi Duplomb : un permis de tuer les pollinisateurs

29 avril 2025

On vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, mais que ceux de plus de 50 ans ont bien connu. Ce temps où sur la route des vacances, il nous était impossible de faire 100 km sans être obligés de s’arrêter pour nettoyer le pare-brise, celui où des milliers d’insectes s’écrasaient sur le pare-choc de nos voitures.

Quand « Printemps silencieux » fut publié en 1962, Rachel Carson alertait sur les dangers du DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane) cet insecticide-acaricide découvert à la fin des années 1930 dont les effets sur les insectes (effondrement de la population) et par prolongement, sur les oiseaux et sur les humains, sont aujourd’hui démontrés : cancers du sein, infertilité, maladie d’Alzheimer… Elle avait déjà raison, mais il aura fallu presque 50 ans aux politiques pour enfin interdire son utilisation dans l’agriculture. 

Plus récemment, Stéphane Foucart  publiait “Et le monde devint silencieux” pour montrer comment l’industrie des pesticides a orchestré cet effondrement de la biodiversité… Au nom de l’argent.

On le sait. Tout le monde le sait ! Et le sénateur Laurent Duplomb (Les Républicains) le sait aussi. En proposant de revenir sur l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes, il organise un écocide silencieux des abeilles sauvages, papillons, bourdons ou syrphes qui vont mourir sous le feu de l’industrie et de ses lobbys. Mais pas que.

Les lobbys de l’agrochimie peuvent compter sur lui pour proposer généreusement une loi visant à « simplifier » l’utilisation des produits “phytosanitaires“ en France pour “lever les contraintes du métier d’agriculteur”, ou, comme il le dit si bien, “désherber les normes” (2:00). 

De tels retours en arrière nous réservent un bien funeste destin !

Factuellement, que contient cette loi Duplomb ?

En réalité, cette loi introduit de graves régressions environnementales et menace directement l’apiculture et la biodiversité :

  1. Ré-autorisation de pesticides toxiques : Retour des néonicotinoïdes très dangereux pour les abeilles (acétamipride, sulfoxaflor, flupyradifurone). Ces molécules sont connues pour provoquer désorientation, affaiblissement et mort massive des abeilles mais pas que puisque tous les pollinisateurs en seront victimes.
  2. Conseil agricole biaisé : Permet aux vendeurs de pesticides de redevenir conseillers agricoles. Ce serait un énorme conflit d’intérêts, car ils pourraient pousser à l’achat de produits chimiques sans souci écologique.
  3. Autorisation d’épandage par drones : Introduction de drones pour pulvériser des pesticides, sans garanties suffisantes sur la protection des riverains, des pollinisateurs, ni sur la dérive des produits.
  4. Pressions politiques sur l’Anses : L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) verrait ses travaux de contrôle des pesticides sous supervision gouvernementale, mettant l’intérêt économique avant la santé publique et environnementale.

Conséquences si elle est votée ? C’est la fuite en avant !

  • Biodiversité en danger : abeilles, papillons, oiseaux… tout l’écosystème serait fragilisé.
  • Pollution accrue : sols, eaux, aliments.
  • Santé humaine menacée : exposition accrue aux résidus de pesticides.
  • Affaiblissement des agriculteurs bio : concurrence déloyale pour ceux qui respectent la nature.
  • Inquiétudes pour l’avenir de l’apiculture : production de miel en chute libre, mortalité accrue des colonies d’abeilles et disparition des 63000 apicultrices et apiculteurs Français. 

Par cette proposition de loi, l’agriculture et l’apiculture sont mises en opposition, et c’est une grave erreur.

Réintroduire les néonicotinoïdes serait dévastateur pour l’ensemble de notre agriculture

Les insectes pollinisateurs sont la garantie de notre souveraineté alimentaire. Nous devons les protéger !

  1. Ils sont essentiels à l’agriculture : 75 % des cultures alimentaires mondiales dépendent au moins en partie de la pollinisation (fruits, légumes, oléagineux, etc.). Sans pollinisateurs, les rendements agricoles chuteraient drastiquement.
  2. Ils sont les garants de la biodiversité : Ils permettent la reproduction de 80 % des espèces de plantes sauvages. Sans eux, de nombreuses plantes disparaîtraient, entraînant un effondrement des écosystèmes.
  3. Ils protègent notre alimentation : Les pollinisateurs contribuent à la variété et à la qualité nutritive de notre alimentation : vitamines, antioxydants, fibres.
  4. Ils fournissent des services gratuits : Leur travail naturel de pollinisation est estimé à 153 milliards d’euros par an dans le monde. Remplacer leur action coûterait bien plus et serait bien moins efficace.
  5. Ils assurent la santé des sols : En favorisant la diversité végétale, ils renforcent la fertilité des sols et aident les écosystèmes à mieux résister aux sécheresses et aux changements climatiques. 

Réintroduire les néonicotinoïdes condamnerait à mort l’apiculture française

Selon l’UNAF, les récoltes de miel en 2024 ont encore diminué de 40% par rapport à 2023. À peine 12.000 tonnes de miel produites alors que la consommation en France dépasse les 45 000 tonnes.
Dans certaines régions, et particulièrement le Centre et l’Est de la France, la production a chuté de plus de 70%. 

Or la production totale de miel, initialement de l’ordre de 35.000 t/an a été divisée par deux depuis le milieu des années 90, époque d’apparition des néonicotinoïdes

L’interdiction des néonicotinoïdes a bien permis une stabilisation de la production de miel, mais celle-ci connaît de fortes variations annuelles et n’est jamais revenue à ses niveaux d’avant-introduction du neurotoxique.

Les raisons ? La persistance des pesticides et herbicides dans les milieux d’une part, et de nombreux autres nouveaux périls d’autre part, tous induits par l’activité humaine : perte d’alimentation -diminution de la variété florale et réduction du nombre de plantes mellifères-, introduction d’espèces exotiques invasives (varroa, frelon asiatique -dont 1 colonie peut dévorer jusqu’à 11 kg d’insectes en une saison), perte d’habitat pour l’ensemble des pollinisateurs (moins de haies, plus de forêts en monoculture), changement climatique (plus de pluies intenses en période de récolte du nectar, plus de périodes sèches en été…), etc…

Alors que la consommation française de miel reste stable (~45.000 t par an), chaque ruche qui disparaît, c’est du miel importé en plus, à la qualité moins contrôlée et aux kilomètres parcourus accrus.
Là où la France affichait une auto-suffisance à 75%  avant les néonicotinoïdes, elle ne produit plus que 15 à 30% de ses besoins annuels. 
A l’heure où des questions stratégiques de souveraineté alimentaire se posent, et que dans 78% des cas analysés par l’ANSES, au moins une solution alternative non chimique aux néonicotinoïdes existe, est-il bien sérieux de vouloir réintroduire un poison promettant son effondrement ?

Personne ne s’y trompe.

Cette loi, les Françaises et les Français n’en veulent pas ! 

Dans un récent sondage IFOP pour Générations Futures d’avril 2025, il ressort que :

  • 83% des français disent NON au retour des néonicotinoïdes 
  • 78 % des personnes interrogées se prononcent également en faveur d’une interdiction des pesticides dangereux même lorsque aucune solution « économiquement viable » n’existe pour les remplacer. 
  • Les français sont massivement opposés à toute mise sous tutelle de l’ANSES dans le domaine des autorisations de pesticides, au retour des insecticides néonicotinoïdes ou au maintien en marché de pesticides dangereux en cas d’absence de solutions alternatives.

C’est pour toutes ces raisons que nous étions présents lors des mobilisations organisées partout en France par les organisations syndicales d’apiculture les 5 et 27 avril derniers et que nous continuerons de nous mobiliser à chaque occasion. A ce titre, nous vous donnons RDV le 17 mai prochain pour la grande manifestation contre l’agro-chimie (organisée notamment par Combat Monsanto).

La proposition de loi du sénateur Laurent Duplomb menace directement l’avenir de l’apiculture, de notre souveraineté alimentaire et de la biodiversité en introduisant des régressions majeures sur la réglementation des pesticides. 

La France est déjà l’un des plus grands utilisateurs de pesticides en Europe. Cette proposition de loi, soutenue par la FNSEA, favoriserait encore leur usage, malgré leurs effets graves sur la santé humaine, la biodiversité et la qualité des eaux et des sols.
Les néonicotinoïdes, interdits en 2018 pour leur dangerosité vis à vis des abeilles, pourraient revenir. Cette course à la productivité compromet notre santé et celle des générations futures. À l’inverse, l’agroécologie prouve qu’une agriculture respectueuse de l’environnement est possible ; c’est cette voie que nous appelons à soutenir.

Déjà approuvée par le Sénat, la date de passage de la loi à l’Assemblée nationale approche : le 12 mai en Commission et le 26 mai 2026 en séance plénière. Nous ne la laisserons pas passer !

Gaelle RICQUEBOURG et Hélène RICHET (Génération Écologie Gironde)