LA DÉCROISSANCE : POURQUOI ET COMMENT ?

06 septembre 2021

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POURQUOI ?

1. Constat implacable n°1 : la poursuite de la croissance du PIB est incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation du vivant

La croissance du PIB est dépendante de la croissance de la consommation de matières et d’énergie et in fine d’émissions de gaz à effet de serre.

Par conséquent, la croissance du PIB est devenue l’indicateur de la vitesse d’effondrement des écosystèmes et du réchauffement climatique. Dans le système économique de la croissance, la création de valeur dépend directement de la destruction de la nature.

Source : AFP

Une croissance infinie dans un monde fini est physiquement impossible. Poursuivre cet objectif conduit à des risques d’effondrements. Dès 1972, le rapport Meadows sur « les limites à la croissance » a mis en évidence ces risques. Depuis 2009, des scientifiques (du Stockholm Resilience Center) ont défini le concept de limites planétaires. Celles-ci délimitent l’espace de sécurité pour la survie de l’humanité sur Terre, fondé sur onze processus naturels qui, ensemble, régulent la stabilité et l’habitabilité de la planète. Cinq limites sont d’ores et déjà franchies : l’érosion de la biodiversité, le changement climatique, le changement d’usage des sols, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore. Deux autres seront dépassées d’ici 2050 : l’acidification des océans et l’utilisation d’eau douce. L’empreinte écologique des activités humaines est actuellement supérieure à la biocapacité de la Terre. L’humanité consomme l’équivalent de 1,7 planète chaque année, et si tout le monde avait le même mode de vie que celui que nous connaissons en France, cette empreinte serait équivalente à 2,7 planètes. Or il n’y a pas d’avenir pour l’humanité sans revenir à un modèle de société qui respecte les limites planétaires.

Le premier volet du 6ème rapport du GIEC publié le 9 août, et plus encore les catastrophes climatiques qui se multiplient cet été aux quatre coins du monde, prouvent que la poursuite de la croissance mène au chaos et conduit – désormais à court terme – à une menace inédite et en grande partie irréversible pour la sécurité des populations. De même, la voracité dans la prédation des ressources, la déforestation, la bétonisation et l’artificalisation des sols, l’agriculture industrielle et chimique, provoquent un effondrement vertigineux de la biodiversité.  

Au regard de ces faits, les partis qui proposent de poursuivre la croissance économique « comme si de rien n’était », recommandent en fait un suicide collectif : ils proposent d’aggraver les causes du changement climatique et de l’extinction de la biodiversité. Alors que nous allons dans le mur, ils nous invitent à appuyer sur l’accélérateur. Notre maison brûle, et ils proposent d’éteindre l’incendie avec un lance-flamme ! Il en va de même de toutes les sornettes sur la « croissance verte » ou de « l’écologie de production » qui sont des oxymores et des impostures au regard des données physiques sur le lien entre augmentation de la consommation d’énergie et de matière et croissance économique. Aujourd’hui, la croissance apparaît bien comme le problème. Elle n’est pas la solution. Un « découplage » absolu, total, mondial, rapide et pérenne, entre croissance du PIB et énergie, ou entre croissance et émissions de gaz à effet de serre, n’a jamais été constaté et aucun miracle technologique ne rend une telle perspective crédible dans l’horizon du temps de la « fenêtre d’action » limitée à une décennie qui découle du rapport du GIEC. Sans même parler des quatre autres limites planétaires déjà dépassées, qui peut croire qu’il est possible de diviser par 2 nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 9 ans, et par 6 ou 8 en 30 ans, en poursuivant l’objectif de hausse du PIB ? 

« Vous ne parlez que de croissance économique verte et durable, parce que vous avez très peur d’être impopulaires. Vous ne parlez que de poursuivre les mêmes mauvaises idées qui nous ont mis dans cette situation, alors que la seule réaction logique à faire est de tirer sur le frein à main. Vous n’êtes pas assez matures pour dire les choses comme elles sont. » résumait très justement Greta Thunberg à la COP 24 en 2018.

2. Constat implacable n°2 : la croissance ne fait pas le bonheur, au contraire, elle est synonyme d’explosion des inégalités et de frustrations

La promesse d’amélioration de la vie par la croissance du PIB, constamment renouvelée à chaque élection, basée sur le triptyque « croissance = emplois = redistribution des richesses » est démentie par les faits depuis les années 70, sauf pour les 1 à 5% des plus riches. Cette promesse prospère sur une mythologie : celle du prétendu âge d’or des « Trente Glorieuses », fondé sur la forte croissance de la consommation des énergies fossiles et qui cachait un envers du décor : la « grande accélération » dans la destruction de la nature.

La croissance du PIB repose ET sur la destruction de la nature ET sur l’exploitation des humains. Elle est par nature inégalitaire (à l’échelle internationale entre pays, comme au sein des pays). L’augmentation des PIB et l’augmentation indécente des inégalités sont liées.

La croissance n’est plus, depuis des décennies, créatrice d’emplois, mais de précarité́, d’augmentation de la pauvreté́. La corrélation entre croissance du PIB et emplois n’est plus constatée depuis 10 ans dans tous les pays de l’OCDE, les années 2000 aux Etats-Unis, 20 ans dans la Zone Euro, 10 ans en France … 80% de la croissance bénéficie à une infime minorité de la population. En France, ces dernières années, le PIB a augmenté quand le « pouvoir d’achat » baissait. C’est aussi au nom de la croissance qu’ont été délocalisées nombre d’industries. Le lien entre croissance et financement de la protection sociale, souvent énoncé pour justifier le bien fondé de l’objectif de « croître » est lui aussi contestable : l’État providence et la Sécu ont précisément été créés lors de périodes de croissance faible ; la croissance forte ou modérée de ces dernières années n’a pas empêché la réduction de l’état social, mais a au contraire servi à la justifier ; la croissance joue un rôle marginal comparé aux paramètres structurels des politiques sociales (démographie, partage de la valeur ajoutée, niveau d’éducation, état de santé de la population…) ; enfin le ruissellement n’existe pas !

C’est au nom de la croissance à tout crin et de l’efficacité économique que les inégalités ont été inscrites dans la géographie des territoires et minent désormais le modèle républicain : grands ensembles ségrégués aux cadres de vie dégradés, territoires ruraux relégués, fermetures de services publics dans les territoires « non rentables », fuite en avant dans le « grand » et concentration des richesses dans les métropoles embouteillées, standardisation et uniformisation des paysages urbains qui enlaidissent la France (centres commerciaux, zones d’activités, ronds points…). 

Le PIB ne dit rien du bien-être et du bonheur de la population. La poursuite de la croissance à tout prix repose au contraire sur l’organisation d’une frustration permanente, créant des besoins artificiels, alimentés par la publicité, dans une société d’hyperconsommation justifiant en permanence la production de nouveaux biens et l’obsolescence prématurée de ceux qui existent. Le productivisme et le consumérisme aboutissent à une société vide de sens. Ils valorisent l’égoïsme, déshumanisent nos vies quotidiennes, menacent le lien et la cohésion sociale, et in fine ne nous rendent pas heureuses et heureux (addictions, antidépresseurs, suicides…). De nombreuses études ont démontré qu’au-delà d’un certain revenu et de ce qui est vraiment nécessaire pour vivre correctement, le bien-être stagne. Notre bonheur dépend en fait d’abord de la qualité de la relation avec nos proches, des relations humaines et des liens sociaux. Contre cette culture de l’individualisme et de la compétition, la décroissance vise à construire une société de la fraternité et de la sororité, conviviale et solidaire, où chacune et chacun s’épanouit parce qu’il existe un horizon collectif au travers de la préservation des biens communs.

3. Constat implacable n°3 : l’objectif de la croissance est le principal obstacle à la transformation écologique 

À la question sur les « points de blocage » à l’action pour le climat et l’écologie, la Convention Citoyenne pour le Climat a répondu que « l’obsession pour la croissance » était le principal frein.

C’est en effet au nom de la croissance, et de la priorité à l’économie qui la sous-tend comme du chantage à l’emploi, que TOUTES les décisions écologiques qui s’imposent sont refusées, différées, vidées de leur substance. Santé environnementale, pesticides, pollutions industrielles, pollution de l’air en particulier liée à l’automobile, élevage industriel et maltraitance animale, dépendance aux énergies fossiles, artificialisation des terres, grands projets anachroniques et destructeurs… à chaque fois c’est l’argument de la priorité à la croissance qui est opposé aux décisions de bon sens qui devraient être prises depuis longtemps.

4. Constat implacable n°4 : depuis longtemps des économistes appellent à rompre avec l’indicateur PIB et à sortir de la croissance

La croissance du PIB est indifférente à la qualité des activités humaines. C’est un indicateur inopérant pour relever les défis du 21ème siècle.

L’indicateur Produit Intérieur Brut date d’une autre époque. Il a été conçu dans les années 30 et est devenu l’indicateur économique international de référence à la conférence de Bretton Woods en 1944, dans le contexte de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il traduit le consensus productiviste d’alors. Il relève aussi d’une conception patriarcale : inventé par des hommes, il attribue une valeur marchande aux activités domestiques stéréotypées comme étant masculines (ex : le bricolage) mais pas aux activités stéréotypées féminines (faire le ménage, la cuisine, s’occuper des enfants…) et consacre ainsi l’invisibilité du « travail gratuit » des femmes. 

Dans un discours en mars 1968, Robert Kennedy, candidat à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle américaine, expliquait parfaitement en quoi cet indicateur ne veut rien dire du bien être humain : « Notre PIB prend en compte, dans ses calculs, la pollution de l’air, la publicité pour le tabac et les courses des ambulances qui ramassent les blessés sur nos routes. Il comptabilise les systèmes de sécurité que nous installons pour protéger nos habitations et le coût des prisons où nous enfermons ceux qui réussissent à les forcer. Il intègre la destruction de nos forêts de séquoias ainsi que leur remplacement par un urbanisme tentaculaire et chaotique. Il comprend la production du napalm, des armes nucléaires et des voitures blindées de la police destinées à réprimer des émeutes dans nos villes. Il comptabilise la fabrication du fusil Whitman et du couteau Speck, ainsi que les programmes de télévision qui glorifient la violence dans le but de vendre les jouets correspondants à nos enfants. En revanche, le PIB ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. Il ne mesure pas la beauté de notre poésie ou la solidité de nos mariages. Il ne songe pas à évaluer la qualité de nos débats politiques ou l’intégrité de nos représentants. Il ne prend pas en considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. Il ne dit rien de notre sens de la compassion ou du dévouement envers notre pays. En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue ».

On ne compte plus le nombre de publications universitaires d’économistes, mais aussi de rapports de grandes institutions (OCDE, FMI, PNUE, PNUD, Commission Européenne…) appelant d’une façon ou d’une autre à dépasser, rompre, modifier, sortir de l’indicateur PIB, et ce depuis des années, en particulier depuis le rapport Stiglitz de 2009 sur « la mesure des performances économiques et du progrès social ». Dernièrement, le rapport de l’Agence Européenne pour l’Environnement « La croissance sans la croissance économique » publié en janvier 2021 confirme officiellement que le « découplage » entre croissance du PIB d’une part, et consommation de ressources et pressions environnementales d’autre part, n’adviendra probablement jamais, que la croissance ne réduit pas les inégalités, et qu’il faut changer totalement de perspective.  

Selon l’économiste Eloi Laurent « Nous sommes entrés dans l’âge politique de la critique de la croissance ». « C’est un fait : la contestation du Produit interieur brut (PIB) comme mesure pertinente du bien-être humain et horizon rationnel des politiques publiques n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui ». 

COMMENT ?

5. Qu’est-ce que la décroissance ?

La décroissance est un mouvement volontaire et organisé de réduction progressive de la consommation d’énergie et de matières premières pour revenir au respect des limites planétaires en améliorant le bien-être humain.

Autrement dit, il s’agit de rétablir un équilibre entre d’un côté les nécessités humaines et de l’autre les nécessités de la préservation de la biodiversité, du climat, et de leur bon fonctionnement. Dans une politique de décroissance, chaque décision est fondée sur la recherche de cet équilibre, dans tous les domaines (écologie intégrale). Les choix de redirection écologique sont débattus démocratiquement. La méthode est celle du dialogue, de la concertation, de la mobilisation des partenaires sociaux autour d’objectifs écologiques.

Elle implique la réduction des inégalités (entre les pays et en leur sein) puisque l’extrême concentration des richesses par quelques-uns, érigée en standard de référence par la société d’hyperconsommation, contredit le respect des limites planétaires autant que ce qui est vraiment nécessaire à l’épanouissement humain.

L’économiste Timothée Parrique définit ainsi la décroissance comme « la réduction planifiée et démocratique de la production et de la consommation dans les pays riches, pour réduire les pressions environnementales et les inégalités, tout en améliorant la qualité de vie ». Elle présente quatre caractéristiques :  l’impératif écologique, la justice, le bien-être et la démocratie.  

Une politique de décroissance implique en premier lieu de ne plus bâtir le budget de la nation sur un objectif de croissance du PIB mais sur des objectifs liés à des indicateurs de bien-être humain (tel que le niveau d’éducation, la part de la population en pleine santé, la satisfaction au travail, la réduction de la pauvreté, l’indice de résilience nationale etc.) et de bien-être de la nature. Ce sont des réformes que certains pays commencent à engager (Nouvelle-Zélande, Finlande). 

La décroissance, ce n’est pas la récession (croissance négative), laquelle se produit lorsque les économies basées sur la croissance du PIB entrent en crise, avec des conséquences sociales dramatiques. Une politique de décroissance ne vise pas à diminuer le PIB comme objectif en soi. C’est un projet de société qui rompt avec le totem de la croissance. Il s’agit en réalité de nous désintoxiquer de la croissance devenue aujourd’hui le seul objectif, pour ouvrir l’horizon à un nouvel imaginaire et à un nouvel objectif : se conformer aux limites planétaires et vivre mieux ensemble. La décroissance permet de redevenir des Terriennes et des Terriens, de construire l’économie au service d’objectifs de bien-être définis démocratiquement, de développer les activités en fonction de leur utilité ou de leur contribution positive à la société et au bien commun.

La décroissance n’est donc pas une sorte de « retour à l’âge de pierre » comme la caricaturent ses détracteurs. Elle est au contraire synonyme de progrès, d’ingéniosité, d’inventivité, par exemple pour concevoir des biens beaucoup plus durables, réparables, à très longue durée de vie, et dont l’usage est socialement utile. Dans les entreprises, elle implique de la recherche et développement visant à développer des process sobres en énergie et en matières premières, donc plus efficaces.

La décroissance, c’est plus de travail et d’activités. C’est un modèle plus humain et plus juste. Contrairement aux clichés matraqués par l’idéologie dominante, la décroissance n’est pas synonyme de moins d’emplois, au contraire, c’est un projet de société riche en emplois, équilibrée et socialement juste. La réorganisation complète de notre modèle de société demandera beaucoup d’énergie humaine et de travail, notamment pour sortir des énergies fossiles qui représentent 80% de la consommation actuelle. La décroissance reconnaît que certaines activités économiques ne sont pas viables dans le cadre du respect des limites planétaires (exemples : l’élevage industriel, une part du transport aérien, la fabrication et utilisation de pesticides de synthèse etc.), vise à mutualiser les conséquences de l’organisation de la fin ou de la réduction de ces activités (sécurité sociale écologique), mais permet aussi la préservation et la création d’emplois par la valorisation de l’économie réelle de proximité (exemple : mettre fin au modèle des grands entrepôts Amazon et à la livraison par avion en 24 heures, pour défendre la production et le commerce de proximité, est mauvais pour le PIB mais nuit beaucoup moins au climat et préserve beaucoup plus d’emplois !). La décroissance est synonyme de relocaliser des emplois. Réparer, recycler, rechercher de nouveaux moyens plus écologiques de produire permet de créer de nombreux emplois, de même que passer à une agriculture biologique et agroécologique.

La décroissance, c’est plus de relations sociales, plus de solidarité́ et de convivialité́, plus de réemploi, plus de réparation, plus de travail humain, plus d’inventivité́ pour les entreprises, plus de relocalisation de l’économie, plus de temps pour soi, plus de culture, plus d’éducation, plus de plaisir, plus de bien-être, plus de sens. Vivre mieux avec moins de stress, plus de beauté, de calme et de silence, et un esprit moins encombré, moins fatigué par les heures de sommeil qui nous manquent et qui pèsent sur notre quotidien, sur notre humeur et favorisent la dépression. La décroissance c’est redonner du sens à nos vies, retrouver le sens de l’essentiel.

6. Les écologistes doivent clairement assumer la décroissance

Le clivage croissance / décroissance est le cœur du débat politique sur l’écologie car c’est celui qui porte sur la cause de la trajectoire actuelle de destruction, et s’attaque donc à la racine du problème. Il est donc indispensable de porter et d’assumer la confrontation politique sur ce terrain.

Tous les partis politiques, sans exception, sont prisonniers du consensus entre libéraux et marxistes autour du productivisme. Depuis des décennies, l’ensemble du débat politique tourne autour de la croissance, c’est à qui mieux mieux des solutions pour la relancer. Lors des dernières élections présidentielles, absolument tous les projets étaient basés sur une augmentation de la croissance. Dans les visions socialistes ou d’inspiration keynésienne, il faut que la « taille du gâteau » des richesses augmente pour mieux les redistribuer. Dans cette perspective, l’investissement écologique est un levier de relance de la croissance de l’économie, ce qui revient à une politique de croissance verte inopérante pour combattre le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité (cf. point 1). Le projet écologiste n’est pas compatible avec ces approches.

Adhérer à l’obsession pour la croissance, c’est accepter ce qui a servi de prétexte aux politiques d’austérité et de réduction des dépenses publiques qui ont dramatiquement appauvri l’État et les services publics, et ont réduit leurs capacités d’action face aux catastrophes actuelles et à venir (pandémie, événements climatiques…). En effet, le triptyque « croissance du PIB, chômage, dette » apparu depuis le choc pétrolier des années 70 est une spirale infernale. Buttant sur les limites physiques de la croissance (le pétrole plus coûteux provoquant une moindre consommation d’énergie et donc une moindre croissance du PIB et l’apparition du chômage de masse), l’endettement public et privé a massivement pris le relais pour maintenir coûte que coûte le rythme de la croissance, aggravant l’instabilité d’un modèle basé sur le « toujours plus » et les bulles spéculatives (crise financière). Cette politique s’est avérée sans succès sur le front du chômage et a enclenché la spirale de l’austérité (réduction des déficits au nom du nécessaire retour de la croissance). C’est la croissance qui mène à l’austérité et à la paupérisation, et non la décroissance !

La décroissance est le seul projet politique réellement alternatif. Un gouvernement écologiste qui serait « pour » la croissance ne ferait rien au pouvoir. Il n’aurait aucune marge de manœuvre puisqu’il commencerait par se tirer une balle dans le pied, en mettant au cœur de son projet la cause à l’origine des maux qu’il combat. Il cèderait d’emblée à la pression des lobbys sans même avoir essayé de combattre. De plus, pour gagner les élections, il faut être prêts à gouverner.  L’autre écologie s’inscrit dans la volonté non seulement de gagner les élections, mais de préparer l’exercice du pouvoir : il n’y a pas de chemin pour réussir la redirection écologique aux responsabilités autre que celui qui passe par une politique de décroissance.

De plus, face aux chocs à venir, la résilience de la société et sa sécurité passe par la décroissance. La dépendance à la croissance économique constitue en effet une vulnérabilité (dépendance aux importations, aux énergies fossiles, aux chaînes d’approvisionnement complexes à flux tendus etc.).   

Les citoyennes et les citoyens attendent de la clarté et une vision de l’avenir. De nombreuses dénominations sont inventées pour contourner, louvoyer, avec le débat croissance / décroissance telles que « a-croissance », « post croissance » « croissance sélective », autant de mots qui ne sont que des leurres pour esquiver le débat décisif qui s’impose. Ils traduisent une intériorisation de la pression de l’idéologie dominante qui ne peut que conduire à la défaite électorale, car l’écologie ne peut gagner que par un vote d’adhésion sur les fondamentaux de son projet politique face à un front-anti-écologie qui portera le combat sur le terrain du rapport à la croissance. 

7. La décroissance a déjà commencé dans la société française, elle coûte moins cher et rend les gens heureux

Beaucoup de Françaises et Français pratiquent déjà la décroissance, sans s’en rendre compte et sans mettre encore le mot dessus : recycleries, vide-greniers, circuits courts, vente directe, produits d’occasion sur le Bon Coin ou BackMarket, Stop-Pub, vélorution, bénévolat, aspirations des diplômées et diplômés à un travail qui a du sens même s’il est moins bien payé, aspiration à ralentir, à avoir une vie plus équilibrée, une alimentation saine et locale… Il ne s’agit pas d’un effet de mode ou d’une économie alternative « de crise », mais d’évolutions structurelles et profondes. 

Des centaines d’entreprises inscrivent déjà leur projet dans une logique sérieuse de réduction de leur empreinte écologique. Elles sont les alliées des écologistes, mais elles ont besoin que la puissance publique mette en place les normes et les outils de régulation qui permettent à ces nouveaux modèles de s’épanouir. 

Bref, la décroissance est partout, elle coûte moins cher, elle donne du sens à la vie, elle donne le sourire et elle rend les gens heureux!

Le moment est venu d’oser utiliser le mot « décroissance » pour conforter ces évolutions culturelles et les transformer en force politique.

8. Il y a une majorité potentielle pour la décroissance en France

67% des Françaises et des Français sont « favorables à la décroissance » définie comme « la réduction de la production de biens et de services pour préserver l’environnement et le bien-être de l’humanité ».(Enquête Odoxa pour le Medef, septembre 2020)

55% adhèrent à « l’utopie écologie » selon l’enquête de l’ObSoCo de réorganisation de la société et de l’économie tendus vers l’équilibre et la sobriété, impliquant un changement de modes de vie et de consommation résumé par la formule « moins mais mieux ». (Les perspectives utopiques des Français, ObSoCo, mai 2020).

La pandémie accélère la prise de conscience d’un nécessaire retour à l’essentiel de ce qui est vraiment important dans la vie, à une nouvelle hiérarchie des valeurs et à des choix collectifs fondés sur ce qui est utile à la société (exemple : importance des métiers de l’humain, de professions qui jusqu’ici étaient déconsidérées, de reconquérir notre souveraineté alimentaire, économique, numérique,…).

L’accélération vertigineuse des catastrophes liées au réchauffement climatique rend indispensable la présentation aux Françaises et aux Français d’une nouvelle vision : celle de l’autre écologie. On ne repond pas à la situation politique de 2022 avec des éléments de discours et un programme politique anciens et dépassés. Les écologistes ne peuvent gagner l’élection présidentielle que sur un choix de société clair, qui les distinguent, et une capacité à exercer les responsabilités pour l’accomplir. 

Pour prolonger, quelques ressources :

« La décroissance, c’est notre drapeau », discours de Delphine Batho 

« Décroissance et préjugés », par Bon Pote

« Et si on essayait la décroissance », Reporterre, débat avec Timothée Parrique et Delphine Batho

« Mythe de la croissance infinie : une agence de l’Union européenne rompt avec avec le dogme », par Nina Géron

Eloi Laurent : « Le rapport du GIEC ouvre un chemin d’espoir pour l’humanité au milieu du chaos climatique », Le Monde, 18 août 2021

« Sortir de la croissance, mode d’emploi », Eloi Laurent (éditions Les Liens qui Libèrent)

« L’adieu à la croissance, bien vivre dans un monde solidaire », Jean Gadrey (éditions Les petits matins)

« Politiques de l’Anthropocène I, II et III : Penser la décroissance, Économie de l’après-croissance, Gouverner la décroissance », sous la direction de Agnès Sinaï (Presses de Sciences Po)

« Mystique de la croissance », Dominique Méda (Flammarion)

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