Mythe de la croissance infinie : une agence de l’Union européenne rompt avec le dogme

15 janvier 2021

L’Agence Européenne pour l’Environnement a publié le 11 janvier un bref rapport intitulé « La croissance sans la croissance économique ». Il s’inscrit dans le cadre des travaux du 7ème Programme d’Action pour l’Environnement, lancé par le Parlement et le Conseil européen en 2013.

L’impossible « découplage »

Les constats qui sont au centre de ce rapport sont loin d’être anodins. Cette fois, ce ne sont pas des mouvements écologistes ou des « Amish », mais une agence de l’Union européenne qui l’affirme : « il n’est peut-être pas possible de dissocier totalement la croissance économique de la consommation des ressources ». L’évolution est d’autant plus notable que cette même agence, ainsi que la Commission européenne, considéraient jusqu’ici le découplage entre la croissance du PIB et la consommation de ressources comme l’« objectif pertinent » des politiques publiques au regard de l’accélération du changement climatique, de la raréfaction des ressources et de l’effondrement des écosystèmes.

Les « perspectives intéressantes » de la post-croissance et de la décroissance

Evidemment, au regard de l’urgence écologique, cette reconnaissance est tardive. Mais qu’un organisme officiel de l’Union européenne évolue et reconnaisse que le découplage entre la croissance économique et la consommation de matière et d’énergie est impossible, voilà qui devrait être au cœur du débat démocratique ! A fortiori dans un contexte de dépression économique majeure liée à la pandémie où les responsables politiques appellent de façon erronée soir et matin au « retour de la croissance »… Ce ne sera probablement pas le cas. Comme le souligne le rapport lui-même « la croissance est ancrée dans la culture, la politique et les institutions ». A tel point que « le changement exige que nous nous attaquions à ces obstacles de manière démocratique ». Mieux : l’agence se livre même à une critique du progrès technologique et de la conception classique de l’économie circulaire. Et de conclure : « l’économie des beignets, la post-croissance et la décroissance sont des alternatives aux conceptions traditionnelles de la croissance économique qui offrent des perspectives intéressantes ».

Un rapport dérangeant jeté aux oubliettes ?

Malgré l’urgence de transformer radicalement le modèle économique pour le rendre compatible avec les limites planétaires, il est à craindre que ce rapport et ses conclusions ne passent inaperçues. Il nous parait donc utile de faire connaître ses principaux constats, et d’inviter nos lectrices et lecteurs à les partager !

Résumé du rapport de l’Agence Européenne pour l’Environnement « Croissance sans croissance économique » du 11 janvier 2021.

  • Au niveau mondial, la croissance n’a pas pu être découplée de la consommation de ressources et des pressions environnementales, malgré ce que certains espéraient. Ce découplage n’adviendra probablement jamais.
  • La croissance économique n’a pas contribué à réduire les inégalités, que ce soit entre les pays ou à l’intérieur des pays.
  • Les pressions causées par la croissance sur l’environnement sont considérables.  Plusieurs des empreintes environnementales de l’Europe dépassent d’ores et déjà les limites de la planète. Le développement technologique que l’on pensait prometteur pour une réduction de la consommation a jusqu’à présent montré l’inverse.
  • Des approches ont pourtant été développées pour tenter de réduire les impacts environnementaux de notre modèle économique. L’économie circulaire et le recyclage en sont des exemples. Elles sont aujourd’hui poussives et limitées : 12 % seulement des matériaux utilisés étaient recyclés dans l’Union Européenne en 2019 (Eurostat, 2020).
  • On touche aux limites de la théorie circulaire selon laquelle les ressources matérielles pourraient provenir de plus en plus de l’intérieur de l’économie. Quand bien même le recyclage peut et doit être considérablement augmenté, il restera insuffisant au regard des ressources planétaires. Comme le disait Lavoisier, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Recycler nécessite un apport d’énergie et de nouvelles ressources. La théorie de l’économie circulaire ne peut s’affranchir d’une augmentation de la consommation de matière inévitable.
  • De plus, notre monde se complexifie sans cesse, or cette complexité demande beaucoup d’énergie et de matériaux pour être maintenue. 
  • « La croissance est ancrée dans la culture, la politique et les institutions » : Historiquement en Europe, on a placé les enjeux sociétaux et environnementaux comme des externalités. La croissance est aujourd’hui au cœur de tout. Ce mécanisme conduit les gouvernements à se légitimer par leur capacité à faire croître l’économie et à garantir l’emploi. Pourtant, les valeurs fondamentales de l’Union Européenne sont « la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité et l’État de droit ». Ces valeurs ne peuvent être réduites à une augmentation du Produit Intérieur Brut ou remplacées par celle-ci. Il est donc nécessaire de repenser et de recadrer la notion de progrès au-delà de la consommation.
  • Décroissance, post-croissance, croissance verte, théorie économique du Donut, toutes ces perspectives économiques devront être intégrées dans les principaux processus politiques en Europe, sans oublier que certaines alternatives peuvent se trouver dans de très anciennes traditions. Certaines communautés sont moins matérialistes que nos sociétés actuelles et vivent plus simplement car elles visent à augmenter leur qualité de vie, à réduire le stress personnel, à réduire les pressions environnementales. On notera même, au passage (dans un esprit de provocation volontaire ?) la mention des Amish en illustration de ces sociétés inspirantes…
  • Nos sociétés ont besoin d’un véritable changement de paradigme à engager de manière démocratique. Les nouveaux récits contribueront à rendre désirables de nouvelles perspectives de vie en société.  « Alors que la planète est finie au sens biophysique du terme, une croissance infinie des valeurs existentielles humaines, telles que la beauté, l’amour et la gentillesse, ainsi que de l’éthique, est possible. »