12 février 2024
En quatre semaines Rue de Grenelle, les turpitudes d’Amélie Oudéa-Castéra auront au moins eu le mérite de remettre en avant l’indispensable combat pour l’école publique, laïque et gratuite. Interrogée sur la scolarisation de ses enfants au sein du collège-lycée Stanislas, établissement privé catholique ultra-conservateur, elle avait invoqué le « paquet d’heures » non remplacées dans le public – problème réel et du ressort du gouvernement, dont ses enfants n’avaient cependant jamais souffert – et l’assurance que le privé lui donnait de voir ses enfants « bien formés », « épanouis », avoir « des amis » et se sentir « en sécurité ». Elle faisait ainsi l’aveu décomplexé de la sécession scolaire des classes les plus favorisées. Et de la logique à l’œuvre dans la politique éducative d’Emmanuel Macron.
Son remplacement au ministère de l’Éducation nationale par Nicole Belloubet effacera peut-être la polémique, mais ne doit pas masquer la nature des réformes annoncées par le gouvernement suite à la publication de la dernière enquête PISA, dont on aura surtout retenu la baisse de niveau des élèves en mathématiques et en compréhension écrite.
Or, si ce programme d’évaluation de l’OCDE a le mérite de nous renseigner sur la très forte corrélation des inégalités scolaires et des inégalités sociales en France, et ce plus qu’ailleurs, il conviendrait aussi d’interroger la logique de compétition qu’il induit entre États, sans rien dire des systèmes éducatifs des pays comparés. En tête du classement, en effet, rien de commun entre les cultures scolaires de la Finlande et de la Corée. C’est pourtant cela qui devrait être au cœur du débat : le rapport aux savoirs, les conditions matérielles dans lesquelles se déroulent les apprentissages, la mixité sociale des établissements, la pertinence des évaluations, les rythmes scolaires, etc.
Au lieu de quoi, Emmanuel Macron nous parle la langue managériale de l’efficacité et du résultat, et nous promet des mesures dont il n’y a rien à attendre que le renforcement des inégalités constatées. Ainsi de la plus emblématique des mesures annoncées : la mise en place au collège de groupes de niveau en français et mathématiques. La recherche a pourtant montré que les groupes de niveau permanents étaient inefficaces et ne bénéficiaient ni aux élèves en difficulté ni aux plus « performants ». Mais ils érigent au rang de principe d’organisation une logique de ségrégation scolaire, qui est aussi une ségrégation sociale. Ils actent le renoncement à l’ambition du collège unique pour en faire une gare de triage. Ils promettent dès la 6e, à l’instar de Parcoursup, le stress permanent de l’évaluation et l’angoisse de l’orientation subie.
C’est cette même logique de productivisme scolaire qui guide la réforme de la voie professionnelle du lycée : diminution du temps d’école, augmentation du temps en entreprise, renvoyant les élèves à leur seul statut de jeunes travailleurs au détriment de leur formation citoyenne et de l’acquisition d’une culture commune. Cette même logique, derrière le retour annoncé du redoublement, qui mine l’estime de soi des plus fragiles et fabrique du décrochage, qui segmente la scolarité en années bien étanches plutôt qu’en cycles d’apprentissages cohérents. Cette même logique, toujours, derrière le projet de remédiation aux mathématiques et au français pour les élèves de seconde via un outil d’intelligence artificielle, programme d’individualisation numérique désincarné.
Ne nous y trompons pas : la promesse insistante de « mettre le paquet sur les fondamentaux » réduits à l’enseignement du français et des mathématiques – alors que nous y consacrons déjà 60% du temps scolaire en France contre 40% en moyenne dans l’OCDE, sans résultats probants –, tout comme les expérimentations menées sur le port de l’uniforme à l’école – fantasme passéiste d’une École qui n’a jamais existé, qui n’éliminera pas les différences socio-économiques entre élèves et dont l’impact sur le climat scolaire reste à démontrer – nous détourne du nécessaire débat sur ce qu’il faudrait faire pour que notre École soit en prise avec son temps, l’Anthropocène.
« Préparer l’avenir, pendant des dizaines de milliers d’années, c’était surtout transmettre quelque chose d’hérité du passé, dans une vie appelée à se reproduire. Nous ne savons pas préparer un avenir qui s’annonce sans précédent, d’une radicale nouveauté et qui remet en cause nos manières de vivre actuelles » , écrivent Renaud Hétier et Nathanaël Wallenhorst dans Penser l’éducation à l’ère de l’Anthropocène. L’époque que nous vivons appelle des ruptures fortes avec les politiques éducatives du business as usual et de la naphtaline. « Les sociétés susceptibles de rayonner demain ne seront pas celles qui continueront à vouloir produire tant et plus, mais celles qui seront mobilisées avec le plus d’acuité et de sens du partage et du commun dans l’adversité » .
Contre le productivisme scolaire qui érige la recherche de résultats et l’efficacité comme fin des fins, il faut poser la question première des finalités de l’École, peut-être rien moins que permettre à l’aventure humaine de durer. Plus de la moitié des 16-25 ans pensent que l’humanité est condamnée. Inventons une École qui suscite « critique, résistance, utopie » . Cultivons la coopération. Pensons une éducation non plus seulement de la tête, mais aussi du cœur et de la main. Sortons les classes dehors, dans la nature, dans la Cité. Et portons résolument le combat de l’éducation comme bien commun.
Edith Lecherbonnier