Education : pour apprendre mieux, sortons dehors

09 novembre 2020

C’est un fait, l’environnement des enfants a profondément changé en quelques années : avec l’urbanisation, l’ère des transports motorisés s’est imposée. Les trajets à pied pour venir à l’école se sont raréfiés, même en milieu rural ; on constate aussi que les sorties scolaires sont désormais le plus souvent annulées les jours de pluie, les récréations sont souvent repliées à l’intérieur des bâtiments. Pour une partie des élèves, le lien avec le dehors s’est progressivement défait. Pourtant, par le passé, certains enseignements faisaient la part belle à la nature en portant l’observation de l’environnement comme une méthode d’apprentissage ; une excuse pour un cours de dessin, de biologie, d’histoire, d’orthographe… L’observation comme le mimétisme sont les premiers outils d’apprentissage des enfants en bas âge et reste essentielle par la suite pour se faire sa propre idée du monde. Toucher, voir, sentir, expérimenter multiplie l’exposition des sens de l’enfant ce qui facilite l’apprentissage et augmente les formes de mémorisation mobilisées.

La nécessité de nature, de dehors, est renforcée en cette période pour les raisons sanitaires que l’on connaît. L’éducation tournée vers l’extérieur permet par la circulation de l’air de limiter les phénomènes d’aérosolisation (formation de particules suffisamment petites pour être maintenues en suspension dans l’air et diffusant le virus). L’école dehors, rendue possible au printemps dernier en raison des contraintes sanitaires, intègre aujourd’hui la réflexion sur les évolutions souhaitables du cadre pédagogique national. C’est un début, il est essentiel de la soutenir et de l’amplifier, tout en réaffirmant que la liberté et le choix de l’enseignant sont au cœur de la réussite de tout projet d’école dehors.

Bien sûr, nos territoires ne permettent pas aux enfants d’investir de la même façon le milieu naturel : toutes les écoles ne sont pas à l’orée d’une forêt, au bord d’un étang ou bien encore au pied d’une montagne. Parce que « le bout du monde et le fond du jardin contiennent la même quantité de merveilles »[1], Crystèle Ferjou, conseillère pédagogique départementale des Deux-Sèvres, démontre dans son ouvrage Emmenez les enfants dehors (Robert Laffont, août 2020) qu’un jardin – que les enfants vont arpenter librement et dont ils prendront soin ensemble – se révèle tout aussi efficace pour transformer leur rapport au monde, développer une expérience sensible déterminante pour ces adultes en devenir.

Dehors, on apprend différemment !

Au jardin, les enfants déploient de nouvelles stratégies face aux problématiques rencontrées. « Le dehors est inclusif » témoigne Crystèle Ferjou : les enfants y développent des compétences, révèlent des aptitudes (notamment à travers le jeu libre, intégré aux programmes officiels en 2015) qui ne sont pas toujours perceptibles dans l’environnement habituel et intérieur de la classe. L’extérieur n’est pas « genré » contrairement à ce que l’on peut observer dans des cours d’écoles lesquelles, par la façon dont y sont encadrés les usages, contribuent à reproduire certaines normes sociales.

De ces expériences, on retient que l’apprentissage dehors est une source d’efficacité pour développer la communication, la coopération, la créativité et l’esprit critique. La nature apporte les stimuli éveillant l’attention et créant de l’émotion, deux facteurs indispensables à l’apprentissage.

La pédagogie par la nature est autre chose que la pédagogie dans la nature : dans l’approche que développe Crystèle Ferjou, c’est la posture de l’enseignant qui, avant tout, conditionne la réussite du projet. Enseigner dehors, c’est aussi évoluer avec un recul qui permet l’observation des enfants. Dès lors, l’enseignant a ce rôle de distanciation puis de représentation de ce qui « se joue » dans cette interaction avec la nature. C’est l’écoformation. Or, celle-ci, développée par Gaston Pineau et profondément inspirée par les travaux d’Edgar Morin (sociologue et philosophe français, penseur de la complexité), occupe à ce jour une place très faible dans la formation actuelle des enseignants.

Dehors, les enfants se responsabilisent 

Faire classe dehors, c’est aussi responsabiliser l’enfant comme acteur à part entière de sa sécurité. En France, toute la vie de l’enfant est aujourd’hui pensée, planifiée, organisée par les adultes : la notion de risques détermine le cadre dans lequel il évolue. Or, aller dehors permet de faire l’expérience de nouveaux champs de responsabilisation pour l’élève. L’éducation « sans risques » n’est-elle pas précisément la source de tous les dangers ? C’est ce que questionne l’auteure, et à travers elle, de nombreux enseignants qui expérimentent l’école dehors.

La construction d’une confiance réciproque entre enfants, enseignants et parents est un enjeu majeur pour que l’école puisse changer de cap. Une certaine conception de la « surveillance », s’avère être parfois un frein à l’expérimentation pédagogique. Faire l’école dehors c’est faire l’école autrement, accepter que dehors les enfants se responsabilisent, que l’enseignant ne soit pas toujours derrière les élèves pour surveiller, ou contrôler. Le rôle de l’enseignant devient davantage celui de soutien, d’observation, d’accompagnement de l’enfant. Cela implique une certaine prise de risque au sens où tout ne peut être maîtriser, c’est la conscience de l’existence de ce risque qui participe à la responsabilisation des enfants. Une (r)évolution des postures, en somme. Ou plutôt, un retour à des fondamentaux qui ont forgé des générations d’écoliers, pour lesquels l’expérience du dehors était une évidence de chaque jour. 

Vision passéiste ? Bien au contraire, le progrès consiste à rétablir notre juste place au sein du vivant. La reconnexion de chacun à son environnement naturel est un enjeu primordial pour un projet de société écologique, plus juste et en pleine conscience de la limitation des ressources naturelles. C’est la mission de l’école de la République. 

De la nature… à l’art

Crystèle Ferjou revient sur son enfance, se rappelle que ses premières expériences esthétiques ont été des expériences avant tout sensibles, vécues en pleine nature. Ces expériences ont fondé sa sensibilité à l’esthétique et aux arts. Or, comment apprécier une œuvre telle qu’une peinture de paysage par exemple, si rien de ce que voient nos yeux ne renvoie à une expérience vécue, si rien ne permet de faire écho à une sensation, un souvenir… ? Elle explique que « la nature nous offre d’emblée son esthétique », et que la capacité d’émerveillement de l’enfant fait tout le reste…

En ce sens, nos politiques d’éveil artistique et culturel doivent permettre de multiplier, pour les enfants comme les plus grands, les expériences sensibles et ainsi développer un nouveau rapport aux arts. L’enfant (mais pas seulement) a besoin du dehors : cette expérience du monde construit sa sensibilité, qui lui donne les clés pour apprécier les expressions artistiques. L’éveil artistique et culturel commence dès les premières années et doit être soutenu tout au long de la formation des élèves. Il en va de même pour le développement de l’école dehors : la démarche n’est pas l’apanage de l’école primaire, elle s’étend au-delà, par l’engagement d’enseignants convaincus de la nécessité d’insérer la connaissance de la nature dans tous les apprentissages.   

Pour autant, il ne s’agit pas de généraliser l’école dehors de façon contrainte ou obligatoire. Aujourd’hui, les enseignants qui le souhaitent doivent pouvoir être accompagnés vers cette nouvelle approche pédagogique.

L’école est très souvent le premier contact avec l’espace public. Alors quel geste architectural faut-il désirer ?  Des écoles – telles qu’on les a le plus souvent conçues au cours des trois dernières décennies – d’asphalte, fermées par des grillages, évoquant davantage l’univers carcéral que le lieu de l’émancipation et de l’épanouissement des jeunes ?  Ou au contraire, pour une écologie intégrale, avec des écoles redonnant toute sa place à la nature, dans la conception des espaces comme dans l’évolution des approches pédagogiques ?

Stéphanie Alonso-Teissier et les membres de l’Atelier de l’écologie « S’élever par la Culture et l’éducation ».


[1] Christian Bobin, Tout le monde est occupé, Mercure de France,1999