“La région Pays de la Loire est le laboratoire d’un trumpisme à la française”

05 février 2025

La présidente du Conseil régional des Pays de la Loire, Christelle Morançais (Horizons) mène tambour battant des coupes budgétaires qui ont été vivement dénoncées à l’échelle nationale par les acteurs du monde de la culture. La réduction de 82 millions d’euros cette année, et 100 millions d’euros d’ici la fin du mandat, va bien au-delà de l’impact sur les collectivités du mauvais budget de l’État. Ces décisions budgétaires frappent la culture, mais aussi l’économie sociale et solidaire, les domaines de l’égalité femmes-hommes, du sport, de l’écologie. Au total, environ 11 000 emplois pourraient être supprimés, dont 150 postes d’agents régionaux. Ces choix ont suscité une forte mobilisation des acteurs concernés, soutenue par les élus régionaux des deux principaux groupes d’opposition dont « l’Écologie ensemble ». Entretien avec Gaëlle Rougeron, conseillère régionale Génération Écologie des Pays de la Loire.

Quelle est la situation aujourd’hui au Conseil régional des Pays de la Loire ? 

Gaëlle Rougeron : J’ai été élue au Conseil régional des Pays de la Loire en 2021 sur la liste de la Loire-Atlantique, à Nantes. C’est mon premier mandat et mon premier engagement politique. Une fois passée la période où il m’a fallu trouver mes marques dans la fonction d’élue, je joue aujourd’hui pleinement mon rôle au sein du groupe écologiste et dans l’opposition, notamment dans le contexte des coupes budgétaires annoncées par la présidente de région, Christelle Morançais.

Au départ le gouvernement de Michel Barnier avait annoncé une coupe budgétaire de 40 millions d’euros pour les Pays de la Loire. Mme Morançais, dans la surenchère, a annoncé 100 millions d’euros. Plus précisément, 82 millions d’euros cette année, puis nous irons jusqu’à la fin du mandat, jusqu’à 100 millions d’euros. Mais ce qui est à noter, c’est que ce sont 82 millions d’euros d’économies sur le fonctionnement qui seront faites. C’est-à-dire que la région resterait au même niveau d’investissement que les années précédentes, même un petit peu plus. En coupant aussi drastiquement les budgets de fonctionnement, elle neutralise complètement l’économie sociale et solidaire, et tout ce qui valorise l’égalité femmes-hommes. Il n’y a plus de budget pour le planning familial et le sport subit de très fortes diminutions, tout comme la culture, l’environnement et la transition écologique, notamment l’agriculture biologique qui est en péril en Pays de la Loire.

Quel impact ce budget aura sur les emplois et pourquoi une telle surenchère ? 

Gaëlle Rougeron : Les 11 000 personnes qui travaillaient dans l’économie sociale et solidaire et dans ces politiques publiques vont se retrouver sans emploi. Les agents qui menaient ces politiques, soit une centaine de personnes, vont être poussés à quitter la fonction publique territoriale ou à demander leur mutation, et ceux qui sont proches de la retraite, se verront proposer un départ à la retraite anticipé.

Ce qui est en train de se passer n’est pas anecdotique. Je pense que la région Pays de la Loire est aujourd’hui le laboratoire test de la mise en place d’un nouvel ordre économique, d’un trumpisme à la française. 

Mais si une collectivité territoriale ne fait pas de dépense publique, n’a pas le service public pour priorité, qu’est-ce qu’elle fait ? C’est un nouvel ordre économique où la culture, le sport, l’économie sociale et solidaire doivent se trouver un nouveau modèle économique “payant”, où ces secteurs ne seraient pas “shootés à la dépense publique” comme Christelle Morançais le dit elle-même. D’ailleurs, il y a une forme de trumpisation aussi dans la manière de mener le débat public avec l’invective décomplexée : nous, conseillers régionaux écologistes, sommes traités de “salafistes”, “éco-terroristes”, “zadistes”, “autistes”, “islamogauchistes”…

La présidente de région dans le magazine régional se présente comme une représentante de la société civile et des entreprises. Elle prône l’innovation, l’intelligence artificielle qui va remplacer les agents. Elle prône le techno-solutionnisme, la croissance bleue (NDLR : le développement économique lié à la croissance d’activités industrielles liées à l’Océan) et la croissance verte. Son cap politique, c’est la croissance. C’est pour cela qu’elle ne supprime pas les dépenses d’investissement, qui seront même un peu en hausse. 

On fait le minimum pour les lycées publics et l’enseignement supérieur public, mais la région verse des subventions optionnelles aux lycées privés au-delà de ce qu’on devrait faire (plus de 200 000 euros). On investit dans ”une promotion” : 100 jeunes par an, triés sur le volet, qui eux ont le droit à des conseils d’orientation personnalisés et des ateliers de réflexion. Et en parallèle, la région a coupé les subventions aux Missions Locales pour l’emploi. La présidente a pour boussole le privé et l’externalisation des services publics à des prestataires privés, pour faire ce qu’elle appelle de l’“ajustement structurel”. En bref, la région Pays de la Loire est en train de devenir une collectivité publique au service du privé, pour les entreprises, pour accompagner l’innovation, à la Elon Musk qu’elle trouve “génial”.

Comme cela est-il perçu sur le territoire ? 

Gaëlle Rougeron : C’est très mal vécu par tout le secteur de l’économie sociale et solidaire qui fait un travail formidable. Beaucoup de choses vont être abandonnées, comme les missions locales qui n’auront plus de subvention. Ce qu’on nous répond c’est qu’il y a des entreprises privées qui accompagnent les jeunes pour trouver de l’emploi. Des pans entiers de l’économie sociale et solidaire vont être abandonnés par la région ; ils ne pourront pas être soutenus par les villes et les départements qui ne pourront pas pallier ces nouveaux déficits. C’est un choix politique et un choix idéologique, et non une nécessité budgétaire, malgré les déclarations de la présidente qui se dit investie d’une mission pour “prendre sa part dans la réduction du déficit de l’État”. Dans les mois à venir, nous ferons le bilan de la situation en Pays de la Loire et mesurerons les dégâts de ces coupes dans le territoire.

Nous sommes un territoire historique de lutte. Et là, nous avons pu à nouveau le constater. Le vote du budget avait lieu les 19 et 20 décembre. Il y a eu des manifestations dans les 5 départements de la Région entre le débat d’orientations budgétaires d’octobre et la session du budget des 19 et 20 décembre. Ces deux jours d’assemblée régionale, nous ne pouvions pas accéder à un hôtel de région bunkerisé, entouré de cars de CRS. Le personnel de la région était en grève : l’hôtel de région était désert !

J’étais également présente le jour où la Présidente a annoncé aux agents les 100 suppressions de postes, cela s’est fait dans un silence de mort. Ça a duré 10 minutes. Ils lui ont tourné le dos pendant qu’elle parlait et ont quitté le hall sans un bruit.

L’objectif du groupe écologiste à la Région Pays de la Loire est de maintenir cette mobilisation, d’être au rendez-vous des structures touchées. Notre groupe a déposé 78 amendements durant cette session dont l’objet a été de rétablir les 78 dispositifs supprimés par le budget 2025. Malheureusement aucun amendement n’a été voté. Les élues et élus de la majorité, bien que concernés eux-aussi par les coupes budgétaires affectant leurs territoires, ont voté le budget.

Propos recueillis par Cécile FAURE