Avec Annick Girardin, tournée d’une ministre « normale » en Afrique
Les temps ont changé. Le ministre de la coopération est devenu celui du développement. La France n’essaie plus de tirer toutes les ficelles. Voyage en compagnie d’une ministre « normale ».
Elle vient de l’une des circonscriptions françaises les plus isolées. Annick Girardin est élue de Saint-Pierre-et-Miquelon, un territoire de marins situé au large du Canada et peuplé de quelques milliers d’habitants.
Cette députée fait partie des membres du gouvernement issus du Parti radical de gauche (PRG). Elle s’est vu confier par François Hollande le secrétariat d’État au développement et à la francophonie.
Moyennant quoi, elle parcourt le monde ces derniers mois pour motiver les pays vulnérables et insulaires avant la COP21 qui réunira à Paris en décembre l’ensemble des pays du monde autour de la question du changement climatique.
C’était l’un des objectifs d’un voyage qui l’a conduite il y a une quinzaine de jours en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et au Niger.
Récit de ce marathon de quatre jours durant lequel l’envoyée de la France s’est voulue efficace et modeste.
▶ Première étape : Abidjan
Le Falcon, parti de l’aéroport de Villacoublay, à côté de Paris, se pose à Abidjan. Sur le tarmac, en ligne, l’ambassadeur de France, son équipe, des militaires de la base française. Un ballet de voitures officielles rejoint Port-Bouët, à dix minutes de l’aéroport de la capitale ivoirienne.
Là, un millier de personnes sont rassemblées sous une chaleur moite et lourde pour la Journée mondiale de lutte contre le paludisme : des volontaires d’ONG aux tee-shirts mentionnant « campagne nationale de distribution gratuite de moustiquaires imprégnées », des officiels en boubous ou en costumes cravate gris anthracite.
Quarante pour cent des enfants qui meurent en Côte d’Ivoire sont victimes du paludisme. La France a participé à la distribution de 13 millions de moustiquaires imprégnées, via sa contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Le directeur du Fonds, l’Américain Mark Dybul, est aussi à Port-Bouët. Costume impeccable, il tient à lire son discours en français. L’assistance applaudit la performance aux passages les plus difficiles à prononcer pour cet anglophone pure souche.
Mark Dybul est congratulé par la ministre ivoirienne de la santé, tout juste revenue du congrès politique où l’on vient d’annoncer la candidature à l’élection présidentielle d’Alassane Ouattara, le chef de l’État ivoirien.
Annick Girardin assiste ensuite à un séminaire scientifique sur le paludisme, organisé par l’équipe locale de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), dont le nouveau président, Jean-Paul Moatti, fait partie de l’équipée ministérielle.
La nuit tombe, pas la chaleur. À l’intérieur de la salle de conférences, les climatiseurs sont au maximum. À l’extérieur, l’assistance mélangée attend buffet et boissons.
Ici, à Port-Bouët, on est loin de la tension qui a suivi l’élection en 2011 du président Ouattara, des appels à la haine et au meurtre qui ont enflammé Abidjan. Les Ivoiriens vont bien.
Le troisième pont sur la Lagune est fini. Les militaires français, soupçonnés naguère de tous les complots par certains, développent leur base. Ils seront bientôt 900 installés à Abidjan. Le Falcon ministériel repart dans la nuit.
▶ Deuxième étape : Ouagadougou
Une heure et demie de vol plus loin, c’est une sorte de gigantesque sèche-cheveux qui attend le visiteur sur le tarmac. Il fait chaud et sec. Le pays est suspendu à l’élection présidentielle d’octobre prochain. Elle permettra de remplacer le président Campaoré, chassé par la rue, il y a quelques mois.
Pour sa journée et demie sur place, il a été prévu pour la ministre, dans l’ordre : un déplacement à une cinquantaine de kilomètres de la capitale pour voir des femmes construire des « foyers améliorés » en terre et pierres, censés consommer moins de bois et limiter ainsi la déforestation ; des signatures de convention avec des ministres burkinabés ; un concert de jazz sous les étoiles à l’institut français ; une rencontre avec des Français à la résidence de l’ambassadeur ; une visite d’une école financée par la coopération française ; l’ouverture d’une convention sur le climat où les ONG aimeraient obtenir des billets d’avion pour la conférence de décembre à Paris ; un entretien avec le président de transition dans le palais marbré de vert que s’était fait construire Blaise Campaoré.
Pour finir, la ministre a prévu de déjeuner avec des représentants de la société civile. Il y a là Sams’K Le Jah, un rappeur et animateur de radio, Smokey, un musicien hip-hop, deux membres du mouvement du « Balai citoyen » qui a réussi à chasser le président Compaoré.
Est également présent Claude Wetta, un avocat militant anti-corruption. Autour de la table, l’Afrique a changé : elle demande des comptes à ses dirigeants. La France aussi a changé : elle écoute et débat, d’égal à égal.
La ministre suscite le dialogue. Annick Girardin rappelle qu’elle vient d’un territoire insulaire, qu’elle est de profession une fonctionnaire territoriale de la jeunesse et des sports.
Elle est directe et tonique dans son expression, simple dans son style. « C’est elle, la ministre ? », interroge un officiel burkinabé. « Chez nous, une ministre doit être spectaculaire, pour se faire remarquer de loin. »
Reste que la ministre est vigilante. Lors d’un récent voyage en Afrique, la presse locale avait critiqué ses baskets blanches sur les tapis rouges officiels.
▶ Troisième étape : Niamey
Au café, on ressaute dans le Falcon pour une heure de vol en direction de la capitale nigérienne. Même séchoir à cheveux, même file d’accueil sur le tarmac de l’aéroport, même cortège de voitures officielles pour un rendez-vous chez le premier ministre. Un Touareg enturbanné de blanc.
Ici, à Niamey, les problèmes du changement climatique paraissent lointains. On ne le dira pas trop à l’envoyée du gouvernement français.
Pour sortir de quelques kilomètres de la capitale à la rencontre d’un village qui lutte pour la reforestation, Annick Girardin est encadrée par des militaires en armes. À la résidence de l’ambassadeur de France, les officiers français en tenue blanche sont nombreux. Il est loin le temps où le président Chirac pouvait aller à la rencontre de la population nigérienne, en 2003.
« Le fardeau est trop lourd pour eux », glisse un officiel français, après une troisième panne d’électricité lors du discours d’ouverture d’un colloque sur le climat du premier ministre nigérien.
Le « fardeau », c’est le terrorisme islamique qui s’affirme à la frontière nigériane, avec les attaques de Boko Haram, et qui persiste du côté de la frontière malienne, dans une bande sahélienne de moins en moins contrôlée.
Annick Girardin achève sa visite, comme à Ouagadougou, par une rencontre avec des jeunes Nigériens : un slameur, une marathonienne, une ethnologue. Elle leur assure : « Je crois aux solidarités que le sport véhicule. Cela donne une notion de travail collectif. »
Elle ne commet par l’erreur de Jacques Chirac déclarant lors de sa visite de 2003 : « La jeunesse africaine est une bombe à retardement. » La formule se voulait motivante pour les pays du Nord. Elle avait été perçue ici comme hostile pour les pays du Sud.
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Trois pays en transition
Côte d’Ivoire
L’élection présidentielle est prévue pour octobre prochain. Alassane Ouattara se représente. La croissance actuelle est de 8 % par an. Le gouvernement actuel a fait voter des lois sur le foncier rural et la nationalité, à l’été 2013. Ces deux dossiers étaient au cœur des tensions depuis 1994. Le procès de l’ancien président Laurent Gbagbo doit s’ouvrir en octobre à la Cour pénale internationale de La Haye.
Burkina Faso
Blaise Compaoré, président depuis 1987, a été poussé le 31 octobre 2014 à la démission par une insurrection, avant de partir en Côte d’Ivoire. Un président de transition a été nommé en novembre. Michel Kafando doit conduire le pays jusqu’aux élections du 11 octobre prochain. Le pays connaît une croissance annuelle de l’ordre de 6 %.
Niger
En mars 2011, Mahamadou Issoufou est élu président de la République. Il a engagé clairement son armée dans la lutte contre Al-Qaida au Maghreb islamique depuis 2013. Mais en janvier 2015, la publication de nouvelles caricatures du prophète de l’islam Mohammed dans Charlie Hebdo provoque des manifestations violentes à l’encontre des chrétiens.
Quelques semaines plus tard, des dizaines de Nigériens trouvent la mort lors d’incursions de Boko Haram sur son territoire. L’armée nigérienne est engagée contre ce groupe djihadiste.