29 avril 2019
Que ce soit la destruction implacable du vivant à l’œuvre accélérée sous yeux ou bien la persistance du rapport de domination du masculin sur le féminin, ces deux tendances lourdes se nourrissent des mêmes ressorts : les rapports de force et de pouvoir, la défiance, l’abus de position, l’ambition irresponsable, l’instrumentalisation de l’autre et de l’environnement pour répondre à ses propres besoins, primaires parfois, secondaires, souvent.
Si l’on revient par exemple sur la crise des subprimes, qui a eu le retentissement économique mondial qu’on lui connait, c’est bien ce schéma de départ qui est à l’œuvre. Des entreprises et des commerciaux peu scrupuleux ont vendu le rêve de la propriété d’une maison, d’un logement accessible grâce à des emprunts à taux très faibles mais… variables. Des familles vulnérables ont été ciblées pour faire du chiffre et écouler les produits de crédit plus facilement. La technique s’est répandue, la bulle spéculative a gonflé et a fini par éclater, créant une onde de choc planétaire.
C’est bien sur le fondement d’une relation à l’autre toxique et irresponsable que l’économie mondiale s’est effondrée. On a oublié que vendre ou louer un logement à une personne, à une famille, c’est lui procurer son abri, le lieu ou elle va se ressourcer, se protéger.
En résonance, quand la bulle de l’affaire Wenstein a fini elle aussi par éclater, elle a levé le voile sur un autre système fondé sur une relation à l’autre déviante. Comme l’analysait très justement Christine Angot, ce n’est pas tant l’obtention de l’acte sexuel lui-même qui répondrait à un besoin primaire qui fait la jouissance de ce genre de prédateur, c’est plutôt le pouvoir de dominer l’autre et de l’asservir à son désir.
L’attention à l’autre, l’équilibre de la prise en compte de ses besoins autant que de ses siens propres est effacée, annihilée. C’est l’inverse que non seulement ce système de domination favorise mais dont il se nourrit, voire qu’il érige en trophée… à son propre détriment au final, sans qu’il s’en rende compte.
Car il s’agit bien d’un système et non d’un prédateur isolé qu’il suffira de condamner, de mettre en prison et sur qui il suffira de jeter l’opprobre pour avoir bonne conscience et se sentir « du bon côté », que nous soyons homme ou femme d’ailleurs.
J’ai toujours en tête l’exemple de cette professionnelle de la banque qui revenait de dépression. Pourquoi ? Un nouveau chef d’agence était arrivé, il avait harcelé toute l’équipe pour faire du chiffre. Chaque jeune qui se présentait au guichet pour ouvrir un nouveau compte était reçu au bureau, et ressortait avec 5 ou 6 comptes ouverts (compte-courant, comptes d’épargne divers, avec de tous petits prélèvements).
Individuellement, la stratégie fut payante, le jeune cadre dynamique fut rapidement promu dans une agence plus importante ; économiquement, il n’y avait pas d’intérêt pour cette banque d’avoir en gestion ces comptes démultipliés pour de petites sommes qui au final ne couvraient pas les frais. Il s’agit d’une banque historique, populaire et mutualiste. Quand je suis allée en assemblée générale, en tant que sociétaire, dénoncer cette culture managériale et questionner sur les mesures correctives éventuellement prévues, les réponses n’ont évidemment pas été satisfaisantes. J’ai changé de banque, choisissant une structure qui permettait d’éviter ce genre de dérapage.
Si le chèque en blanc d’Emmanuel Macron n’a pas suffi à calmer l’engagement et les débordements des gilets jaunes, c’est bien à mon sens que la crise en bien plus profonde, et que le besoin de considération, de confiance est devenu immense et insatiable.
Il s’agit bien alors de repenser et de transformer toutes les politiques publiques et toutes nos organisations et nos dynamiques en repositionnant les femmes, les hommes, leurs enfants et les générations futures au cœur. Prendre en compte leur besoins fondamentaux et redessiner un nouveau monde sous peine de le voir disparaître.
La qualité et l’intensité de notre rapport à la nature et à la planète est de fait évidemment intrinsèquement liée et associée à celle des relations entre hommes et femmes. Ce sont les mêmes mécanismes destructeurs qui sont à l’œuvre sur les deux sujets, ce sont ces mêmes mécanismes qui faut combattre et transformer de toute urgence.
Sophie Haristouy