31 mars 2020
S’il y a un acteur qui a définitivement disparu des « radars » depuis le début de la crise sanitaire, c’est sans aucun doute l’Union européenne. Parlant il y peu à une amie de Macédoine du Nord, alors que l’UE venait -ce 25 mars- de lever le blocage sur l’ouverture des négociations d’adhésion pour son pays (et pour l’Albanie), elle m’a répondu « L’information est passée totalement inaperçue chez nous. On s’en moque, depuis qu’on a vu que face au virus, l’Union européenne était inexistante. Elle a complètement laissé tomber l’Italie… ».
La dernière fois que les chefs d’Etat et de gouvernement européens se sont vus en chair et en os, c’était les 20 et 21 février, à Bruxelles… Les Vingt-Sept étaient réunis pour parler du budget européen affecté à la période 2021-2027, lequel représente peu ou prou 1 % de leur richesse nationale. Ils avaient échoué à trouver un accord entre les amoureux de la rigueur et ceux qui veulent renforcer les dépenses. Du coronavirus, dont les tout premiers cas avaient été repérés en Europe fin janvier, il n’avait pas été question.
La dernière conférence de presse de la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, le 9 mars dernier à Bruxelles pour célébrer ses « cent jours de prise de fonction » sont parus totalement décalés et en dehors du monde réel. D’autant plus qu’elle a déclaré que « ses cent premiers jours avaient été utiles pour les citoyens européens » . En tous les cas, ils ne l’ont pas remarqué, d’autant que les incantations sur le « european green deal » n’ont rien de concret. Elle a à peine mentionné le virus en provenance de Chine et a continué à dresser les louanges de la globalisation, du libre commerce et de la concurrence.
L’Union européenne a-t-elle été aux abonnés absents ?
Il serait injuste de dire que l’Union européenne n’a rien fait. Mais il est exact de dire qu’elle a agi dans le cadre strict de ses prérogatives, c’est-à-dire peu de choses en dehors de quelques réunions, des mesures essentiellement budgétaires et financières et enfin quelques aides d’urgence bien tardives. Il faut ajouter l’obsession permanente de Bruxelles sur le maintien de la liberté de circulation des marchandises aux frontières entre pays de l’Union européenne et vers l’extérieur qui semble, elle aussi, bien décalée.
Une première réunion informelle d’un Conseil santé fin janvier a été simplement un moment d’échange d’informations et les réunions qui se sont succédées n’ont pas apporté de réponses concrètes.
Le 10 mars, par vidéo, les Vingt-Sept ont, pour la première fois, évoqué la possibilité de suspendre le pacte de stabilité et de croissance du Traité de Maastricht. Bien sûr, les dirigeants européens n’ont pas parlé qu’économie alors que la crise due au coronavirus a fait renaître des tentations isolationnistes partout en Europe. On a vu des frontières se fermer, des pays comme la France et l’Allemagne interdire l’exportation de ces masques dont les hôpitaux italiens manquaient tant. Mais, comme l’a martelé depuis Ursula von der Leyen, il faut « tout mettre en œuvre pour que l’économie européenne résiste à cette tempête ». On le voit, la priorité pour Bruxelles restait bien à ce moment-là, l’économie !
Sur le plan budgétaire et financier, depuis la mi-mars, il y a une vraie accélération. C’est plus spectaculaire. A la suite de l’Allemagne qui a présenté le plus gros budget de relance de son histoire et renoncé à l’équilibre budgétaire pourtant inscrit dans le marbre, le pacte de stabilité et de croissance, qui régit la sacro-sainte discipline budgétaire des pays de la zone euro, a été suspendu ; La Commission européenne a mis des dizaines de milliards sur la table, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé l’injection de 1 000 milliards d’euros.
Mais il y a eu de vraies hésitations, comme l’a montrée la déception engendrée par les premières demi-mesures de Christine Lagarde, la Présidente de la Banque Centrale Européenne (BCE) le 12 mars qui ont signifié que Francfort ne ferait rien pour sauver l’Italie. L’effet a été désastreux. Le spectre d’une dislocation de la zone euro a refait surface. A l’urgence sanitaire et économique s’est ajoutée la possibilité d’une nouvelle crise de la monnaie unique. Dans la nuit du 18 au 19 mars, la BCE a corrigé le tir et annoncé vouloir acheter pour 750 milliards d’euros supplémentaires de titres financiers, portant à 1 050 milliards ce qu’elle est prête à dépenser d’ici fin 2020. Bien plus que tout ce que Mario Draghi, le prédécesseur de Mme Lagarde, avait fait lors de la crise de 2012-2015. Le lendemain matin, les marchés ont ouvert à la hausse. Les taux obligataires se sont détendus. La BCE avait réussi son coup. La Banque a fait son travail de banquière, mais où sont les Politiques ?
Lundi 23 mars, les ministres des finances des Vingt-Sept ont entériné la suspension sine die du pacte de stabilité et de croissance, sans même en discuter. Pour l’heure, plus aucun État n’est donc tenu de respecter les limites de 3 % du PIB pour le déficit et de 60 % de la richesse nationale pour la dette. Autre totem qui est tombé : la Commission a considérablement assoupli le régime des aides d’État, afin de permettre aux Vingt-Sept de voler au secours de leurs entreprises sans se voir accuser de contrevenir aux règles du marché intérieur. Elle a également mis à la disposition des États membres 37 milliards d’euros de fonds structurels, des crédits non utilisés, pour lutter contre le virus.
Un Conseil européen du 26 mars pour rien…
La balle était désormais dans le camp des politiques, les vingt-sept chefs d’états et de gouvernements réunis par vidéoconférence le jeudi 26 Mars mais qui se sont quittés sans résultats spectaculaire.
La piste proposée par l’Italie et l’Espagne d’une mutualisation des emprunts de la zone euro, afin de financer les ravages du Covid-19 et d’alléger ainsi la charge financière pour les pays, que les marchés auraient tendance à faire payer plus cher, a été rejetée par les Pays-Bas et l’Allemagne.
Le virus n’est pas venu à bout des lignes traditionnelles de fracture entre le Nord et le Sud du Vieux Continent, comme en atteste cette déclaration du ministre allemand de l’économie, Peter Altmaier, en début de semaine : « Je recommande la prudence, quand des concepts apparemment nouveaux sont présentés, qui ne sont en réalité que des recyclages d’idées rejetées depuis longtemps », a-t-il lancé, après avoir qualifié la discussion sur les euro-obligations de « débat fantôme ».
« Nous avons du souffle », a déclaré Olaf Scholz, ministre des finances social-démocrate et vice-chancelier depuis 2017, alors que le Bundestag a voté en urgence, mercredi 25 mars, la levée de l’obligation constitutionnelle de présenter des comptes publics à l’équilibre et avalisé le plus gros plan de soutien à l’économie de son histoire.
Un message qui sonne comme un reproche aux pays qui, comme l’Italie, l’Espagne ou la France dans une moindre mesure, n’ont pas abordé cette crise avec des finances publiques aussi assainies. « L’aléa moral » dont tout le monde affirme qu’il n’existe pas dans cette séquence, puisque la pandémie touche tout le monde, indifféremment de la tenue de ses comptes publics, n’est pas si loin. Comme quoi, tous les tabous ne sont pas tombés…
Les 27 de l’UE ont juste accepté jeudi, sous la pression de l’Italie, qui menaçait de refuser la déclaration commune, d’examiner sous quinze jours des mesures plus fortes pour faire face à la récession annoncée comme l’utilisation du Mécanisme Européen de Solidarité (accès des états aux marchés financiers). Le Mécanisme européen de stabilité (MES) est un fond de secours de la zone euro qui permet d’octroyer une ligne de crédit de précaution à un pays, un groupe de pays, voire à l’ensemble des pays de la zone euro qui en feraient la demande.
L’Italie, dont la dette est la deuxième plus élevée de la zone euro après la Grèce, attendait de l’UE une plus grande solidarité financière.
Au début du sommet, le président du Parlement européen, l’Italien David Sassoli a lui aussi appelé à « des mesures extraordinaires pour répondre » à la crise.
La chancelière allemande Angela Merkel a cependant clamé haut et fort à l’issue du sommet son opposition à ce que l’on surnomme les « corona bonds ». « Ce n’est pas la conception de tous les États membres » d’émettre ces emprunts européens communs, a-t-elle dit.
Pas de vraie solidarité européenne
Alors que la pandémie a déjà fait plus de 20.000 morts dans l’UE, principalement en Italie et en Espagne et en France, le confinement de la population a des conséquences lourdes au plan économique et social.
Les États européens ont, dès le début de la crise, privilégié des réponses nationales, tant sanitaires, sociales et économiques sans aucunes coordinations. On a même vu des aberrations avec des pays voisins appliquant des doctrines totalement opposées ce qui rendait illusoire le confinement avec des frontières ouvertes (Pays-Bas et Belgique). Les États ont annoncé d’importants plans de dépenses, sans chercher à se coordonner au niveau européen.
Une Union Européenne inaudible, enfermée dans ses vieux démons :
Les actions européennes, qui restent dans le cadre strict des compétences limitées de l’UE sont certes réelles mais sont restées inaudibles, décalées et bien trop tardives :
- Bruxelles n’a fait que desserrer des contraintes européennes très impopulaires et de toutes les façons qui étaient intenables en cas de crises.
- Les aides principales (Fonds structurels, possibilité d’utiliser les prêts du Mécanisme européen de stabilité-MES) ne sont que des pistes qui nécessitent des délais longs et des procédures compliquées.
- Les aides d’urgences de l’UE vis-à-vis des pays les plus touchés en Europe ont été modestes (réaffectation vers l’Italie de paquets destinés à l’origine à la Chine) et sans la publicité qui a entouré la livraison d’aides en provenance de la Chine, de la Russie, du Venezuela et de Cuba, provoquant un effet désastreux sur l’opinion publique.
- Un projet d’appel d’offres conjoints sur du matériel de protection et de soins (masques, tests, ventilateurs..), a bien été proposé tardivement, bonne idée de Bruxelles mais qui vient bien trop tard pour avoir un effet au plus fort de la crise.
- En janvier, Bruxelles s’est rangé derrière la Chine qui menaçait de rétorsions tous ceux qui voulaient stopper les relations aériennes avec la Chine, comme le Premier Ministre italien. Ce dernier a finalement cédé, maintenu les liaisons et on a vu le résultat…
En fait fidèle à son image, l’action de l’UE s’est révélée bureaucratique, décalée et sans le supplément de volontarisme qui aurait fait la différence. Bruxelles un monstre froid ? Une simple Institution financière comme le Fonds Monétaire International ou la Banque Mondiale. Même les Nations Unies avec son Organisation Mondiale de la Santé a semblé plus active et dans son rôle !? A quoi l’UE sert-elle ? De plus, obsédée par l’idéologie des bienfaits de l’ouverture des frontières, la Commission européenne passe son temps à insister sur la liberté de circulation des marchandises au sein de l’Union, y compris au plus fort de la crise et dans le même temps continue de plaider en faveur du commerce international.
Dans ses plans futurs, il y a une révision des propositions budgétaires en faveur de crédits et aides de relances de l’économie, en mettant indirectement « au frigo » le vague « green deal » ! Et il n’y a toujours pas de remises en cause de notre modèle économique : croissance et libre-échange demeurent les maîtres mots de la doctrine de Bruxelles.
Une autre Stratégie européenne est-elle possible ?
Les bureaucrates européens répondront que tout est fait dans le cadre convenu par des Traités qui ne donnent aucune compétence directe à l’UE en cas de crise sanitaire et de politique de santé. C’est bien exact.
Faut-il dans la réflexion qui aurait dû démarrer cet été sur le futur de l’Europe intégrer la faiblesse de la réaction européenne et envisager d’accroître les compétences européennes en la matière ? Peut-être mais pour quoi faire ?
En fait, ce qui est frappant dans cette crise (comme sur d’autres, comme la crise climatique, migratoire ou la crise financière) c’est l’absence de réponse politique d’une UE écartelée entre des États qui jouent leur partition nationale et une machinerie bureaucratique idéologue qui ne veut prendre aucuns risques. Le Parlement européen, sans pouvoirs réels, ne joue que les utilités. Renforcer le rôle politique des citoyens au travers d’un renforcement des pouvoirs du parlement européen (et d’initiatives citoyennes) serait un moyen à l’avenir de renforcer cette dimension politique de l’UE . Mais est-ce réalisable alors que l’UE s’est tant décrédibilisée ?
Mais en attendant, on doit s’interroger à savoir pourquoi les dirigeants actuels de l’UE , Commission et Conseil européen, sont restés si timorés, pieds et poings liés par les limites des Traités européens ?
Essayons d’imaginer ce qu’un Jean Monnet ou un Jacques Delors auraient fait ? Nul ne le sait mais nous pouvons supposer qu’ils auraient pris une initiative sans attendre d’avoir le feu vert de Paris, de Berlin, de Madrid, de Rome… !
La mansuétude vis-à-vis de la Chine, qui a caché pendant des semaines le début de l’épidémie (lanceurs d’alerte mis en prison…) aurait-elle été de mise ? N’aurait-on-pu immédiatement prendre des mesures pour éviter l’arrivée du virus en Europe au lieu de maintenir les liaisons avec la Chine (ce que l’Italie a essayé de faire mais a dû renoncer suite aux menaces de Pékin, relayées par Bruxelles ?)
N’aurait-il pas fallu tout de suite dès janvier que la Commission ait l’intuition et le courage de proposer un plan d’action commun de l’Union européenne pour mettre en commun nos moyens de réserve et de productions pour faire face à l’épidémie (équipements de protection, partage des lits d’hôpitaux de réanimation, fabrication de tests ..ainsi que des mesures de contrôles aux frontières externes ? Même si ce plan n’aurait pas eu l’air de plaire aux grandes capitales, il aurait au moins marqué les esprits et fait avancer la prise de conscience. La Commission européenne a la capacité de présenter des initiatives sur la table ? Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ?
Et maintenant, plutôt que de rafistoler un projet de budget pour une soi-disant « relance », ne pourrait-on espérer un « aggiornamento » des politiques européennes pour soutenir les services publics qui ont été soumis à la concurrence par les dogmatiques de Bruxelles (énergie, transports, santé…), mettre fin à un modèle de croissance infinie s’appuyant sur la globalisation et des Traités de libre-échange avec la terre entière, mettre en avant le produire et consommer local, mettre enfin l’écologie (et la santé !) au cœur de toutes politiques ?
Plutôt que de continuer à casser les services publics, ne pourrait-on relancer l’idée de services publics européens, là où la nécessité se fait sentir : Service de protection civile pour lutter contre les ravages du réchauffement climatiques, notamment les incendies (la Corse, démunie, le réclame depuis des années et aucun État européen, seul, n’en a les moyens), un grand service civique européen pour l’écologie, centres communs de recherche sur la santé et l’écologie, hôpitaux publics transfrontaliers comme celui, unique en son genre, en Cerdagne…. ?
A choisir des dirigeants sans légitimité, et dont la qualité principale recherchée est la soumission aux capitales des grands États, on laisse une UE à la dérive entre les mains d’une technocratie dont le souci principal est de rester dans le cadre strict de ses missions, confinée dans son parti-pris libéral sur les bienfaits du libre-échange et de l’ouverture des frontières à tout prix.
Nous avons une Europe bureaucratique, faut-il s’étonner qu’elle réagit en bureaucrate ? Ce n’est pas la question seulement de Traités et d’Institutions, c’est le choix des Femmes et les Hommes qui sont en responsabilité qui peut faire la différence .
Une autre stratégie aurait été possible, est toujours possible. Mais elle ne pourra se concrétiser que par un changement radical des dogmes et priorités de l’Europe d’aujourd’hui. Il nous faudrait des Femmes et des Hommes Responsables qui se lèvent dans nos pays respectifs pour reconstruire le projet européen sur d’autres bases. De nouvelles bases qui tourneront le dos aux trente dernières années .
Henri Malosse
Ancien Président du Comité Economique et Social Européen (2013-2016)