Conséquences économiques de la COVID-19 : l’urgence d’agir contre la précarisation des femmes

12 octobre 2020

La pandémie de Covid-19 pourrait remettre en cause les progrès réalisés au cours des trente dernières années en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. Cette alerte n’est pas lancée par un mouvement féministe, mais par le Fonds Monétaire International (FMI) ! A l’appui d’une étude chiffrée, le FMI met en évidence les effets inégaux de la crise et exhorte les gouvernements à engager en urgence des mesures spécifiques. La directrice du FMI Kristalina Georgieva porte haut et fort cette alerte sur la gravité de la situation, cette crise pourrait renforcer considérablement les écarts économiques entre femmes et hommes en termes d’accès à l’emploi et d’autonomie financière.

Cette crise pourrait compromettre les progrès réalisés ces trente dernières années et entrainer un retour en arrière sans précédent

Dans un monde où 70% des richesses et 80% des terres sont détenues par les hommes, les femmes sont en première ligne des lourdes conséquences économiques consécutives à la crise sanitaire mondiale.

L’ONG Plan International, dans son enquête « Des vies qui s’arrêtent » menée auprès de 7 000 filles dans 14 pays dans le monde (dont la France, les États-Unis, l’Inde et l’Éthiopie) présentée à l’occasion de la 75ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies le 23 septembre nous révèle les données suivantes : 6 filles sur 10 ne reprendront pas leurs études, 58% de celles qui sont obligées de rester à la maison craignent des violences domestiques et des abus sexuels, et une fille sur quatre redoute la perte d’emploi et la réduction de ses revenus. Les filles ont 2.5 fois plus de risque d’être déscolarisées que les garçons, 2 millions de plus seront soumises à l’excision, potentiellement 13 millions de filles en plus sont exposées au risque du mariage forcé et 47 millions supplémentaires pourraient être privées de contraceptifs. « La continuité pédagogique des écoles et des universités est indispensable pour les filles en premier lieu. Les écoles sont un lieu d’instruction mais elles sont aussi des lieux de sécurité, et d’émancipation, sinon c’est poursuivre le cercle vicieux de la pauvreté » selon Julien Bauer, qui représente cette ONG. D’après lui, les pays du nord sont également affectés par cet état des lieux alarmant.

La rupture d’accès à la continuité pédagogique et scolaire nourrit le cercle vicieux de la pauvreté

Depuis la crise sanitaire, les femmes ont plus de difficulté à avoir accès à nouveau à un emploi, ou à retrouver un temps plein quand elles en avaient un (au Canada, après la montée du chômage, en mai, l’emploi des femmes peine à se redresser +1.1% quand celui des hommes augmente de 2.4%). Les raisons sont multiples, en particulier les obligations familiales, les enfants non scolarisés, le soin aux seniors et la difficulté d’accéder à des modes de garde.

Elles sont majoritaires dans les 214 millions de pauvres, un chiffre qui a doublé avec la pandémie

À l’échelle mondiale, les femmes sont plus souvent employées au noir (secteur informel) sans être protégées par des droits et/ou un système assurantiel. Par exemple en Colombie la pauvreté des femmes a augmenté de 3.2%. Elles sont majoritaires dans les 214 millions de pauvres du monde, un chiffre qui a doublé avec la pandémie. 

Les femmes sont très majoritaires dans les emplois de lien social (santé, services, tourisme) touchés de plein fouet par la catastrophe sanitaire, rendant impossible le télétravail. Outre la surexposition au virus, les conséquences économiques touchent en premier lieu ces secteurs.

La France est bien évidemment concernée par ces déterminants, à des degrés différents selon leur nature bien sûr. 

Plusieurs mesures ont été prises pour répondre à ces inégalités. L’élargissement de l’accès au congé maladie pour les parents confrontés à des fermetures d’école et à l’absence de mode de garde, dès le début du confinement, sécurisant ainsi financièrement la situation de nombre de femmes. Le droit à l’IVG a été sérieusement fragilisé pendant la période de confinement. La mise en place d’un dispositif d’accès à l’IVG médicamenteuse par téléconsultation et l’allongement de la pratique de l’IVG médicamenteuse jusqu’à la 9ème semaine d’aménorrhée (7ème semaine de grossesse), alors que la réglementation habituelle fixe ce délai maximal à 7 semaines. Il faudra voir si ces mesures ont été efficientes sur tout le territoire, en métropole comme en Outre-mer. À l’initiative du groupe parlementaire Écologie-Démocratie-Solidarité, un allongement du délai légal d’avortement à 14 semaines vient d’être voté par l’Assemblée nationale. Reste à voir comment le Sénat va se positionner sur un texte qui, en outre, n’est pas soutenu par le gouvernement.

Au regard des conséquences économiques inédites de la crise sanitaire, nous appelons le gouvernement français à agir d’urgence

Au regard des conséquences économiques inédites qui se font jour, nous demandons à ce que le gouvernement français élabore un grand plan à l’échelle nationale pour aider les femmes, premières victimes de la dépression économique. Les femmes sont aujourd’hui en France déjà les plus touchées par la précarité économique : 70% des temps partiels, 62% des emplois non qualifiés, salaires inférieurs de 25%, elles représentent 67% des travailleurs pauvres.

88% des infirmières, 90% des aides-soignantes, 90% des aides à domicile, 90% des personnels des EPHAD, 90% des caissières sont des femmes. Ce sont des métiers vers lesquels elles sont culturellement orientées, et dont la catastrophe sanitaire a démontré l’importance. Il est urgent aujourd’hui de les revaloriser et de les rémunérer à la juste hauteur de leur technicité et de leur pénibilité.

Le horaires décalés, la difficulté d’accès à des modes de garde, aggravés par la crise, fragilisent leur niveau de revenus, l’accès à l’emploi et donc à une autonomie financière.

Une mobilisation générale l’Etat et des collectivités locales est nécessaire

Nous demandons au gouvernement, aux collectivités locales et au commissariat au plan, l’adoption d’un grand plan de prévention et de lutte contre la précarité des femmes, inspiré du pacte pour lutter contre la précarité des femmes proposé par le laboratoire de l’égalité en juin 2020 :

  1. Une revalorisation significative financière et professionnelle de tous les métiers du soin, du lien humain et des services à la personne. Une incitation des entreprises et des administrations afin que les horaires des personnels d’entretien et de ménage ne soient pas concentrés sur des horaires décalés, et de fait invisibilisés avec une majoration des horaires effectués tôt le matin et tard le soir.
  2. Favoriser le partage des tâches domestiques entre les parents et sécuriser les parcours des travailleuses domestiques (secteur le plus précaire du marché du travail).
  3. Favoriser la mixité et la parité dans toutes les filières professionnelles.
  4. Une mobilisation des collectivités locales et de l’Etat afin de favoriser l’accès à des modes de garde au périmètre élargi, notamment en direction des familles monoparentales (1/3 vit en dessous du seuil de pauvreté, 85% sont des femmes), 60 % des familles monoparentales avec un enfant de moins de 3 ans ne travaillent pas à cause de l’absence de modes de garde adaptés.
  5. Un grand plan d’aide et d’accompagnement spécifique des familles monoparentales : droit opposable aux gardes d’enfants, espace de discussion de parentalité dans les entreprises, accès au logement, accès aux prestations sociales (beaucoup n’y ont pas recours).
  6. Un dispositif de lutte contre le temps partiel subi.
  7. Un plan de prévention et d’accès à la santé : travail de nuit, troubles musculo-squelettiques (8,4 % chez les femmes contre 2% chez les hommes), troubles de l’alimentation et obésité. La santé est affectée par l’éloignement de l’emploi.
  8. Accompagnement renforcé des femmes qui s’arrêtent de travailler pour s’occuper des enfants ou d’un proche, ou après un divorce pour le retour à l’emploi.
  9. Restaurer la confiance en soi : généraliser les accompagnements psychologiques dans les parcours de retour à l’emploi
  10. Une vigilance particulière devra être intégrée sur les inégalités territoriales, l’éloignement géographique est également un facteur discriminant fort.
  11. Mobiliser massivement des fonds de l’Agence Française du Développement vers les projets d’aide et de soutien aux femmes dans le monde, favorisant l’accès à l’éducation tout au long de la vie, à la santé et à la contraception, à l’emploi et à l’autonomie financière.

Sophie Haristouy et Armel Prieur
Pour la Commission Écoféminisme de Génération Écologie