Féminicides : mettre fin à l’impuissance du système patriarcal

15 juin 2021

Elle s’appelait Chahinez Daoud, elle a été assassinée par son mari en pleine rue le 5 mai 2021. Elle a d’abord été mise à terre par balles tirées en pleines jambes puis brûlée vive. Elle était la maman de trois enfants de 5, 8 et 13 ans. 

Elle s’appelait Jocelyne Royère, elle avait 55 ans et elle était mère de trois enfants, vivait près de ses parents âgés pour s’en occuper. Elle a été tuée par son compagnon à l’arme blanche à son domicile, il y a cinq jours. 

Une jeune femme de 32 ans a été abattue sur le parking du centre-ville de Monéteau dans l’Yonne par son ex-compagnon ce vendredi 11 juin. Elle avait porté plainte en début d’année et elle laisse deux enfants de 18 mois et 5 ans, dont l’un des deux était présent sur la scène de crime.

Après un ralentissement en 2020, cette période toujours marquée par la pandémie depuis le début de l’année s’accompagne une accélération terrifiante. Les féminicides se succèdent : c’est une hécatombe

A la suite de la publication des résultats de l’enquête menée par les ministères de la justice, de l’intérieur et de la citoyenneté sur le féminicide de Chahinez Daoud, la réaction du gouvernement s’est limitée à renforcer les mesures existantes (téléphones Grand Danger, bracelets anti-rapprochement), les outils mis à disposition pour protéger les victimes (fichier des auteurs et contrôle renforcé de la détention d’armes) et la coordination (au niveau national et sur les situations individuelles). 

Tout cela est nécessaire. Mais les chiffres viennent démontrer l’efficacité insuffisante de ces mesures. Les dysfonctionnements graves mis en exergue par cette enquête rendue publique le 11 juin dernier, appellent une réponse à la hauteur de l’enjeu.

Les violences conjugales et les violences intrafamiliales sont la première cause d’insécurité des personnes en FranceToute politique de sécurité intérieure digne de ce nom doit en faire une priorité visible, affichée, coordonnée et efficace.

La semaine dernière, les procureures et les procureurs ont uni leur voix pour demander des moyens supplémentaires pour pouvoir faire véritablement de ce sujet politique majeur une vraie grande cause nationale.

Les forces de police, elles-mêmes soumises à rude épreuve (45 suicides par an, 40% en détresse psychique et 25% avec des pensées suicidaires), doivent être formées, soutenues et accompagnées pour mieux prendre en compte ces signalements de mise en danger. L’association PEPS-SOS qui vient de conventionner avec le ministère de l’intérieur pour prévenir les suicides dans la police dénonce très clairement une organisation trop hiérarchique, structurée sur des rapports de domination trop verticaux et aliénants comme première source de souffrance chez les policières et policiers… comme en miroir de notre organisation patriarcale qui tue des femmes tous les trois jours.

Aujourd’hui, seule une femme sur dix victime de violences conjugales peut avoir accès à un hébergement de mise en protection voire de mise au secret quand cela est nécessaire[1]. C’est largement insuffisant et inacceptable. La mise en sécurité rapide des femmes et des enfants menacés doit être opérationnelle et très réactive partout en métropole et en Outre-mer.

La mise en protection doit être un axe prioritaire qui demande des moyens bien plus importants qui permettent un déploiement significatif des espaces d’accueil.

Elle doit se conjuguer avec une prise en charge serrée et experte des auteurs de violences conjugales, alliant pénalisation et mise hors d’état de nuire mais aussi une obligation de soin, médico-psycho-socio-éducative précoce et réactive. Dans le nord, les taux de récidives ont pu chuter de 80% grâce à une politique coordonnée mobilisant justice, police mais aussi le secteur médico-social par la mise en œuvre de décisions judiciaires d’injonction aux soins pour les auteurs. Cela nécessite l’équipement de centres spécialisés pour les auteurs (CPCA)[2] encore largement trop peu nombreux et expérimentaux.

Pour être opérationnel sur ces orientations, un grand plan de recherche et développement dans le cadre d’une coopération européenne voir internationale, permettrait de mettre en exergue toutes les expérimentations qui ont déjà fait leur preuve et de les décliner en plan Marshall de la formation. Ces accompagnements pluridisciplinaires nécessitent une expertise très pointue à tous les maillons de la chaine.

Au-delà des dispositifs et des moyens supplémentaires qu’il faut absolument dégager, des outils et des coordinations, c’est une vraie révolution culturelle qu’il faut engager pour sortir des vieux schémas de pensée et encourager une pleine et entière prise en compte de la parole des femmes et des enfants victimes dans un climat de confiance et de considération. Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a publié le 9 juin des indicateurs[3] qui mettent en évidence un véritable système d’impunité. Dans notre culture, ce qui se passe en famille reste en famille, il n’y a pas d’enquête à mener, les coupables sont connus et la parole des victimes est toujours mise en doute a priori, soupçonnée de mensonge, de vengeance ou à tout le moins d’exagération « hystérique ».

La prévention et l’éducation des plus jeunes qui sont surexposés sur les réseaux sociaux à des contenus reproduisant des schémas de violence et de relation de domination entre les femmes et les hommes doit également être un axe majeur d’une politique réellement engagée sur le sujet. L’éducation à la vie sexuelle et affective doit également être un sujet de mobilisation massive des pouvoirs publics. Le couple est un espace qui structure encore notre organisation sociale, le couple parental, séparé ou non, joue un rôle déterminant dans les dynamiques d’éducation et de transmission aux générations futures. Apprendre à aimer et à être aimer est enjeu clé de la qualité du lien social.

Enfin, une politique ambitieuse de protection des enfants, qui doivent être considérés comme des co-victimes des phénomènes de violences conjugales et des féminicides, est indispensable. Les psycho-traumas engendrés par le fait d’être confronté à des drames du quotidien nécessitent des prises en soins médico-socio-éducatives au long cours et des dispositifs de mise en protection spécifiques dédiés. Jusqu’à encore il y a peu, il était rare qu’un père auteur d’un féminicide soit dessaisit de son autorité parentale ce qui obligeait les enfants à assister à des droits de visite, même en prison, tradition patriarcale de notre système juridique. Or, dés 2015, le juge pour enfant Edouard Durand, aujourd’hui choisi par le gouvernement pour présider la commission sur la protection de l’enfance, alertait en ces termes « L’idée assez répandue qu’un mari violent peut être un bon père est une construction sociale mise à mal par toutes les études »[4].

Les fronts sont donc nombreux, les leviers à actionner aussi. Ils exigent une mobilisation collective dont les pouvoirs publics et les personnalités politiques doivent être fer de lance. Des moyens supplémentaires conséquents doivent être mobilisés. Nous exhortons le gouvernement à engager des réponses à la hauteur de cet enjeu majeur. Le droit à la sécurité et à l’intégrité physique est un besoin fondamental prioritaire. 

Sophie Haristouy


[1] Violences conjugales : des mesures contre le système d’impunité – Les Nouvelles NEWS

[2] Les centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) | La préfecture et les services de l’État en région Grand Est (prefectures-regions.gouv.fr)

[3] Vigilance égalité : Publication du premier tableau d’indicateurs sur les violences conjugales – Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (haut-conseil-egalite.gouv.fr)

[4] Violences Conjugales, un défi pour la parentalité, sous la direction de Karen Sadlier, Edouard Durand et Ernestine Ronai. Collection santé social, éditions DUNOD.