Justice pour les victimes du chlordécone

06 avril 2022

Seize ans après les plaintes, les deux juges d’instruction du pôle santé publique du Tribunal judiciaire de Paris ont annoncé le 25 mars aux collectivités et associations plaignantes leur intention de clore l’enquête sur l’empoisonnement des Antilles au chlordécone sans prononcer de mise en examen, l’orientant ainsi vers un possible non-lieu.

Pour rappel, le chlordécone est un pesticide interdit aux USA dès 1976, mais, pour protéger les intérêts économiques de l’agrochimie, seulement 14 ans après en France. Pire, bien qu’il ait été impossible d’ignorer la toxicité de ce poison, il a continué à être autorisé dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe par dérogation ministérielle jusqu’en 1993. Ce puissant pesticide a provoqué une pollution importante et durable des deux îles.

Selon Santé publique France, plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, et les populations antillaises présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde. Ces cancers de la prostate liés à l’exposition au chlordécone ont été reconnus comme maladie professionnelle en décembre 2021, ouvrant la voie à l’indemnisation d’exploitants et ouvriers agricoles. Mais ni des femmes malades qui travaillaient dans les bananeraies, ni des habitants contaminés par l’imprégnation des milieux naturels et de l’alimentation.

Auparavant, en 2006, plusieurs associations martiniquaises et guadeloupéennes avaient déposé plainte pour empoisonnement, mise en danger de la vie d’autrui et administration de substance nuisible.

Depuis 2008, le pôle santé publique du Tribunal judiciaire de Paris est chargé d’une information judiciaire, mais les juges d’instruction ont averti en 2021 que les faits seraient dans leur grande majorité prescrits.

En mai 2020, cinq cents habitants des Antilles exposés au chlordécone avaient pour leur part saisi le Tribunal administratif de Paris pour voir reconnu un préjudice d’anxiété. Se sont associées à cette action collective plusieurs organisations citoyennes et écologistes.

Dans cette affaire, parmi les parties civiles figure la collectivité territoriale de la Martinique qui avait dénoncé en octobre 2021 un scandale sanitaire d’État, avec des répercussions mortifères sur la population. 

L’association « Pour une écologie urbaine » a dénoncé la tournure que prend cette scandaleuse affaire car on s’achemine vers un déni de justice. Après quinze ans d’instruction et en l’état actuel du droit en vigueur, aucune mise en examen n’a été prononcée, ce qui laisse craindre une décision de non-lieu. 

La possible prescription de l’action publique avait déjà suscité indignation et colère dans les Antilles fin février 2021 quand plusieurs milliers de Martiniquais avaient défilé dans les rues de Fort-de-France. 

Pour Harry Durimel, maire écologiste de Pointe-à-Pitre et avocat historique des victimes du chlordécone, l’affaire n’est pas terminée. Pour ce dernier, le motif invoqué, ce n’est pas qu’il n’y a pas de coupable, c’est qu’il serait trop tard pour agir alors que l’empoisonnement massif par le chlordécone dans nos sols et nos corps est une infraction continue

Profondément respectueux de l’indépendance de l’autorité judiciaire, Génération Écologie déplore que les procédures prennent un temps infini, en particulier du fait des comportements de l’agrochimie, la justice est ainsi amenée à rendre des conclusions surréalistes.

Génération Écologie réitère sa revendication de justice pour les victimes de chlordécone, soutient les recours des plaignantes et plaignants et demande réparation. C’est possible en commençant par un changement du modèle agroécologique grâce à la capacité de la Guadeloupe et de la Martinique à construire une souveraineté alimentaire sans pesticide. La reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle par le gouvernement n’est pas suffisante. Rappelons enfin l’engagement de Yannick Jadot, candidat écologiste à l’élection présidentielle, en faveur de la dépollution des sols et de l’indemnisation de l’ensemble des victimes du chlordécone.

Génération Écologie souligne l’importance du scrutin présidentiel ce samedi 9 avril aux Antilles-Guyane pour que la population puisse dire NON à la toute-puissance des lobbys de l’agro-chimie qui méprisent le vivant et notre santé.

Vincent Defaud