La Rivière, quand la poésie rencontre le militantisme

08 décembre 2023

« Entre Pyrénées et Atlantique coulent des rivières puissantes quon appelle les gaves. » Ainsi commence le très beau film documentaire de Dominique Marchais, La Rivière, qui se distingue par sa poésie, sa simplicité et ses messages militants.

Première séquence : le gave de Pau, puis, au détour d’un plan, une présence humaine qui semble cueillir quelque chose dans les broussailles, sur la berge. Ces chasseurs-cueilleurs de l’Anthropocène ramassent en fait nos déchets plastiques à la pince à épiler – un travail de Sisyphe, mû par la nécessité de réparer et le plaisir d’être ensemble. Ce ramassage de plastiques fera l’objet d’un inventaire scientifique scrupuleux.

C’est là le premier inventaire d’un film que Dominique Marchais présente volontiers comme un « inventaire d’inventaires » : poissons et crustacés, papillons… Inventaires ô combien précieux pour mesurer ce que nous perdons. Car La Rivière est un film sur la perte empreint de solastalgie, un film qui regarde et écoute celles et ceux qui aiment et observent la rivière, qui l’ont vue changer et qui disent qu’il y a moins d’eau, moins de vie, quelque chose qui manque déjà et va manquer de plus en plus. Les gaves, sauvages il y a encore quelques années, se dégradent à vue d’œil : les champs de maïs les assoiffent, les barrages bloquent la migration des saumons… L’activité humaine tout entière bouleverse le cycle de l’eau et tue la biodiversité. 

À l’image de la rivière elle-même, le film sinue, emprunte les méandres des gaves et suit leur parcours, non pas de l’amont vers l’aval, mais à travers des nappes invisibles, selon le cycle complet de l’eau. Il rend ainsi justice aux scientifiques par qui ce paysage invisible nous est rendu sensible et fait pièce à cette fausse évidence que nous assène l’agriculture intensive, selon laquelle « si on ne prend pas toute cette eau, elle sera perdue ». De fait, en parcourant le bassin versant, tous les problèmes remontent comme par capillarité : eau potable, biodiversité, agriculture, énergie, climat, mais aussi éco-anxiété et désespoir d’une jeunesse face à l’ampleur du désastre.

Il y a malgré tout, et surtout, tout ce qu’il reste de beauté sauvage, et une puissance politique dans cette pratique de l’émerveillement. Ce film prend le parti résolu de celles et ceux qui souffrent de voir la nature mourir et la défendent. Il donne ainsi la parole à la science, à l’expérience, à la connaissance intime de ces lieux, à l’émotion – loin des éléments de langage des destructeurs. 

Or, aussi surprenant que cela puisse paraître, toutes ces actrices et acteurs qui œuvrent à la connaissance et à la protection des milieux naturels, proches par leurs affinités et leur situation géographique, ne se connaissaient pas avant que Dominique Marchais n’entreprenne de les rassembler à l’écran. « Le cinéma sert à montrer que le monde est rempli damis », disait Roberto Rossellini. 

Génération Écologie invite à organiser des rencontres autour de ce film. Que cette communauté invisible et qui s’ignore prenne conscience d’elle-même, de son nombre, de sa force, pour parler d’une voix de plus en plus puissante ! 

Édith Lecherbonnier et Cécile Faure