Fanny Verrax : “Aucun projet minier en Europe n’est conditionné par les usages”

19 janvier 2025

Une relance minière est en cours en France et en Europe : les discours arguant que la réouverture des mines permettrait de lutter contre le réchauffement climatique et de réduire les émissions de gaz à effet de serre sont-il justifiés ? Que renferment les critiques à l’égard des opposants à l’extractivisme ? Que faut-il penser du projet de mine de lithium à Échassières dans l’Allier ?
Entretien avec Fanny Verrax, professeure en transition écologique à l’EM Lyon Business School, philosophe, spécialiste de la gouvernance des ressources minérales et membre du conseil national de Génération Écologie.

A-t-on besoin d’ouvrir des mines pour sauver le climat ? 

Fanny Verrax : Pour répondre à cette question, un détour par la chronologie est très utile. La décision de relancer l’activité minière en France et en Europe a précédé le récit de la transition écologique. Suite à l’annonce de la Chine en 2010 d’une diminution de 40% de ses quotas d’exportation de terres rares et d’autres événements géopolitiques, en 2011 la France a créé le COMES, le Comité pour les Métaux Stratégiques. L’enjeu est clair : c’est l’approvisionnement en métaux pour l’industrie française et plus largement européenne. En 2012, Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, annonce un projet de renouveau minier français, en mettant toujours en avant des enjeux économiques et géopolitiques, de souveraineté. C’est ce qu’explique Jean-Baptiste Fressoz dans le Monde dans sa tribune intitulée D’où vient cette idée, que pour sauver le climat, il faut absolument ouvrir des mines ? . Mais on se rend compte alors que le premier obstacle à la relance minière va être l’acceptabilité sociale. En 2015 un groupe de travail est formé pour travailler sur la nouvelle mine dite “responsable”. Mais dès septembre 2015, deux des principaux acteurs associatifs, France Nature Environnement et SystExt (Systèmes Extractifs et Environnement), une association pluridisciplinaire regroupant notamment des géologues et des ingénieurs miniers, estiment que le concept de mine responsable n’est pas encore mûr et préfèrent quitter le groupe de travail plutôt que de valider une démarche qui leur paraît largement insuffisante.

Enfin, la dernière étape sera d’affirmer que non seulement la nouvelle mine va être responsable, donc avec une minimisation des impacts environnementaux, mais en plus elle va servir à extraire les métaux de la transition écologique. 

C’est vrai en partie, les métaux extraits vont être utilisés pour de la décarbonation. Mais il faut être vigilants sur deux points :  le premier c’est ce qu’on appelle le “tunnel carbone”, c’est-à-dire le fait de réduire tous les enjeux environnementaux aux enjeux climatiques : ce n’est pas parce qu’on décarbone que c’est forcément bénéfique pour les autres limites planétaires. Le deuxième, c’est que l’on passe sous silence tous les autres usages de ces métaux qui ne sont pas du tout pour la transition écologique et qui sont par exemple pour des usages militaires, numériques, etc. Célia Izoard le démontre dans son livre La ruée minière au XXIème siècle où elle explique que, très souvent, on a associé transition énergétique et transition digitale. Pourtant ce n’est pas du tout le même objectif ! 

Mais aujourd’hui, aucun projet minier en Europe n’est conditionné par les usages. La transition écologique sert donc à la stratégie de communication qui a pour objectif d’accroître l’acceptabilité sociale des projets miniers. D’ailleurs, je trouverais très intéressant d’avoir une relance minière coordonnée au niveau européen et conditionnée à des usages. 

On entend beaucoup parler du projet de mine de lithium de la société Imerys à Echassières dans l’Allier, peux-tu nous parler de ce projet ? 

Fanny Verrax : L’entreprise Imerys exploite déjà une carrière de kaolin à Échassières, toujours en activité. Ils savent depuis longtemps qu’il y a du lithium dans le sous-sol. Si on en parle maintenant, c’est parce que le cours du lithium a augmenté en raison des nouvelles applications technologiques, notamment les batteries Li-ion, et que ça devient rentable de l’extraire là où ça ne l’était pas il y a 20 ans. 

En 2018 l’inventaire du BRGM (Bureau de recherche géologique et minière en France) fait état de cette présence de lithium à Échassière. Et 4 ans plus tard, le 24 octobre 2022 Imerys  annonce le projet d’ouvrir une mine de lithium. Comme c’est un projet d’envergure, ils sont obligés de passer par la Commission nationale du débat public (Aujourd’hui un projet de décret vise à modifier les catégories de projets soumis à la Commission nationale du débat public et à en extraire les projets industriels)  Le débat public s’est terminé fin juillet 2024, le compte rendu est paru en septembre. 

La chronologie, là aussi, est intéressante, puisqu’alors que le débat public n’était pas terminé, le gouvernement a décidé de classer le projet de mine de lithium en Projet d’intérêt national majeur (PINM) le 7 juillet 2024, le jour du second tour des élections législatives, dans l’indifférence totale… Le fait de qualifier le projet de PINM permet d’accélérer les délais et d’obtenir des dérogations au niveau environnemental. L’Espagne a fait de même avec un certain nombre de ses projets miniers. 

L’annonce de ce projet a reçu des réactions très différentes : un soutien – très fort – de la part de la préfecture de l’Allier, qui normalement n’est pas censée se prononcer et manifester son soutien – ou son opposition – tant que la procédure est en cours.  

Les élus locaux sont plus divisés, pour différentes raisons. Beaucoup y voient une opportunité de développement économique et de revitalisation d’un territoire rural, d’autres, parfois les mêmes, sont sensibles au fait que le code minier ne prévoit de retombées fiscales que pour la commune dans laquelle est implantée l’exploitation. Or ce qu’ont fait valoir beaucoup de maires c’est que les communes limitrophes vont subir les impacts négatifs de la mine et vont accueillir les populations qui vont travailler à la mine. Elles ont donc négocié auprès du Département et de l’entreprise pour obtenir des budgets supplémentaires afin, par exemple, de maintenir les écoles ouvertes pour accueillir les enfants des salariés qui viendront travailler à la mine dans quelques années. 

Il y a également des réactions de contestation d’associations citoyennes :  Stop Mines 03 et  Préservons la forêt de Colettes, qui insistent sur les risques pour l’approvisionnement en eau et pour la biodiversité. Je me suis également entretenue avec France Nature Environnement, car je trouvais qu’ils n’étaient pas très vocaux sur le sujet. Ils m’ont répondu, que bien sûr ils aimeraient que cette mine ne se fasse pas, mais que comme elle va quand même très probablement se faire, ils préféraient être sur des demandes de contreparties et de conditions, plutôt que de simplement s’opposer. Il y a une forme de défaitisme ou de réalisme de la plupart des acteurs, car rien ne semble se mettre en travers du chemin de l’ouverture de cette mine.

Que peux-tu nous dire sur la société Imerys qui porte le projet de cette mine ? 

Fanny Verrax : Imerys est une entreprise française, même si la plupart des actionnaires ne le sont pas. En France, il existe plusieurs carrières en activité exploitées par Imerys : exploitation de talc à Luzenac en Ariège, ou d’andalousite à Glomel dans les Côtes d’Armor.

Petit aparté sur l’acceptabilité : la distinction entre mine et carrière est dans le code minier où il est dit que l’extraction de tels matériaux sera qualifiée de mines, et tels autres de carrières. Dans les faits, les deux peuvent se matérialiser de la même façon, mais dans l’imaginaire collectif les carrières bénéficient d’une meilleure acceptabilité que les mines. 

Dans le documentaire réalisé sur sur la carrière d’andalousite à Glomel, les journalistes disent qu’Imerys aimerait bien se présenter comme une petite entreprise familiale, le fleuron des PME françaises. Mais dans la réalité, il s’agit bien d’une multinationale qui exploite des mines partout dans le monde, avec un chiffre d’affaires de 3,8 milliards d’euros en 2023. Ils sont les leaders mondiaux de l’extraction des métaux de spécialité, c’est-à-dire des métaux  assez peu connus du grand public, qui ont des usages industriels. 

Est-ce qu’ouvrir une mine de lithium en France pourrait répondre aux besoins du pays en lithium dans le cadre de la transition énergétique ? 

Fanny Verrax : Eh bien tout dépend des usages ! Imerys annonce que cette mine va permettre d’équiper l’équivalent de 700 000 véhicules électriques par an, durant 25 ans, avec possibilité de  prolonger. Il y a environ 38 millions de véhicules immatriculés en France aujourd’hui. Donc la mine ne permettrait pas de renouveler l’entièreté du parc de véhicules français actuel, mais effectivement, elle rendrait l’industrie française et européenne moins dépendante. Rappelons qu’au niveau européen on s’est engagé par ailleurs, et c’est une bonne chose, à ne plus commercialiser de véhicules thermiques à partir de 2035. 

Mais il y a plusieurs choses à considérer pour recontextualiser ce chiffre de 700 000 voitures par an, notamment le poids et l’autonomie des véhicules. En effet, les voitures n’arrêtent pas de grossir ! D’après l’ADEME, la masse moyenne est passée de 953 kg en 1990 à 1 233 kg en 2022. C’est une augmentation de 280 kg, soit 30 % ! Si on continue sur cette lancée, le lithium extrait à Echassières ne permettra pas d’équiper 700 000 véhicules par an. Autre aspect à prendre en compte, l’autonomie. La demande d’une majorité de consommateurs concernant la voiture électrique, c’est d’avoir plus d’autonomie. Mais entre un véhicule qui a 200 km ou 400 km d’autonomie, la quantité de lithium n’est pas la même. Et entre un VAE (vélo à assistance électrique) et une Tesla, le rapport est plutôt de 1 à 1000 ! 

Donc est-ce que la mine d’Imerys peut couvrir les besoins de lithium de la France ? Si l’objectif est de remplacer tous les véhicules thermiques actuels par des véhicules électriques, non ça ne fonctionnera pas, il faudra quand même importer du lithium, et beaucoup d’autres métaux (nickel, manganèse, cobalt, uniquement pour la batterie). En revanche, si le projet c’est de remplacer un véhicule sur 3 et qu’on utilise le lithium restant pour des vélos électriques ou de la petite mobilité douce, là oui c’est possible. Avec la mine d’Echassières, il serait possible d’équiper tous les français, et même tous les européens, en vélos électriques ! Bien sûr, il y a des populations et des territoires pour lesquels l’alternative en mobilités douces n’est pas envisageable dans l’état actuel des infrastructures. Mais rappelons que 42% des Français dont le lieu de travail se situe à moins de 1km de leur domicile s’y rendent en voiture, et 60% des déplacements domicile-travail de moins de 5 km se font en voiture. Diviser par 3 le nombre de voitures individuelles (et donc de métaux nécessaires à leur fabrication) est donc un objectif tout à fait possible et réaliste ! 

Pour être très claire sur ma position, il ne s’agit pas d’être pour ou contre le projet de mine de lithium à Echassières en général, mais bien par rapport à des usages. Si le projet est d’ouvrir de nouvelles mines en France et en Europe pour continuer à rendre possibles des usages de surconsommation et d’addiction à un mode de transport, la voiture individuelle, qui est une véritable gabegie de ressources, alors je suis contre, car les nouvelles mines ne remplaceront pas mais s’ajouteront aux mines existantes dans les pays du Sud. En revanche, s’il s’agit d’un projet minier qui s’accompagne d’une réflexion nationale ambitieuse sur les usages, jouant sur de multiples leviers (renforcement des infrastructures pour les modes de transport doux, fiscalité, réglementation, etc.) dans une perspective de décroissance de notre consommation globale d’énergie et de ressources, alors ça peut se discuter, à condition bien sûr que tout soit mis en oeuvre pour minimiser les impacts sur le territoire et les populations.  

Quels sont les risques pour les populations et les impacts environnementaux de la mine Imerys à Échassières? 

Fanny Verrax : Dans le secteur minier, entre ce qui est annoncé et ce qui se passe réellement, il y a souvent un décalage. On le voit bien dans le reportage sur l’exploitation Imérys en Bretagne et on ne sait pas trop si la réaction des pouvoirs publics relève de l’ignorance ou de la complaisance. Cette enquête pose notamment la question de l’eau, qui est une question très importante dans le cas du projet de mine de lithium dans l’Allier, parce qu’il y a 4 bassins versants qui sont impliqués et que les prélèvements en eau pour cette mine seront significatifs.

Sur le site Imerys en Bretagne, à 2 km en aval du site, les concentrations en cadmium, en plomb, etc. dans l’eau explosent. Et il s’agit d’eau qui est utilisée par la population pour leur consommation. Les pouvoirs publics sont en train de débloquer des fonds pour aller chercher l’eau ailleurs mais sans dire que c’est parce que la mine pollue et met en danger les populations. Là, il y a une vraie omerta. 

L’argument phare d’Imerys pour rassurer à Echassières c’est le fonctionnement en circuit quasi fermé, avec un taux de recyclage de l’eau compris entre 85% à 95%. Ce serait du jamais vu pour des exploitations minières, d’après les ingénieurs miniers que j’ai pu consulter. Même pour une installation industrielle classique, ça paraît très peu probable. Je ne dis pas que c’est impossible, simplement que je n’ai trouvé aucun ingénieur ou expert en-dehors d’Imerys ayant déjà vu un tel taux de recyclage de l’eau dans une mine.

L’autre grand sujet, ce sont les déchets miniers. On distingue entre les stériles et les résidus. Les stériles ce sont les  roches dont on n’a pas besoin, c’est-à-dire sans valeur commerciale, mais qu’il faut sortir pour atteindre la roche d’intérêt. À Echassières, ce sont principalement des granites qui ne présentent pas de dangerosité particulière mais ils prennent beaucoup de place, et ils seront utilisés en partie pour remblayer “le trou de la mine” selon Imerys. 

Les résidus c’est ce qu’il reste une fois qu’on a traité la roche d’intérêt pour extraire le métal. Dans le cas de la mine d’Echassières, la roche sera traitée de façon chimique, à l’acide sulfurique. Ces résidus miniers ne sont donc pas inertes, présentent une dangerosité bien réelle, et Imerys n’a toujours pas indiqué ce qu’ils en feraient, si ce n’est qu’ils seraient transportés par train dans les environs, probablement dans d’anciennes carrières… 

Il y a de plus une forêt à côté, la forêt des Colettes, constituée d’une hêtraie avec de nombreux arbres remarquables, et dont une partie est classée Natura 2000. Ce serait le principal impact de la mine sur la biodiversité que l’on peut imaginer. 

Il y a de bons arguments contre cette mine, mais que répondre quand on nous dit : “vous les écologistes vous êtes contre tout ” ? 

Fanny Verrax : Vaste question !  Si on se concentre sur  la question de la relance minière, il y a quatre narratifs qui permettent de justifier et légitimer la relance minière en France et en Europe : l’argument de la transition énergétique et de la décarbonation, l’argument de souveraineté géopolitique, l’argument moral (“il faut qu’on arrête de faire porter nos externalités sur les pays du Sud”), et l’argument de la mine responsable qui consiste à dire qu’aujourd’hui, en Europe, on sait faire des mines avec beaucoup moins d’impacts et qu’il n’y a donc plus de raison de s’opposer. 

Donc,  avant même qu’un projet de mine voie le jour, il y a ces quatre narratifs qui sont portés par les pouvoirs publics, par l’industrie et par une partie des médias. Le riverain ou le citoyen qui voudrait émettre un doute, même sans parler de s’opposer frontalement, est donc jugé en creux comme étant contre la transition écologique, contre la souveraineté de son pays, contre le progrès technologique et contre le fait de soulager les pays que nous avons déjà largement pollués. En termes de trame narrative, c’est extrêmement bien ficelé. Cela nous enferme dans un schéma, et nous empêche de proposer une autre voie, défendue par certains partis écologistes.

Plus généralement, sur cette accusation ou critique qu’on entend souvent selon laquelle “les écolos seraient contre tout”, il faut distinguer entre une écologie politique et une écologie scientifique. L’écologie scientifique c’est un ensemble de constats et de cadres théoriques très largement partagés par des scientifiques de disciplines, d’institutions et de pays différents. Le constat du dépassement des limites planétaires, on n’a pas à être pour ou contre. 

Sur la réponse à apporter face à ces constats en revanche, c’est là le rôle de l’écologie politique. On pourrait dire que le dénominateur commun de tous les courants de l’écologie politique, c’est la centralité accordée à la question environnementale et à l’enjeu de l’habitabilité du monde, et il y a bien plusieurs registres et horizons qui se mettent en place. La croissance verte portée par l’innovation technologique en est un, la décroissance et la nécessité de sortir d’un schéma productiviste en est un autre. Et en effet, quand on regarde les réponses et les préconisations de chaque communauté de l’écologie politique, il y en a toujours une qui va être en désaccord avec un projet spécifique.

Donc si on simplifie à outrance, sans distinguer les courants de l’écologie politique,  on peut effectivement clamer: “ah ben les écolos ils sont toujours contre tout” ! Généraliser les positions des partis et des communautés écologistes est une erreur qu’on ne peut plus faire en 2025, sauf à vouloir les dénigrer.

Propos recueillis par Cécile Faure