21 février 2025
Trois ans après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, Génération Écologie appelle à rejoindre les mobilisations partout en France ce week-end en soutien à la résistance du peuple Ukrainien. Alors que Poutine et Trump engagent des négociations sur le dos de l’Ukraine et sans l’Europe, entretien avec Volodymyr Kogutyak, vice-président pour l’Europe occidentale du congrès mondial Ukrainien.
Quelle est la réaction de la population ukrainienne face au revirement de la nouvelle administration Trump ?
Volodymyr Kogutyak : Tout d’abord je vous remercie pour cette proposition d’interview. La guerre en Ukraine a véritablement démarré il y a onze ans. Et depuis onze ans, c’est la deuxième fois qu’on se retrouve avec Donald Trump président des États-Unis. L’Ukraine comprend qu’aujourd’hui, il pourrait y avoir des coupures d’aide américaine à tous les niveaux, surtout au niveau de l’armement. Bien évidemment, cela nous inquiète. Mais en 2023, nous avons eu pendant six mois un blocage total des aides américaines, et durant les six mois restants, nous avons reçu seulement 10 % de tout ce qu’on nous avait promis. Et l’Ukraine a quand même réussi à survivre, je pense que c’est le mot le plus adapté, durant une année quasiment sans aide américaine. Et bien évidemment, nous allons continuer à nous battre.
La question qui se pose désormais est autre : comment l’Ukraine pourra s’en sortir sans l’aide des États-Unis et sans une aide accrue de l’Europe ? Sans cela l’Ukraine fait face à des risques à très court terme. Ce qui va être important aujourd’hui et dans les prochains mois, c’est de prendre conscience de la réalité de la situation : l’Europe a perdu un allié très précieux, les États-Unis, et la Russie a retrouvé de grands alliés qui l’aident pleinement au niveau de l’armement, comme l’Iran, la Chine. Ils ont également retrouvé des partenaires qui sont en train de se battre sur le terrain en Ukraine, qui sont en train de tirer sur les soldats ukrainiens. Et aujourd’hui, si l’Europe ne prend pas conscience du danger qui l’attend, elle pourrait rentrer dans un conflit direct avec la Russie.
Je m’explique : si on regarde l’histoire de la Russie, on se rend compte que jamais la Russie n’a attaqué un pays fort ou un continent fort. Quand ils ont attaqué l’Ukraine en 2014, c’est au moment où l’Ukraine n’avait pas de président, pas de budget, et alors que l’armée ukrainienne était complètement détruite par l’ancien président qui s’est enfui en Russie, Ianoukovytch. C’est à ce moment de faiblesse totale du pays que la Russie rentre en Crimée, puis dans le Donbass. Aujourd’hui, l’Europe est divisée et refuse de croire qu’une guerre sur le territoire européen est possible. C’est peut-être le meilleur moment de faiblesse pour que la Russie s’attaque à l’Europe.
J’étais il y a quelques semaines au Sénat. Il y avait des représentants de l’OTAN, des généraux français, des spécialistes en armement qui étaient présents. Tout le monde est conscient de la situation et sait qu’une attaque de la Russie est réellement possible. Toutefois, quand on leur pose des questions, “est-ce que nous avons une armée, est-ce que nous avons de l’armement, un budget ?”, tout le monde répond que nous n’avons pas d’armée en Europe, pas d’armement, pas de budget.
On ne peut pas à la fois être conscient qu’une guerre peut arriver en Europe et à la fois ne pas se préparer. Se préparer, cela veut dire trois choses. La première, c’est bien évidemment s’armer. Pas seulement armer l’Ukraine, continuer à armer l’Ukraine, mais s’armer soi-même. La deuxième chose, c’est de pouvoir faire comprendre à la population qu’une guerre en Europe est possible. Ce que d’ailleurs essaie de faire depuis quelques jours le président français et ce que font aussi d’autres partenaires en Europe. En Suède par exemple, ils ont distribué à la population un petit guide qui explique comment réagir en cas de guerre. Et la troisième chose, c’est que l’Europe montre sa force à la Russie. Si nous montrons que nous sommes forts, ils n’attaqueront jamais l’Union européenne. Mais si nous ne le montrons pas, ils pourront le faire et ils pourront le faire très vite. Pour montrer sa force, l’Europe doit rester unie y compris au niveau politique. C’est compliqué quand on a des extrêmes droites et des extrêmes gauches qui travaillent pour la Russie. Mais les autres partis politiques doivent être unis. Et la population doit être unie.
Nous devons aussi faire quelque chose qui, à mon sens, est extrêmement important, c’est de pouvoir envoyer des forces militaires de paix sur le territoire ukrainien. Parce qu’ainsi on montrera que l’Europe est unie et forte, et n’a pas peur.
Quel est l’état des forces morales aujourd’hui en Ukraine ?
Volodymyr Kogutyak : J’ai été cet été à Kherson, à Mykolaïv, deux villes qui étaient sous occupation Russe. Quand vous discutez avec des gens sur place, dès que vous posez la question “Comment on peut vous aider, qu’est-ce qu’on peut faire pour vous ?”, tout le monde répond la même chose : “Tout va bien pour nous, tout va très très bien.” Ce n’est pas tant la situation qui est bonne, c’est plus que les gens s’auto-persuadent que tout va bien et se battent pour pouvoir se sentir bien et pour que le moral soit au plus haut. Pour le dire autrement, on n’a pas le droit aujourd’hui d’abandonner, pas pour des questions morales ou politiques ou autres, mais pour des questions de survie, tout simplement.
Si l’Ukraine en tant que nation, si la population souhaite survivre, la seule solution c’est de garder le moral au plus haut et de continuer à se battre. Et c’est la même chose pour les soldats ukrainiens qui, je le rappelle, sont sur le front depuis trois ans, parfois même depuis onze ans. Après onze ans sur le front, ces soldats ne pourront plus jamais revenir à une vie normale. Par contre, quand vous discutez avec eux, ils gardent le moral et espèrent que prochainement, l’Ukraine gagnera cette guerre et qu’il y aura la paix en Ukraine.
Que peut faire la société civile française pour les Ukrainiens et pour les réfugiés ukrainiens ?
Volodymyr Kogutyak : Tout d’abord, je souhaiterais dire un grand merci à toutes les personnes qui ont aidé les réfugiés ukrainiens, un grand merci à la fois à la France et à l’Europe, pour cette aide. Et je rappelle qu’il ne s’agit pas uniquement de l’État français qui a aidé, mais aussi de la population, des gens qui sont allé à la frontière dès les premiers jours, qui ont récupéré des familles, les ont ramenées dans leur village, leur ont trouvé un logement, fourni des repas et permis aussi de commencer, temporairement, bien sûr, une nouvelle vie, c’est-à-dire trouver une petite occupation, du travail ou autre.
Nous avons reçu une aide incroyable, en fait, pas seulement en France, mais partout en Europe, aux États-Unis, au Canada, une aide, une solidarité qui était hors norme. Tout le monde a été très surpris qu’on puisse aussi rapidement et aussi efficacement s’adapter et accueillir autant de personnes d’un pays en guerre.
Mais comme je le disais précédemment, ce qui va aider maintenant, c’est que tout le monde en Europe prenne conscience de la réalité de la situation actuelle.
Propos recueillis par Cécile FAURE