Éric Lagadec : “L’humanité ne peut pas vivre sur Mars”

14 mars 2025

Éric Lagadec est chercheur à l’Observatoire de la Côte d’Azur et auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation d’astrophysique. Il est aussi connu pour son humour décapant sur les réseaux sociaux et dans son spectacle, en duo avec Guillaume Meurice, “Vers l’infini (mais pas au-delà)” en tournée en ce moment en France. Il a accepté de répondre aux questions de Génération Écologie sur la place que prend la conquête spatiale dans la politique de Trump, sur la censure que subissent désormais les scientifiques Américains, sur la conquête du ciel par Elon Musk et sur la place que devrait avoir l’écologie dans la politique.

Dans son discours d’investiture Trump a érigé la conquête de Mars comme un objectif national majeur, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Eric Lagadec :  Je vais être franc, si je fais de la vulgarisation scientifique, c’est parce que la planète va mal et qu’on a besoin de comprendre les sciences. Ça devient une mission pour moi. Dans la question, il y a un mot qui me gêne énormément, c’est le mot “conquête”. Je suis à fond pour l’exploration du système solaire, pour qu’on essaye de comprendre, pour aller sur Mars et voir s’il y a eu de la vie là-bas. Parce que si on trouve qu’il y a eu de la vie sur Mars, c’est la plus grande des révolutions scientifiques : si la vie est apparue dans deux endroits différents, alors on pourra penser qu’il y a de la vie partout dans l’Univers. 

Par contre, si on y va pour conquérir Mars et donc saccager la planète comme on a pu le faire pour la Terre, il n’y aurait plus aucun espoir de faire ce genre de découverte scientifique car l’humain détruirait les traces de vie ancienne en quelques années.

Au contraire des Européens qui parlent d’exploration spatiale, les Américains utilisent souvent le mot conquête. Or je pense que l’espace est un bien commun. De même, quand on reparle d’aller sur la Lune, ou sur des astéroïdes, la raison est celle des ressources et de l’exploitation des minerais. 

Finalement, la conquête de Mars reviendrait à déplacer le problème qu’on est en train de créer sur Terre. On a des ressources qui sont finies et on veut avoir une croissance infinie ! Je pense que ça vous parle, c’est une belle connerie.

Mais penser qu’on va pouvoir s’en sortir en allant ailleurs, ce n’est pas une bonne idée. Si on continue à avoir une croissance comme actuellement, au bout d’un moment, on aura besoin de toute l’énergie du Soleil et de toute l’énergie de la galaxie. Ça ne marchera plus. Et ça va vite. C’est une exponentielle et les gens ne s’en rendent pas compte. Je trouve que le film Don’t Look Up présentait bien ce problème. 

Peux-tu nous parler de Mars ?

Eric Lagadec : Le gros problème de Mars, c’est que c’est loin. Il faut un ou deux jours pour aller sur la Lune, mais plusieurs mois pour se rendre sur Mars. Et on ne peut pas y aller n’importe quand parce que la Terre et Mars ont des orbites proches tous les deux ans environ. 

« À côté de Mars, l’Antarctique c’est le Club Med »

Mars a une température de -60°C en surface en moyenne.  J’aime bien faire l’analogie avec les gens qui font des études en Antarctique, au Dôme C. Quand ils me racontent qu’ils passent des hivers à  -80°C, ils me disent que c’est de la survie, c’est plus de la vie. À côté de Mars, l’Antarctique c’est le Club Med, parce que l’atmosphère terrestre nous protège de toutes les radiations cancérigènes.

Personnellement, ça ne me fait pas rêver une seconde de me dire qu’on va aller vivre sur une planète comme Mars. Trump arrive à faire croire qu’on peut y vivre. Mais bien évidemment, il y aura une sélection, il n’enverra pas les plus pauvres. Mais quelque part, j’ai envie de dire « Emmenez-y tous les riches, c’est peut-être la solution. Allez-y tous ensemble. » Comme ça on va pouvoir revivre ensemble. C’est peut-être la solution… 

Trump fait des effets d’annonce en permanence. Il sait très bien qu’internet a la mémoire courte. Donc j’imagine que tous les ans, il va faire des annonces : il dira d’abord qu’il enverra 100 000 personnes, puis un million dans 20 ans. Et 10 ans après, on se rendra compte que rien n’a avancé, que ce n’est pas faisable. Il fait des annonces un petit peu comme Steve Jobs à l’époque. Peu importe ce qu’il racontait, tout le monde faisait « waouh ». Il a ce côté gourou qui fait très peur, mais surtout le côté gourou qui déplace le problème. Parce que pendant les 10 ans pendant lesquels les gens vont attendre d’aller sur Mars, on continuera à polluer la Terre. Pour moi, ça, c’est le principal danger : qu’on continue à rendre la Terre moins hospitalière pour l’être humain. C’est une vision court-termiste de la vie, qui est présentée sous couvert pseudo-scientifique, avec pour seul objectif de se faire de l’argent.

Justement est-ce que derrière tout ça, est-ce qu’il n’y a pas l’idée qu’il est possible de faire un Earth Exit ?

Eric Lagadec : L’humanité ne peut pas vivre sur Mars. Et encore moins sur des exoplanètes (NDLR : planètes en dehors du système solaire) car elles sont trop lointaines. La plus proche est une planète autour de l’étoile Proxima du Centaure.  Avec la technologie actuelle, il faudrait 76 000 ans pour s’y rendre.

Comme le disait Carl Sagan : “si l’Univers avait un an, l’être humain arriverait le 31 décembre, quelques secondes avant minuit”. Nous venons d’arriver et en même temps nous sommes la seule espèce qui a pris conscience de ses origines cosmologiques. En mettant notre intelligence commune au travail, on a réussi à comprendre cela.

Mais nous sommes aussi la seule espèce à être capable de s’auto-détruire tout en en ayant conscience. Dans le spectacle avec Guillaume Meurice on dit que deux choses sont infinies, l’Univers et la connerie humaine, mais je suis pas sûr pour la première, c’est ce qu’aurait dit Einstein. Donc on essaie de savoir qui a le plus gros infini, je suis désolé, mais…c’est la connerie qui gagne. Très clairement.

Que peux-tu nous dire concernant les agences américaines scientifiques qui sont attaquées?

Eric Lagadec : Nous, en astrophysique, on est moins touchés que les sciences du climat, même si des coupes budgétaires vont être faites à priori sur le James Webb Telescope et sur d’autres projets. Mais ce qui me fait très peur, c’est ce qu’ils font sur les sciences du climat. C’est l’ère de la post-vérité, on casse le thermomètre pour ne pas montrer qu’on a chaud.

« On n’a jamais vécu une telle guerre contre les sciences »

La France doit faire quelque chose : trouver un moyen de récupérer toutes les données qui vont être effacées et accueillir les scientifiques qui sont en train de se faire virer. Je pense qu’on n’a jamais vécu une telle guerre contre les sciences alors qu’on est face aux plus gros défis scientifiques de l’humanité.

Mes collègues américains ont vraiment peur. Trump son truc, c’est “drill, drill, drill”. On sait très bien pourquoi il veut racheter le Groenland : parce qu’il est en train de fondre, et que donc on va pouvoir récupérer ce qui se trouve dans son sol. En fait, j’ai l’impression de vivre Mad Max. Et ce qui me fait peur aussi, c’est que dans le débat politique français, l’écologie est devenue un hobby. On n’en parle plus. Je ne sais pas si vous connaissez la fenêtre d’Overton, c’est ce qui va définir ce dont on peut parler ou pas. Elle s’est décalée vers des sujets qui sont presque insignifiants, alors que les vrais problèmes, on n’en parle pas.

Moi, ça me choque qu’on ait besoin d’avoir un parti écologiste en France. Pour moi, ça devrait être la base de tout. Pour moi, l’écologie, ce n’est plus un choix, c’est un devoir. On doit trouver ensemble des solutions maintenant pour que la vie dans les années à venir soit la moins pire possible. La transition, plus on la fait tôt, plus on la choisit, et plus on la fait tard, plus on la subit. C’est ce que disent les scientifiques du GIEC. Et là, ils sont attaqués. Les scientifiques américains n’ont même plus le droit de participer au GIEC.

« avec Starlink, Musk est en train de s’approprier le ciel
qui est le plus vieux héritage commun de l’humanité« 

Et il y a un autre point important, c’est qu’avec Starlink, Musk est en train de s’approprier le ciel qui est le plus vieux héritage commun de l’humanité. C’est un peu le même problème que les bassines : c’est un bien commun que certaines personnes s’approprient. Et avec la façon dont est réglementé l’espace, pour pouvoir lancer des satellites, il faut avoir l’approbation du pays d’où on lance. Là, la position de Musk l’assure de pouvoir faire ce qu’il veut. Donc, depuis le début de l’ère spatiale, il y a eu 6 000 satellites lancés. Musk prévoit d’en envoyer 42 000 à lui tout seul. Ces satellites redescendent dans l’atmosphère et on est en train de se rendre compte que la quantité d’aluminium augmente dans l’atmosphère. Et ça pourrait, là, j’utilise bien le conditionnel, ça pourrait avoir un impact majeur sur la plus haute zone de l’atmosphère. Les débris d’aluminium qui tombent, ça ne peut pas servir en géo-ingénierie. En fait, la géoingénierie, c’est le nouveau climato-scepticisme. Parce que c’est toujours difficile de changer les équilibres qui ont eu des millions ou des milliards d’années à se mettre en place, ce sont des équilibres compliqués.

C’est aussi pour ça que je vulgarise l’astronomie, pour qu’il y ait cette prise de conscience que si on est là aujourd’hui, c’est parce qu’il y a un voyage qui a commencé avec le Big Bang et que les 13,8 milliards d’années passées depuis ont conduit à un équilibre assez étonnant sur cette belle planète. Il faut prendre conscience de ça, qu’on est sur un caillou qui flotte autour d’une étoile qui tourne au milieu d’une galaxie avec plein de trucs partout autour. On ne sait pas s’il y a de la vie ailleurs, mais on sait qu’il y en a là, donc ça serait quand même con de la détruire.

J’ai une petite pensée pour les dinosaures, eux, ils n’ont rien fait, ils ont disparus. Ils n’étaient au courant de rien. Alors que nous, on est pleinement conscient, et on n’est pour l’instant incapable de changer de direction.

Propos recueillis par Cécile FAURE