Guy Moreau : « Le remède aux pesticides, c’est de passer à l’agriculture biologique »

22 mars 2025

Guy Moreau est agriculteur bio à la retraite, Président de Bio Nouvelle Aquitaine. Dans le cadre de la Semaine des alternatives aux pesticides qui se tient du 20 au 30 mars 2025, il revient avec nous sur les raisons de son engagement pour l’agriculture saine, sans pesticides.

Dans ta vie professionnelle, tu as fait un choix important, passer en bio, est-ce que tu peux nous raconter ce qui t’a motivé initialement ?

Guy Moreau : Ce qui m’a motivé pour passer en bio, c’est d’une part l’arrêt des pesticides car leur utilisation était quand même problématique en termes de santé, pour l’utilisateur déjà, et pour l’environnement et pour les populations autour évidemment.

Parce qu’en fait l’agriculteur c’est le premier concerné par les problèmes de cancers liés aux pesticides. Quand je vois le nombre d’agriculteurs que je connais entre 60 et 65 ans qui sont décédés à ces âges-là, c’est quand même lié à des problèmes environnementaux et notamment les pesticides, ça c’est évident. Ça s’explique par le fait que l’agriculteur est le premier exposé et l’est au quotidien finalement.

De ton engagement personnel à changer tes pratiques, tu es devenu président de Bio Nouvelle-Aquitaine, est-ce que tu peux nous raconter pourquoi c’était important pour toi ?

Tout simplement parce que je pense que le remède au problème des pesticides, il y en a qu’un seul. C’est de passer en agriculture biologique, or l’agriculture biologique il faut la défendre il faut la developer. Or, on voit bien qu’elle est combattue, notamment par les lobbies des pesticides. Donc je me suis engagé au niveau régional parce que je sentais bien que l’agriculture biologique était en danger dans l’ambiance générale aujourd’hui, avec une augmentation très nette des revendications anti-normes et anti-environnement.

Ce que tu dis sur les lobbies et sur le retour en arrière sur l’utilisation des pesticides, on le constate en ce moment avec la loi Duplomb en cours d’examen au parlement 

La loi Duplomb, c’est une loi qui a été mise en place à la suite des manifestations agricoles qui ont débuté en janvier 2024. Lesquelles manifestations, sur le point de départ, étaient bien liées aux problèmes de revenus des agriculteurs, et qui ont été récupérées par un certain nombre de syndicats agricoles, notamment la FNSEA, pour en faire un combat anti-normes et pro-pesticides.

Un certain nombre de politiques, dont le sénateur Duplomb, ont alors repris ce sujet pour en faire une loi qui est quand même un festival anti-normes, qui est quand même un retour en arrière de 30 ans sur la manière de produire.

Il est d’ailleurs marquant que le premier article de la proposition de loi, ce soit la fin de la séparation entre le conseil et la vente de produits phytosanitaires

Oui, alors déjà ça, ça pose une volonté politique. Il faut déjà savoir que cette loi de séparation du conseil et de la vente avait été certes votée, mais sa mise en application était déjà limite. Et là, maintenant, au vu de cette proposition de loi, il est clair que c’est un retour volontaire et determiné en arrière. Donc le conseil indépendant, il n’existe plus après cette loi.

Et pourtant, la sortie des pesticides, la reduction des intrants, l’agriculture bio, ce serait possible partout en France…

Ce qu’il faut savoir c’est que dans la loi d’orientation agricole qui avait déjà été votée en février dernier, il est inscrit un objectif de 21% de surface agricole utile en bio. Là, aujourd’hui, au niveau national, on est entre 10 et 11%. Donc on est très loin des 21%. Dans un premier temps, il serait bon de se focaliser sur atteindre cet objectif-là rapidement. Et pour y arriver, il faut que les politiques agricoles mises en place correspondent vraiment aux objectifs qu’on veut atteindre. Là, aujourd’hui, c’est un objectif, tant mieux, mais compte tenu des dispositions qui sont prises, on n’a aucune chance d’y arriver.

Tu parles par exemple en termes de financement via la PAC ?

Les financements via la PAC mais aussi les financements nationaux. Les filières agricoles sont malmenées par un certain nombre d’opérateurs économiques qui, après avoir été proactives sur le bio, sont en train de se désengager. À cela s’ajoute un problème aussi de débouchés. Aujourd’hui, il y en a deux choses assez importantes : l’offre, là il faut qu’on augmente les surfaces en bio pour produire suffisamment ; et la demande, c’est que les consommateurs continuent à consommer bio et même qu’ils soient de plus en plus nombreux, et que ceux qui s’en était éloignés pendant l’inflation y reviennent. Il faut consommer du bio pour faire repartir la demande et intéresser les investisseurs.

Il faut noter qu’on a un autre problème politique : c’est qu’on n’a toujours pas respecté la loi EGalim, qui fixait l’objectif de 20% de bio dans les cantines scolaires, et d’une manière générale, dans la restauration hors domicile. On est loin du compte à l’échelle nationale. De mémoire, à l’échelle nationale, les derniers chiffres c’est 6%. Or, on doit faire 20%. Donc si on cumule tout ça, on a une demande qui peut augmenter beaucoup et l’avantage c’est que ça permet aussi de valoriser les produits et les productions locales.

L’autre avantages c’est évidemment les aspects santé qui sont très importants, et sur la qualité de l’eau. Car on voit bien dans le rapport de la Cour des comptes et le rapport de la Caisse des dépôts le coût de la depollution. Ce coût est 3 à 4 fois supérieur au budget qui serait nécessaire pour changer les pratiques agricoles, et passer en bio.

Donc c’est un problème politique. Il n’y a pas de courage politique au niveau national face aux lobbies. Le sénateur Duplomb s’est engouffré dans une brèche… Certes, il y a été que ces gros sabots, on est d’accord. Mais quelque part, il ne fait que transcrire des demandes qui sont celles de la FNSEA et de la Coordination rurale en fait.

Est-ce que tu souhaite ajouter un autre point dont on n’aurait pas encore parlé ?

Sur les questions d’actualités liées aux pesticides, c’est que je pense qu’on est en train de developer un bon outil que sont les ordonnances vertes. Ça je pense que c’est quelque chose qu’il faudrait développer à l’échelle de toutes les collectivités locales. C’est un enjeu majeur parce que ça permet aux femmes enceintes par exemple de consommer bio, quel que soit le niveau de revenu. Je pense que ça devrait être une priorité.

D’ailleurs, compte tenu de la proximité avec les élections municipals de 2026, je pense que c’est un bon débat à avoir parce que si beaucoup de municipalités ou de têtes de liste mettaient ça dans leur programme, on aurait peut-être des chances qu’après ça se développe. Il faut partir de l’exemple de terrain, montrer les intérêts concrets. Si tout le monde se dit, oui, effectivement, c’est une super idée, ça résout à la fois un problème de santé humaine et environnementale, alors des freins se lèvent. Qui peut s’opposer au fait de protéger les femmes enceintes ? On le sait, c’est prouvé que les foetus sont beaucoup plus sensibles aux problèmes environnementaux, notamment aux pesticides, donc c’est un enjeu majeur, en fait et ça devrait l’être pour tout le monde, faire consensus.

Il y a un dernier enjeu, c’est celui des habitudes, de la culture, si les parents consomment bio pour l’intérêt de leurs enfants. Les enfants, plus tard, consomment bio. Je pense qu’il y a un enjeu majeur là-dessus. Je pense qu’aujourd’hui, il faut reprendre le combat culturel pour qu’il soit plus logique de manger sain, bio et local que fast food… Il y a une vraie bataille culturelle à gagner avec les jeunes générations, et d’autant plus que tous les effets des pesticides sont documentés par des preuves scientifiques. Nous, au Bio Nouvelle-Aquitaine, on y travaille. On est prêts à travailler avec les collectivités locales sur le sujet, en termes d’animation, de production, etc.

Propos recueillis par Nina GÉRON