21 mai 2025
Élu à la ville de Lyon, adjoint en charge du numérique depuis 2020, Bertrand Maes revient pour nous sur son parcours d’élu et sur son bilan de mandat.
Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton parcours ? Comment es-tu devenu adjoint au numérique de la ville de Lyon ?
Bertrand Maes : Je suis devenu adjoint parce que le maire de Lyon me l’a proposé. C’était un peu un hasard, ce n’était pas un objectif au départ. Un an avant les élections, je n’imaginais même pas être élu. Je ne m’étais pas posé la question et je ne suis d’ailleurs pas le seul dans ce cas au sein de l’équipe actuelle.
Ma responsabilité d’adjoint s’étend aussi aux relations avec les mairies d’arrondissement et l’administration générale. Mais d’un point de vue écologique, au sens de la réduction de l’impact environnemental, c’est essentiellement sur le volet numérique que cela se joue dans ma délégation.
La question du numérique couvre un certain nombre d’objets qui permettent d’implémenter de vraies améliorations écologiques. Et en même temps, il y a une forme de frustration au sens où la machine numérique est en route et ne cesse de proliférer. C’est une tendance contre laquelle il semble compliqué d’aller.
Autant sur les mobilités, par exemple, c’est assez connu qu’il faut privilégier les mobilités douces et limiter les voitures thermiques pour faire simple. Autant le numérique est un angle mort de l’écologie. Un angle mort au sens où perdure l’idée que le numérique peut être au service de la transition écologique, que le numérique est un outil qui nous permet de déployer nos autres politiques écologiques plus efficacement, sans considérer le numérique comme étant un problème écologique à part entière dont il faut réduire l’impact sur l’environnement. Les écologistes doivent s’emparer des questions numériques au sens large : environnemental, social, sociétal.
Dans ton action depuis le début du mandat, si tu devais retenir deux à trois actions majeures que tu as conduites, ce seraient lesquelles ?
Bertrand Maes : D’une part, il y a tout ce qui a trait au matériel informatique : essayer de limiter notre impact environnemental en faisant durer le matériel, en achetant du matériel reconditionné, en privilégiant la réparation, en donnant le matériel en fin de vie à des associations solidaires comme Emmaüs Connect, qui reconditionnent pour revendre à faible prix à des personnes en difficulté. Les résultats sont plutôt positifs. Aujourd’hui quasiment 100% des écrans que la ville achète le sont en reconditionné, même chose pour les smartphones. Pour les ordinateurs, nous sommes autour de 75%. Quelques exceptions sont faites pour certains métiers ont des besoins spécifiques pour lesquels la ville continue d’acheter du matériel neuf, par exemple pour les métiers faisant de la conception assistée par ordinateur, dans le bâtiment notamment.
Petit bémol, le reconditionné est efficace mais j’y vois aussi des limites, en particulier un effet rebond, comme on pourrait l’avoir avec Vinted sur les vêtements. Parce que des matériels peuvent être facilement revendus en reconditionné, certaines entreprises pourraient avoir tendance à renouveler leur parc plus fréquemment.
D’autre part, il y a tout ce qui a trait aux logiciels. Souvent, le matériel devient obsolète du fait des logiciels qui tournent dessus et non des composants physiques. Par exemple, Microsoft et ses systèmes d’exploitation dont les mises à jour peuvent ralentir et rendre obsolètes le matériel. Par ailleurs, nous voulions aussi améliorer la souveraineté numérique de la Ville de Lyon : maîtrise de nos données, de nos coûts, indépendance vis-à-vis d’acteurs non-européens notamment, achat socialement responsable, etc.
Nous avons donc fait le choix de nous orienter vers beaucoup plus de logiciels libres, en particulier sur la bureautique en remplaçant les outils Microsoft par des alternatives libres. Cela amènera aussi la collectivité à faire des économies substantielles à terme. Bien que la bascule en tant que telle demande des engagements financiers importants, sur le long terme ce sera bénéfique.
Pour aller plus loin, on pourrait envisager de changer les systèmes d’exploitation, mais c’est techniquement beaucoup plus compliqué.
Nous sommes également fiers de notre collaboration avec la Métropole de Lyon et le SITIV, qui est un syndicat intercommunal qui procure les systèmes d’information à des villes voisines de Lyon, pour créer une suite collaborative, un peu un équivalent de Microsoft Teams, également en logiciel libre. Cette suite collaborative peut désormais être proposée à d’autres collectivités soucieuses de leur souveraineté numérique. C’est un autre avantage des logiciels libres : ils facilitent la mutualisation d’outils entre collectivités, et donc une dépense efficace des deniers publics, tout en assurant la souveraineté des données.
Quel bilan tires-tu de ces actions menées en termes d’efficacité ? Est-ce que tu as identifié des actions particulièrement faciles à implémenter ?
Bertrand Maes : Je pense que toute la partie liée au reconditionné est plutôt facile à mettre en œuvre parce que c’est transparent pour les utilisateurs.
Pour ce qui est de privilégier la réparation plutôt que le remplacement du matériel, c’est essentiellement un choix budgétaire parce que cela peut coûter plus cher de réparer que de remplacer. C’est un choix politique à faire, une fois qu’il est fait, la mise en œuvre est relativement simple.
Pour ce qui est des changements de logiciel, je ne constate pas de résistance majeure, mais cela demande à être vraiment bien accompagné : formation pour tous les agents, mise en place d’un support que les utilisatrices et utilisateurs peuvent solliciter s’ils ont des questions ou des difficultés avec le nouveau logiciel. Ce sont des choses à prévoir, ne pas prendre à la légère parce que c’est un réel changement pour les agentes et agents.
Pour faciliter au maximum cette transition, nous avons choisi des outils qui ressemblent à l’interface des outils Microsoft.
Dans l’hypothèse où l’équipe actuelle ne serait pas reconduite à la mairie de Lyon, est-ce qu’il y a un risque de retour en arrière par une mairie d’un autre bord politique ?
Bertrand Maes : Le retour en arrière est toujours très facile à faire. Si une mairie veut revenir en arrière, elle reviendra en arrière sans trop de difficultés, je pense. Mais en dehors de toute considération écologique, elle n’aurait pas grand intérêt à le faire, ne serait-ce que d’un point de vue financier.
J’imagine qu’il reste même à faire d’ici la fin de ce mandat et même après, quelle est pour toi la suite des actions à mener à Lyon spécifiquement ? Si tu devais continuer, par quoi tu commencerais ?
Bertrand Maes : Je pense qu’il y a quelque chose à regarder du côté des écoles : c’est à la Ville que revient la fourniture du matériel et des logiciels de base (bureautique par exemple). Là aussi, il serait bon de déployer du logiciel libre. Par ailleurs, considérant le poids écologique du numérique, on pourrait se passer de numérique dans certains niveaux de classe.
En particulier, on pourrait exclure tout matériel numérique en maternelle. Néanmoins, tout ceci ne peut se faire sans discussion avec l’Éducation Nationale qui est prescriptrice pour les enseignants et enseignantes.
Tout ce que nous avons fait pendant ce mandat, peut être poursuivi et amplifié. Par exemple, je pense qu’il faut réfléchir à du matériel plus réparable d’une façon générale. Acheter du reconditionné, c’est bien, mais cela ne fait pas des outils qui durent plus longtemps malgré tout.
Par ailleurs se pose la question de ce que l’on va faire de l’intelligence artificielle. Pendant quelques années le numérique responsable a un petit peu monté dans les villes françaises. Et puis est arrivée l’intelligence artificielle qui est clairement antinomique avec une limitation de l’impact environnemental des systèmes d’information. Je pense donc qu’il faut autant que possible limiter son expansion.
Nous sommes ainsi en train de mettre en place à la ville un cadre d’usage de l’intelligence artificielle. Pour moi, il y a vraiment un risque : nous allons à certains égards vers une société des « robots ». Se pose donc la question de savoir comment on s’y oppose.
Quand je dis société des robots, cela peut être tout simplement les chatbots un peu partout. On est allé déjà très loin dans la dématérialisation et la déshumanisation des services publics. Il ne faudrait pas aller encore plus loin et exclure encore plus de monde de ce fait là.
Cela m’amène à citer une décision importante prise pendant le mandat. Nous avons adopté une délibération actant le fait de proposer une alternative systématique aux démarches en ligne de la ville. Toutes nos démarches en ligne doivent pouvoir être faites également à un guichet avec de vrais agents afin d’accueillir tout le monde, y compris celles et ceux qui sont en grande difficulté avec les démarches numériques.
Cette question continuera de rester d’actualité, d’autant plus que la pression pour déployer des chatbots augmentera. De fait, les outils vont être de plus en plus puissants et peut-être de plus en plus séduisants pour certains. Il ne faudrait pas se laisser aller à cela me semble-t-il.
À l’aune de ton expérience sur ce mandat et la campagne que vous aviez menée, quelles sont selon toi les 2-3 mesures phares sur le numérique à conduire à l’échelle d’une ville pour changer vraiment la donne ?
Bertrand Maes : Le problème, c’est que ce n’est pas au niveau d’une ville que l’on va vraiment changer vraiment la donne.
La tendance à la numérisation de tous les pans de la vie est une tendance sociétale. C’est difficile aujourd’hui d’aller à l’encontre de la numérisation de la société. Les mesures que l’on prend à l’échelle d’une ville, restent assez insignifiantes. Néanmoins cela reste un niveau où on imagine et expérimente des solutions et des alternatives.
Pour changer réellement la donne, il faut des régulations nationales et internationales, par exemple sur l’implantation des data centers, la limitation de l’accès à l’énergie ou au foncier pour ces acteurs-là etc.
Un sujet que nous n’avons pas encore abordé que tu voudrais ajouter ?
Bertrand Maes : Il y a aujourd’hui peu de débats sur la technique et les technologies, elles nous sont imposées. Il faut pouvoir créer les occasions d’un tel débat, et les collectivités ont dans une certaine mesure les moyens de le faire. À l’époque de la 5G, certaines villes et métropoles ont organisé des débats.
J’ai plutôt essayé de soutenir des événements existants : certaines associations se sont emparées de la réflexion sur le numérique et promeuvent un autre numérique, un numérique plus sobre, plus libre, plus solidaire.
Propos recueillis par Nina GÉRON