16 juillet 2025
« Le moment de vérité », comme le prétend le slogan du Premier ministre ? Vraiment ?
La conférence de presse de François Bayrou hier révèle surtout une grande cécité face aux enjeux vitaux que la France doit affronter. Si face aux risques géopolitiques et écologiques, la France, plombée par une dette publique qui s’envole, doit retrouver sa “liberté, son indépendance, sa souveraineté”, nous dénonçons une vision à court terme, prisonnière des dogmes économiques anciens, dont découlent des choix injustes.
Sans surprise, ces orientations budgétaires illustrent en effet l’aveuglement d’une génération de responsables politiques qui s’obstine à ne pas vouloir voir que nous sommes entrés dans une nouvelle ère.
Aveuglement d’abord sur l’insécurité climatique et l’effondrement écologique. Dans un spectaculaire déni de réalité, ces enjeux vitaux sont relégués loin dans l’énumération des menaces qui pèsent sur la Nation. L’adaptation et l’atténuation face aux chocs environnementaux sont absentes des priorités du budget. Pire, les choix annoncés laissent augurer de nouvelles coupes budgétaires sur l’écologie, aggravant la vulnérabilité de notre pays. Le gouvernement refuse de considérer que notre capacité d’adaptation et de résilience, la sortie des énergies fossiles pour se défaire de dépendances critiques, la préservation de la biodiversité pour assurer notre sécurité alimentaire, sont la condition même de notre souveraineté. Là où l’Allemagne intègre les dépenses de sécurité climatique dans le plan d’investissement pour la défense, la France les limite à l’armement…
Aveuglement sur la fin de la croissance, ensuite. Face aux chocs successifs encaissés par notre économie depuis près de 20 ans, c’est la poursuite de l’objectif central de la hausse du PIB qui a creusé le puits sans fond de l’endettement, à coup de cadeaux fiscaux aux plus nantis, de plans de relance indifférenciés, de largesses accordées aux entreprises qui ne sont pas soumises à la concurrence internationale. Résultat : un appauvrissement de l’État et un soutien artificiel à la croissance qui n’est même plus couronné de succès. Le plan présenté par François Bayrou s’inscrit dans la continuité d’une politique économique qui a échoué. Vouloir rétablir les finances publiques saines implique d’arrêter de courir après un indicateur périmé. Les postures habituelles des uns qui veulent relancer la production, et des autres veulent relancer la consommation, sont inopérantes et empêchent la Nation de se poser les bonnes questions.
Aveuglement sur l’explosion des inégalités. Le taux de pauvreté a atteint son plus haut niveau depuis qu’il est calculé. L’écart entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres est similaire à celui du début des années 70 d’après l’INSEE. Dans ce contexte, les annonces du gouvernement sont dangereuses. La priorité devrait être au contraire la cohésion et la solidité morale du pays au moment où la France doit affronter la surchauffe écologique et les menaces géopolitiques. De ce point de vue, envisager la suppression du jour férié du 8 mai, est le symbole d’un contre-sens historique.
Ces choix budgétaires sont basés sur des hypothèses d’inflation et de “marée de la croissance” hasardeuses. La série de mesures présentées est inéquitable, inefficace et finalement nuisible à la cohésion sociale puisqu’elles s’attaquent principalement aux ménages, aux salariés, aux retraités, aux malades, aux personnes qui ne parviennent déjà pas à vivre dignement. Le gouvernement attaque ainsi le contrat social, le consentement de tous à contribuer à sa juste mesure, qui est un puissant facteur de résilience collective.
Aveuglement enfin sur les marges de manœuvre existantes. En agissant uniquement sur les dépenses, le budget Bayrou ignore sciemment d’autres leviers, largement documentés, pour sécuriser les ressources de l’État. “Taxe Zucman” sur les très hauts patrimoines, refonte des aides publiques aux entreprises sur lesquelles le Sénat a enquêté tout récemment… Ce ne sont pas les solutions qui manquent, mais elles sont écartées par principe, au nom du dogme répété comme un mantra, sans discernement, “pas de hausse d’impôts”. Or, la cohésion sociale n’est pas un luxe. Elle est la condition de notre sécurité, de notre capacité à résister aux chocs à venir et de notre faculté à nous projeter vers l’avenir. Refus de taxer les grandes fortunes, laxisme face aux entreprises subventionnées sans contrôle, blanc-seing donné aux activités délétères pour la santé environnementale par soumission aux lobbies, mise à genoux des services publics et des plus fragiles… Contrairement à ce que proclame le Premier Ministre, la liberté, l’indépendance et la souveraineté de la France ne seront ni préservées, ni défendues par ces orientations budgétaires. À cet égard, la proposition de l’exécutif ne relève pas seulement de la faute morale et politique. Elle perpétue une erreur stratégique.
La France a besoin d’un plan de transformation et de résilience digne de ce nom. Aussi la vraie question politique n’est pas le (très) mauvais budget de François Bayrou, mais celle d’une politique budgétaire et économique alternative et crédible.
Commission Économie de la décroissance