19 février 2019
L’écoféminisme est une dimension fondamentale de l’écologie intégrale. En reconnaissant la communauté d’origine entre l’infériorisation des femmes par les hommes et celle de la nature par les humains, l’écoféminisme rassemble en un seul les combats de l’écologie et de l’émancipation des femmes. Aucune révolution écologique ne saurait faire l’économie d’une révolution féministe, dans une approche autant sociale que culturelle, économique et politique.
Nées dans les années 70, se nourrissant de l’effervescence des luttes non-violentes pour les droits civiques, pour la paix et l’émancipation des femmes, de nouvelles formes de mobilisations menées par des femmes pour lutter contre la menace nucléaire et la destruction de la nature ont donné naissance à l’écoféminisme. Historiquement ce mouvement s’est davantage développé dans les pays anglo-saxons qu’en France, bien que la pionnière du féminisme français Françoise d’Eaubonne soit à l’origine du terme même d’« écoféminisme ». Dans notre pays, l’écoféminisme a souvent été assimilé à tort à un courant de pensée essentialiste et marginalisé. La richesse de cette approche doit aujourd’hui être retrouvée et portée haut et fort.
L’écoféminisme donne toute sa place aux corps et aux émotions. Les actions pacifistes et créatives des premières militantes écoféministes (marches, occupations mais aussi danses, chants, expressions artistiques…) leur ont permis d’incarner naturellement une réappropriation intégrale de leur rapport au monde, de leur liberté de le ressentir, le vivre, le penser, le célébrer et le transformer, libérées des normes masculines dominantes. Celles-ci aliènent et soumettent les femmes, les dépossèdent notamment de leur lien singulier et autonome à la nature et à leur féminité, décrètent l’esprit supérieur au corps, la conquête supérieure à l’intériorité, le pouvoir supérieur au soin, l’industrie supérieure à la nature, la force physique supérieure à la sensibilité, le rapport de force supérieur à l’empathie, le masculin supérieur au féminin.
Cette vision et organisation sexiste du monde a non seulement établit des hiérarchies mais également coupé les liens naturels de l’appartenance de tous les humains, femmes ou hommes, au vivant. Dans le même temps et pour cette raison, en catégorisant et séparant les choses et les fonctions, les hommes en ont profité pour s’octroyer toutes celles leur permettant de dominer les femmes et la nature à leur profit. Or l’histoire a toujours prouvé que les caractéristiques d’un individu ne sont pas prédéterminées par son sexe. Chacun peut être ce qu’il veut, faire les choix qu’il entend, réaliser ce qui l’épanouit pour peu qu’on lui en donne le droit et lui en laisse la possibilité.
Pour sceller le tout, la nécessité pour l’homme de réduire la femme et la nature à la satisfaction de ses besoins, pour diverses raisons retracées dans de nombreux ouvrages, s’est accompagnée d’une dynamique paradoxale et intenable pour les femmes, étayant leur soumission par l’impossibilité de penser leur émancipation. Tout en assignant les femmes à tout ce qui renvoie au corps, au soin et à l’intériorité, ces domaines ont été décrétés inférieurs, méprisables, voire sales, comme peut l’être considérée la nature dite sauvage, non domestiquée. La norme masculine ne les rend acceptables, aujourd’hui encore, que sous condition de beauté, de perfection, d’élégance, de dévouement, de sensibilité, de discrétion, de pureté, etc. C’est à dire au prix d’un renoncement et d’une détestation des singularités physiques, intellectuelles, émotionnelles, toutes aussi différentes les unes que les autres que le sont tous les individus entre eux.
Car il faut bien comprendre que l’écoféminisme n’est pas une « affaire de femmes ». Les combats intimement liés pour le respect des femmes et du vivant réclament la fin d’injustices qui oppriment tout se qui se rapporte au féminin et à la nature au sens large. Les progrès auxquels ils aboutissent profitent à tous, en réhabilitant dans leur sillage l’égale considération due à tout être humain appréhendé dans la globalité de ses singularités et de ses choix.
Dans le passé, l’écoféminisme a été marginalisé ou combattu par des courants politiques qui considéraient que l’émancipation sociale globale primait sur le féminisme et/ou l’écologie. Il n’était pas jugé prioritaire alors que cette approche est d’une importance capitale pour notre combat. La domination de la femme et la surexploitation de la nature et des ressources procèdent de la même logique d’accaparement et de recherche de profits immédiats. Une prédation qui nie le pouvoir et la richesse du vivant dans sa multitude, tout comme elle nie ses limites et la nécessité de sa régénérescence. Le propos de l’écoféminisme est de refuser qu’émancipation rime avec une forme de masculinisation des femmes, de revendiquer notre condition humaine biologiquement féminine, et de revendiquer notre totale souveraineté sur nos corps et donc sur le contrôle de la reproduction.
Il s’agit en effet d’unir dans un même mouvement le combat mondial pour les droits et l’émancipation des femmes et celui pour changer radicalement un modèle de civilisation destructeur du climat, de la nature, de tout ce qui rend la planète habitable. L’élan de #MeeTo et des #Grevepourleclimat se rejoignent. Toute une génération aspire à une nouvelle façon d’habiter le monde et de se comporter entre humains. Ce n’est pas vraiment un hasard si on retrouve à l’avant-garde de la jeunesse qui se lève et qui mène pacifiquement et radicalement aujourd’hui les contestations contre les Destructeurs des adolescentes et des jeunes femmes. Elles s’engouffrent dans la brèche ouverte par la génération qui a obtenu le droit pour les femmes de faire des études et de s’exprimer dans la société, elles portent une contestation radicale du pouvoir, qui reste majoritairement aux mains des hommes partout dans le monde, dans ce qu’il est comme dans ce qu’il fait. De la même façon ce sont souvent des femmes, dans les pays du Sud, qui sont à la pointe des combats écologistes.
L’écoféminisme donne une nouvelle dimension au combat féministe au-delà des revendications d’égalité des droits, de féminisation du pouvoir, de refus de toute forme de violence sexuelle ou sexiste, de libération de la parole des femmes violentées et humiliées qui résonne avec une telle puissance qu’elle ne s’arrêtera plus. Le mouvement des femmes à l’échelle mondiale comme dans notre pays est porteur d’une révolution démocratique globale indispensable pour relever les défis écologiques. Il est à la fois un féminisme intégral et une écologie intégrale.
Nos adversaires Destructeurs sont clairement à la fois climatosceptiques, sexistes, xenophobes et homophobes. Au XXIème siècle, que l’on soit femme ou homme, être écologiste c’est être féministe, être féministe c’est être écologiste, dans les intentions comme dans les actes.
Charlotte Le Provost, Loubna Meliane, Estelle Narbonne, Ingrid Renaudin