02 juillet 2021
Quel mois de juin 2021 ! Orageux, tempétueux, à se demander si le ciel ne va pas nous tomber sur la tête, nouvelle affirmation des conséquences déjà palpables du réchauffement climatique ! Et ce mois de juin se finit avec le rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat qui révèle le retard cumulé de la France dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le Haut Conseil pour le Climat le dit : les impacts du réchauffement climatique affectent déjà le territoire national !
Certes, les émissions de gaz à effet de serre ont été réduites de 1,9% en 2019 (soit -8,6 Mt éqCO2, pour 436 Mt éqCO2 émis sur le territoire), conduisant à une interprétation un peu rapide consistant à dire que la réduction des émissions s’est accélérée et va plus vite que ce que prévoit le budget carbone pour 2019-2023. Mais, il faut rappeler que l’objectif de baisse pour 2019 n’était que de 0,3% après que le budget carbone pour 2019-2023 ait été relevé, par décret du 21 avril 2020, par rapport à la première version de la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Ce qui revient à se donner du lest ! La réduction de 2019 est par ailleurs à nuancer au regard des enseignements du rapport annuel du Haut conseil pour le Climat.
Eloge de la lenteur à l’heure de l’urgence climatique
Si des progrès sont notables et structurels dans de nombreux secteurs comme le bâtiment, l’industrie ou la transformation de l’énergie (une baisse moyenne de 2,5 à 2,7 Mt éqCO2 entre 2018 et 2019), il faut noter que le secteur de l’agriculture est à la traîne (une baisse de 1 Mt éqCO2 entre 2018 et 2019). Le carton rouge étant pour le secteur des transports (stagnation entre 2018 et 2019) qui reste le premier émetteur !
Globalement, cela se traduit par une France qui n’est pas leader européen de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Avec 19% de baisse en 2018 par rapport à 1990, elle est légèrement en deçà de la moyenne européenne (pour laquelle la réduction moyenne est de 23% sur la même période). Sans compter que les émissions annuelles restent très largement au-dessus du seuil d’émissions acceptables pour respecter les limites planétaires. De plus, les émissions importées (nettes des exportations) de la France sont supérieures à la moyenne européenne. Les importations représentent près de la moitié de l’empreinte carbone de la France atteignant 663 Mt éqCO2 en 2019. L’un dans l’autre, la France cumule les retards pour atteindre les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et pour s’aligner sur les objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030 (par rapport à 1990) conformément à l’ambition fixée en avril 2021 par l’Union européenne. La France manque d’inspiration, préférant la danse des trois « pas » dans les politiques mises en œuvre : pas ici, pas comme ça, pas maintenant !
Conséquences immédiates qu’évoque le Haut conseil pour le Climat : les efforts vont devoir doubler pour atteindre une baisse d’au moins 3% dès 2021, et en moyenne annuelle de 3,3% sur la période du prochain budget carbone 2024-2028. Et ce, sans se réfugier derrière les chiffres de l’année 2020 estimant les baisses d’émissions de gaz à effet de serre de 9%, du fait de la crise de la pandémie de la covid-19 et des restrictions drastiques liées aux périodes de confinement. Cette forte baisse ne reflète cependant pas des changements structurels durables : les concentrations de CO2 dans l’atmosphère continuent de croître, les effets rebonds des économies amoindrissent les impacts positifs environnementaux puisque les émissions territoriales mensuelles (hors UTCATF : utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie) repartent crescendo hors périodes de confinement.
Des politiques publiques totalement insuffisantes
Malgré les quelques progrès résiduels de ces dernières années, le Haut conseil pour le Climat souligne le suivi partiel et le manque d’évaluation des dispositions et des politiques publiques au regard des enjeux climatiques. On ne citera que deux exemples, parmi tant d’autres, qui le montrent explicitement.
1 – Le rapport précise que le plan de relance français est bien positionné au niveau international avec un tiers de ces financements dédiés à l’atténuation du réchauffement climatique. Tout est relatif ! Car, ledit plan de relance n’intègre pas suffisamment des dispositions favorables à l’amélioration de l’environnement et du climat. L’essentiel des dépenses s’inscrit dans la continuité de l’action du monde d’avant la pandémie de la covid-19 avec une faible incidence sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Enfin, même si près d’un tiers des mesures propres au climat du plan de relance font l’objet d’un suivi – ce qui est à noter – force est de constater que les mesures liées aux transports et à l’agriculture y échappent. Nouveau carton rouge pour les transports !
2 – Le rapport montre l’insuffisance de l’évaluation des projets de lois au regard du climat (et a posteriori des lois adoptées). Les études d’impacts environnementaux sont marginales. Elles ne prennent quasiment pas en compte les conséquences climatiques des dispositions proposées dans les lois. Quand bien même le projet de loi Climat aurait fait bouger les lignes, aucun impact climatique n’y est détaillé. Rappelons-nous la question du député Matthieu Orphelin posée au gouvernement en mars 2021 « Pouvez-vous nous dire combien de tonnes de CO2 seront évitées grâce au projet de loi dit climat et résilience à l’horizon 2030 […] et combien de tonnes de CO2 ont été gagnées ou perdues suite aux amendements adoptés en commission spéciale ? ».
Le Haut conseil pour le Climat poursuit en affirmant les insuffisances ou non conformités des politiques publiques au regard des orientations sectorielles de la stratégie nationale bas carbone (SNBC). C’est le cas des politiques de transports qui, malgré les évolutions des réglementations européennes ou nationales, malgré la loi d’orientation sur les mobilités, malgré les engagements de relance de 2020, ne permettent pas d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Les politiques de transports ne sont pas alignées sur la SNBC (manquement de mises en œuvre de certaines orientations, impossibilité d’en évaluer le suivi pour d’autres). L’agriculture, quant à elle, est également à parfaire, du fait, entre autres, des faibles réductions de gaz à effet de serre (moins importante que les pays voisins européens), de la diminution des capacités de puits de carbone, et de la forte contribution à la déforestation mondiale pour des fins d’alimentation animale ou de bio-carburants. Globalement, seule la politique sur le niveau de performance énergétique et carbone sur les bâtiments neufs dans les futures réglementations environnementales aurait atteint les objectifs de la SNBC. Le restant des politiques publiques étant peu ou prou alignées avec la SNBC tout en portant de grandes incertitudes sur leurs accomplissements.
Indispensable adaptation
Alors que le cadre européen relève à la hausse les ambitions pour une réduction des émissions à 55% à l’horizon 2030, un sursaut de la France est urgent. La France doit répondre et se doter des outils robustes et fiables pour mettre sans délai ses ambitions à la hauteur de l’ambition européenne. Elle doit engager une coordination des politiques conjointes d’atténuation et d’adaptation. Et ce, immédiatement dans des calendriers plus contraints en rapprochant les échéances du présent (comme par exemple la fin de ventes des véhicules thermiques à l’horizon 2030). Les efforts et les financements des investissements climatiques publics et privés en seront indispensables, tout en prenant en compte les liens entre les inégalités socio-territoriales, les vulnérabilités aux aléas climatiques, et en posant « la question des responsabilités financières de ceux qui se sont exposés aux risques en pleine conscience, alors même que tous les dommages ne sont pas indemnisables. » (HCC, 2021).
Ce sursaut de la France est d’autant plus urgent à avoir que « deux-tiers de la population française sont déjà fortement ou très fortement exposés au risque climatique ».
Il faut accélérer le couple atténuation – adaptation aux conséquences du changement climatique. Les orientations politiques sont à organiser clairement autour de l’anticipation, de la flexibilité et de l’adaptation de mesures fortes qui doivent être systémiques et transformationnelles. Les actions et les réponses doivent s’organiser de manière proactive et participative, incluant l’ensemble des citoyennes et des citoyens. Pour cela, le dépassement des approches en silos, et la prise en compte des différentes échelles temporelles et spatiales sont primordiales.
Si cela peut se traduire, comme le suggère le Haut conseil pour le Climat, par l’élaboration d’une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique avec des objectifs clairement quantifiés et des calendriers définis, il ne faut pas occulter le fait que « L’adaptation est une question politique et éthique, qui interroge sur ce que la société souhaite protéger. »
Urgence dès maintenant
Le Gouvernement fait l’éloge de sa prise en compte de l’écologie dans ses politiques publiques, tout en étant dans une crise de déni écologique le conduisant à ne pas considérer une once des conséquences dramatiques et inéluctables du réchauffement climatique. La traduction la plus forte en est la malheureuse date anniversaire du 29 juin. Il y a un an, le Président de la République accueillait les 146 propositions de la Convention Citoyenne pour le climat pour les mettre en œuvre « sans filtre ». Un an conduisant à démultiplier les jokers, à filtrer, à détricoter et à amoindrir la portée des propositions, à étouffer le débat parlementaire à coup d’irrecevabilités et de temps programmé pour conduire à un projet de loi Climat loin du compte – et qui, malgré quelques avancées notoires, n’est toujours pas à la hauteur à l’issue de son instruction au Sénat.
Le 29 juin est aussi la date du rapport annuel du Haut conseil pour le Climat dont les enseignements sont très clairs sur la faiblesse de la position de la France au regard de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
S’en suit l’ultimatum du Conseil d’État annoncé ce 1er juillet qui est explicite : le Gouvernement a 9 mois pour renforcer sa politique climatique et prendre des mesures supplémentaires permettant d’infléchir les courbes des émissions de gaz à effet de serre. Cette décision de la haute juridiction est une première et ne sera pas la dernière. Dès le 31 mars 2022, à l’aune des mesures proposées par le Gouvernement et de leur évaluation pour atteindre les objectifs, le Conseil d’Etat pourrait, le cas échéant, aller jusqu’à prononcer une astreinte contre l’État.
La probabilité d’atteindre les 1,5°C dès 2025 est très importante selon les informations du GIEC. Tous les seuils franchis sur le changement climatique sont irréversibles et ont des conséquences déjà présentes et de plus en plus fortes pour le vivant. « La vie sur terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L’humanité ne le peut pas. ». Telle est l’état d’alerte des informations publiées sur la version provisoire du prochain rapport du GIEC – et dont la version finale est attendue pour 2022. C’est sans appel ! Nous n’avons pas le choix, car nous n’avons plus le choix ! Les superlatifs manquent pour dire, oh combien, il y a urgence à agir dès maintenant avec des décisions drastiques de transformation écologique de la société.
Marjan Henrikowicz