21 septembre 2021
Qui se souvient de ce qu’il faisait le 21 septembre 2001 à 10 h 17 ? Assurément, toutes les toulousaines et tous les toulousains présents ce jour-là. En effet, l’explosion de l’usine AZF Grande Paroisse, filiale du groupe TOTAL, a marqué irrémédiablement la ville. Beaucoup de toulousaines et de toulousains ont été touchés dans leur chair ou dans leur esprit. La catastrophe a fait 31 morts, 22 000 blessés et 70 000 dommages immobiliers déclarés.
2021 marquera donc les 20 ans de cet accident industriel, le plus important depuis la seconde guerre mondiale. L’heure est au recueillement, mais le respect que nous devons aux victimes, à leurs proches et aux sinistrés tiendra aussi à la certitude qu’un tel accident et ses graves conséquences ne se reproduiront pas. Or, rien n’est moins certain.
Qu’en est-il de la prévention 20 ans après ? Comment l’Etat et les acteurs locaux gèrent-ils la crise ? Quelle anticipation ? Quelle culture du risque ?
Plus d’un millier de sites SEVESO sont répartis sur le territoire Français, dont 705 classés seuil haut et nombre d’entre eux se situent en milieu urbanisé.
La « Loi Bachelot » de 2003, adoptée à la suite de l’accident AZF inscrit dans la règlementation la prévention des risques majeurs industriels mais aujourd’hui on ne peut que constater les insuffisances de l’Etat, et ce, quel que soit le gouvernement, pour garantir la sécurité des citoyens.
A titre d’exemple en 2013, dix ans après la mise en application de la loi, l’incendie de l’Usine Lubrizol à Rouen, met en évidence la lenteur de la mise en place de la gestion de crise et le manque de transparence. Tous ces disfonctionnements sont alors relevés dans un rapport d’inspection. En 2019 cette même usine Lubrizol connait un autre incendie ; Delphine Batho, auditionnée au Sénat pointe alors les nombreux manquements aux recommandations figurant dans ce rapport, et ceux-ci subsistent aujourd’hui.
Chaque accident industriel est un échec des services de l’état, les mesures de prévention devraient garantir la sécurité des salariés et des riverains…
Les inspections sont aujourd’hui insuffisantes, faute de moyens accordés aux DREAL, les budgets de la prévention des risques technologiques sont en baisse constante, si on y ajoute l’affaiblissement des règles sur les installations classées et le démantèlement du droit de l’environnement, les services de l’Etat n’ont pas les outils nécessaires pour assurer leur mission de prévention.
Culture du risque, la doctrine de l’Etat est à revoir…
C’est la conception actuelle de l’intérêt général donnant la priorité à l’intérêt économique sur tous les autres qu’il faut réinterroger. Par exemple le coût économique du déplacement des installations industrielles est comparé à celui des mesures de consolidations des habitations ou de délaissement pour déterminer les choix dans les Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT), et souvent les exploitants mettent également dans la balance le chantage à l’emploi.
En tout état de cause, tels que sont aujourd’hui traités les plans de prévention, il y a une tendance à la sous-estimation du danger et de son périmètre, ils sont en effet élaborés sur une approche de risque aigu (explosion, et impact létal). Il n’y a pas de prise en compte sérieuse ni des effets sanitaires sur le long terme, ni des dommages causés à l’environnement par un accident.
L’organisation de la prévention du risque et les contrôles des sites classés devraient donc être placés sous la responsabilité, non pas des Préfets régulièrement pris en tenaille entre les divers intérêts, mais d’une instance indépendante à gouvernance multi partenariale qui pourrait aussi jouer un rôle d‘accompagnement auprès des industriels confrontés à une règlementation complexe dont les tentatives de simplification ont échoué.
La gestion de crise, est également à remettre en question, l’exemple de Lubrizol…
La gestion de crise doit être organisée autour de 3 pôles : la décision, la communication et l’anticipation.
Le deuxième accident Lubrizol a révélé les failles de la chaîne de décision : la « Force d’Intervention Rapide » n’est pas complètement opérationnelle : problématique d’expertise des DREAL, périmètre géographique trop large pour être efficace, absence de formalisation des partenariats avec Associations Agréées de Surveillance de la Qualité de l’Air…
La communication, quant à elle a fait preuve également de son inadaptation ; sur la forme les dispositifs ne sont pas modernes, l’utilisation des réseaux sociaux n’est pas interactive, il n’y a pas de réponse aux questions posées par les citoyens. Sur le fonds, les messages de minimisation du risque destinés à « rassurer », ne font que renforcer le manque de transparence, et très vite installent la méfiance et l’anxiété. La seule doctrine valable est celle qui est appliquée pour les attaques terroristes : diffuser au plus vite une communication factuelle sur ce qu’on sait, ce qu’on ne sait pas et qu’on cherche à établir et préciser les mesures prises.
Il faut sortir d’une culture « élitiste » de l’information sur les risques, et considérer que les enjeux environnementaux et de santé publique peuvent être compris par tous.
Parce que l’écologie dans toutes ses dimensions n’est pas portée politiquement comme une fonction régalienne, la place de la raison d’état industrielle et le chantage à l’emploi sont prééminents. En ces jours de commémoration de la catastrophe d’AZF, nous devons à la mémoire des victimes et des sinistrés de poursuivre auprès des associations une lutte pour que les impacts des risques majeurs quelles que soient leurs origines, soient considérés comme des enjeux de sécurité publique prioritaires.
Régine Lange