17 décembre 2021
Après deux années de travaux et la mobilisation d’une centaine d’experts, l’ADEME (Agence de la transition écologique) publie une étude prospective d’atteinte de neutralité carbone pour la France métropolitaine d’ici 2050, en passant par quatre chemins bien différents. Analyse :
L’urgence d’agir !
Quelle que soit la voie choisie, l’ADEME insiste sur l’importance d’agir rapidement. Une rupture est requise, qu’elle soit sociétale, technologique, économique, dans cette décennie à venir. Les hypothèses retenues confirment l’échec actuel, avec un réchauffement considéré à +5,4°C à l’échelle mondiale pour le scénario tendanciel, si on continue comme tel ! La neutralité carbone « va au-delà de la question énergétique » et repose sur des « choix de société« .
Cette rupture passe par plusieurs facteurs clés, unanimes pour les quatre scénarios : la réduction de la demande en énergie, liée à la demande de biens et de services (de 23 % à 55 % par rapport à 2015), le rôle primordial du vivant, de la biodiversité (forêts, pollinisateurs…) ainsi que la pression sur les ressources naturelles (matières, métaux, eau).
Pour y parvenir, des secteurs et fonctions de vie doivent évoluer vite et efficacement : l’approvisionnement en énergie devra être couvert, dans tous les scénarios, à 70 % d’énergies renouvelables d’ici 2050, la rénovation massive et efficiente du parc immobilier, une agriculture tournée vers l’agroécologie, avec une part de bio croissante (de 30 à 70 %), une consommation de viande en baisse notable (de 10 à 66 %), la mobilité avec 20 à 50 % des trajets effectués à pied ou à vélo.
La décroissance ou l’inconscience technologique
Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, les scénarios S1 Génération frugale et S2 Coopération territorialeempruntent la voie de la sobriété et des puits de carbone naturels, tandis que les scénarios S3 Technologies vertes et S4 Pari réparateur misent sur la découverte de nouvelles technologies.
Le S1 repose clairement sur un principe de décroissance : on y trouve la frugalité, la sobriété, la prise en compte des limites planétaires dans un monde fini, le retour à la terre, une nature sacralisée, une chute de la production de biens et matériaux (-38 %). Bref, le mot d’ordre est « Réduisons notre consommation de matière et d’énergie », pour vivre mieux.
C’est une société porteuse de sens, d’emplois, notamment dans le secteur du bâtiment et le secteur agricole. C’est renouer les liens, mettre la santé et le bien-être au cœur des intérêts de la société (une alimentation saine, l’usage de transports doux, la fin de la précarité énergétique, une qualité de l’air compatible, le report vers des villes de tailles moyennes) qui amène à de nouveaux indicateurs de prospérité (qualité de vie, écart de revenus, résilience). Il y a là des innovations non seulement techniques, mais organisationnelles, économiques, sociétales vers un nouveau mode de vie.
Le côté « rationnement, contraintes » associé au scénario S1 soulève une question centrale. La décroissance ne pourra s’opérer que si elle est CHOISIE et non SUBIE, c’est pourquoi la « valeur coopération » retenue dans le scénario S2 est essentielle. Une gouvernance partagée, par exemple avec la fin du présidentialisme, une économie de partage, une coopération territoriale et internationale, des débats citoyens démocratiques et participatifs sont indispensables. La sobriété bien construite réduira les inégalités. On peut noter que le scénario S2 est également porté sur une rupture avec le système économique capitaliste, prônant la production en valeur plutôt qu’en volume, avec des politiques et réglementations fondées sur des critères sociaux et environnementaux.
Quant aux scénarios S3 et S4, la porte d’entrée est tout autre. Consumérisme et croissance « verte », décarbonation de l’industrie, numérique à outrance, concurrence entre territoires et pays, tout est misé sur les nouvelles technologies pour compenser les émissions de modes de vies inchangés.
Le scénario S4 semble calqué sur le scénario tendanciel, pulsé aux technologies. Un « pari fou », inconscient ! Les puits technologiques, procédé considéré « non mature » dans l’étude, sont la seule issue proposée. Recours massif aux sites de stockage géologique, captage du CO2 dans l’air ambiant, voici un cadeau de plus pour les générations futures. Le risque de perte d’emplois dans certains secteurs industriels est soulevé, le recours aux protéines de synthèse requis, la surexploitation des élevages (+39 % par rapport à la situation actuelle) assurée, il y a beaucoup à perdre. Les inégalités sociales seront fortement impactées, les plus riches continueront de polluer, tout comme les grandes multinationales au détriment des plus démunis. Enfin, « la nature est une ressource à exploiter » nous précise le rapport. Encore et encore.
La neutralité carbone, suffisante ?
Cette « neutralité carbone » est devenue ces derniers temps l’objectif phare de la scène politique internationale, à horizon 2050-2100 selon les nations. Est-ce pour autant suffisant ?
Rappelons dans un premier temps que seules les émissions directes du pays sont considérées, et non les indirectes, c’est-à-dire celles induites dans les autres pays via l’importation. Elles paraîtront dans la seconde partie du rapport de l’ADEME, qui devrait voir exploser les impacts des scénarios S3 et S4, fortement demandeurs de ressources en matières et énergétiques. Les impacts en termes de stress sur les matières, métaux, déforestation importée, devraient faire ressortir le côté « destructeur » des scénarios S3 et S4. Il est antinomique de viser une « neutralité » carbone sans considérer l’impact associé sur le monde. La France doit montrer l’exemple.
Ensuite, rappelons que le changement climatique n’est qu’une limite planétaire parmi d’autres, toutes interdépendantes. Centrer nos objectifs sur la neutralité carbone n’est donc pas suffisant. Par exemple, l’effondrement de la biodiversité est la grande absente de ce premier rapport, faute de données peut-on lire, considérée donc comme une ressource exploitable et non comme un élément essentiel de notre survie. D’autres limites planétaires, comme la consommation d’eau douce (seuls les scénarios S1 et S2 aboutissent à sa réduction, le scénario S4 induit un besoin de +65 % d’eau d’irrigation), la perturbation des cycles du phosphore et de l’azote et l’usage des sols (liés au type d’agriculture, au régime alimentaire, à l’étalement urbain) sont à considérer. Pour cela, seuls les scénarios S1 et S2 peuvent prétendre conserver un espace de développement sûr et juste pour l’humanité et les générations futures.
Accélérer le débat pour l’échéance de 2022
La date de sortie de l’étude n’est pas anodine, elle doit permettre d’accélérer dès maintenant les débats, notamment au sein de la campagne présidentielle de 2022. Nous sommes sur un quinquennat décisif. L’ADEME ne s’y est pas trompée et invite citoyennes et citoyens, élues et élus, entreprises et associations, à être actrices et acteurs du débat public, à se saisir de cette étude et faire entendre leurs voix dans cette campagne électorale. La deuxième partie du rapport sortira en janvier et mars 2022. Il sera question d’impact économique (emplois et investissements), de résilience (robustesse et vulnérabilité face aux chocs), d’adaptation au changement climatique, de qualité de l’air, autant de sujets qui devraient accentuer et éclairer les différences entre les quatre scénarios.
Rapports complets téléchargeables sur le site dédié « Transition(s) 2050 »
Roméo Malcurt et Guy Kulitza, membres de Génération Écologie