21 décembre 2021
La victoire de Gabriel Boric au Chili soulève un souffle d’espoir. A 35 ans, il a été élu Président du Chili avec près de 56% des voix. Cette élection a fait apparaître un nouveau paysage politique au Chili, avec la confrontation entre deux visions radicalement opposées, laissant de côté partis de droite et de gauche traditionnels. D’un côté l’extrême-droite de José Antonio Kast, émule de Bolsonaro et nostalgique de Pinochet, apôtre de « l’ordre » ultra-conservateur (anti-avortement, anti-immigration, ultra-libérale), de l’autre une nouvelle gauche très ancrée dans tous les mouvements sociaux, qui a fédéré autour d’elle au second tour les forces progressistes.
La victoire de Gabriel Boric est d’abord le produit d’une histoire fondée sur des volontés communes partagées autour d’une opposition au modèle socio-économique néolibéral dont le Chili a été le laboratoire mondial, d’une aspiration à un modèle de société plus juste (santé, retraites, éducation), à un renouveau démocratique et à de nouvelles formes d’expression politique dans un contexte de fort discrédit des partis politiques de droite et de centre gauche (Parti socialiste, Parti radical, Parti pour la démocratie, Parti démocrate-chrétien).
Elle prend ses racines dans les mouvements sociaux puissants qui se sont développés depuis plusieurs années : les mouvements étudiants des années 2006-2011 rejetant le système d’enseignement supérieur et réclamant une éducation publique gratuite et de qualité, les mouvements écologistes et des peuples autochtones, les grandes mobilisations féministes à partir de mai 2018 remettant en cause les fondements d’une société patriarcale, la lutte contre l’homophobie, et bien sûr dans l’importante révolte sociale de 2019-2020 dont le déclencheur fut la hausse des tarifs des transports en commun.
Mais une dimension essentielle de cette dynamique est démocratique, avec la mise en mouvement d’une capacité citoyenne pour donner une expression institutionnelle à toutes ces demandes. Les mobilisations sociales ont obtenu un référendum en octobre 2020 pour une nouvelle Constitution (l’actuelle datant de Pinochet), avec une assemblée constituante entièrement élue. La convention constitutionnelle a débouché sur un processus délibératif animé par une convention paritaire avec 17 sièges réservés aux peuples originaires dont les Mapuches. Elisa Loncón, femme mapuche élue à la tête de la Convention constitutionnelle, ouvre, le 4 juillet 2021, le processus constituant en prononçant ces mots : « Cette Convention transformera le Chili en un pays plurinational, qui ne porte pas atteinte aux droits des femmes […], en un pays qui prend soin de la Terre-Mère, en un pays libéré de toute domination ».
En mai 2021, lors des élections des membres de la Convention constitutionnelle, un front électoral Apruedo Dignidad (« j’approuve la dignité ») se constitue faisant cohabiter en son sein une grande amplitude politique autour d’une identité anti-néolibérale. Gabriel Boric s’impose alors comme candidat à la Présidentielle sur un programme de justice sociale, d’écologie (prise ne compte de la lutte contre le changement climatique et de la protection de l’environnement, rupture avec la matrice productiviste et extractiviste) et de revendications féministes.
L’élection présidentielle au Chili montre la voie pour battre l’extrême-droite. Lorsqu’est proposé un modèle de société fondé sur des idées novatrices et courageuses, sur des pratiques démocratiques innovantes, incarné par personnel politique renouvelé, symbole d’une action et d’une démarche loin de la vieille politique, la victoire est au rendez-vous !
Dominique Bertinotti