#QuittonsLaSalle : le point de rupture

04 mars 2020

Déjà, la soirée s’annonçait mal. C’est en effet la démission à l’unanimité de l’ensemble du conseil d’administration de l’Académie des césars qui était annoncée quinze jours avant cette 45ème cérémonie qui fera date dans l’histoire du cinéma français. La mise à l’écart de Virginie Despentes et de Claire Denis comme marraines pour la soirée des révélations qui a eu lieu en janvier, le manque de parité dans le collège des votants (65% d’hommes), les douze nominations de Roman Polanski, ainsi que le manque de transparence, de démocratie dans la gouvernance ont conduit 400 professionnels à mener la fronde.

La question du genre, de la place des femmes et d’un système patriarcal à l’image du cinéma français en bout de course étaient au centre des prémisses de la secousse sismique qui s’annonçait. L’humour provoquant et percutant de Florence Foresti, l’ambiance de malaise, les visages maquillés aux expressions incrédules, les prises de parole politiques dérangeantes et courageuses telle que celle d’Aïssa Maïga qui a livré un plaidoyer puissant en faveur de la diversité ont planté le décor pour un final en apothéose. Alors que le césar du meilleur réalisateur était attribué à Roman Polanski comme une gifle finale dans un concert de tensions exacerbées, l’actrice Adèle Haenel se lève, quitte magistralement la salle dénonçant la honte de ce choix polémique, suivie par plusieurs dizaines de personnes. A l’extérieur, depuis 18h et à plusieurs endroits, des militantes féministes battent le pavé toute la soirée exprimant haut et fort leur indignation.

Derrière la dimension polémique et paillettes, c’est bien une séquence historique qui vient d’avoir lieu et qui vient interroger la société française, les rapports de pouvoir qui la structurent et comment la mise en tension du féminin et du masculin, de l’effacement de l’un par l’autre, de la domination de l’un par l’autre vient bouleverser la donne et appelle à un autre horizon. Car le cinéma français nourrit notre imaginaire, il se nourrit de nous comme nous nourrissons de lui. Comme nous l’explique très brillamment Iris Brey dans son livre « le regard féminin : une révolution à l’écran », « les images que nous voyons ont un impact sur la manière dont on voit le monde, sur ce qu’on trouve beau ou pas, sur la manière dont on désire, sur comment on aime, comment on prend du plaisir, ce n’est pas innocent, ça laisse des traces dans notre psyché, dans notre corps ». Or, aujourd’hui, le cinéma n’est pas paritaire. 80% des films français sont réalisés par des hommes, produits par des hommes. C’est donc une vision du monde essentiellement masculine qui nous environne, qui nous permet de nous identifier et de construire nos référentiels.

Connaissez-vous le test de Bechdel ? c’est un test qui permet d’évaluer la représentation des femmes dans un film. Il s’agit de répondre à trois questions :

Y-a-t-il au moins 2 personnages féminins nommés dans le film ?

Ces personnages féminins parlent-ils ensemble ?

Et parlent-elles de sujets sans rapport avec un homme ?

Si une œuvre réunit ces trois critères, le test est réussi. Environ 40% des films ne passent pas ce test. Pour Iris Brey, cela nous montre dans quelles proportions les femmes sont réduites au silence ou cantonnées à parler d’homme. Les personnages féminins sont réduits à une place étriquée. Au sein de la sélection des césars, seul un film passe le test, évidemment ceux de Polanski, Bedos ou encore Ladj Ly ne passent pas le test. Les histoires qui nous sont racontées sont des histoires qui concernent d’abord et avant tout des hommes. Et c’est une vision principalement masculine qui irrigue notre regard. Alors la 45ème soirée des césars, un point de rupture ? Espérons-le. Si nous voulons que nos filles puissent investir le monde et faire entendre leur voix, une voix assurée, confiante et enrichissante, offrons-leur un imaginaire plus chamarré, plus inventif ou le féminin en tant que sujet prend toute sa place. Cette conflictualité est bien plus qu’une polémique, ce sont les symptômes d’un nouveau monde en émergence.

Sophie Haristouy