Intensification du changement climatique : agir enfin sur les causes et construire l’État-Résilience

11 octobre 2020

Avec plus de 500 mm de pluies, c’est-à-dire 500 litres d’eau par mètre carré, les cumuls de précipitations observés dans l’arrière-pays niçois le 3 octobre dernier ont été tout à fait exceptionnels. Ces épisodes méditerranéens sont pourtant réguliers dans les Alpes Maritimes, l’Aude, le Gard, le Var et l’Hérault.  

Un flux de sud transportant un air chaud et humide vient buter sur les reliefs, donnant d’abondantes précipitations, et le phénomène est entretenu pendant plusieurs heures au contact d’une mer Méditerrannée particulièrement chaude. 

Mais leur fréquence et leur intensité s’accentuent dramatiquement. Comme l’indique Météo France par la voix de la chercheuse Véronique Ducrocq :  » Lors du dernier épisode, plusieurs records absolus ont été battus et les intensités de pluie observées ne se produisent normalement qu’une fois par siècle. Or non seulement ces valeurs centennales ont été largement dépassées, mais c’est la deuxième fois cette année que l’on atteint un tel cumul de plus de 500 mm sur l’arc méditerranéen, après l’épisode du 19 septembre dans le Gard. C’est historique : on n’a jamais eu à deux reprises dans l’année un tel niveau de précipitation, dont la durée de retour est normalement centennale. »

Il n’y a aucun doute : l’épisode méditerranéen qui a frappé l’arrière pays niçois est clairement lié au changement climatique d’origine humaine. Ce n’est donc pas une catastrophe « naturelle », mais une catastrophe de l’Anthropocène. 

L’analyse des événements pluvieux extrêmes méditerranéens au cours des dernières décennies met en évidence une intensification des fortes précipitations et une augmentation de la fréquence des épisodes méditerranéens les plus forts. Ainsi sur les 16 épisodes d’inondations les plus meurtrières de ces cent dernières années en France, six ont eu lieu pendant ces dix dernières années. Les auteurs d’une étude parue dans la revue académique Climate Dynamics estiment que l’augmentation en intensité des pluies torrentielles autour de la Méditerranée est « significative » (de l’ordre de 22 %) sur la période allant de 1961 à 2015. Pour les météorologues, cette augmentation est directement liée au réchauffement climatique. Selon des simulations climatiques régionales, l’intensité des épisodes méditerranéens va augmenter (jusqu’à 20% localement) à chaque degré de réchauffement : « Sous l’effet de la hausse de la température, l’atmosphère peut contenir davantage de vapeur d’eau, qui peut davantage se transformer en pluies, ce qui conduit à une intensification des précipitations » explique Véronique Ducrocq.

L’épisode que nous avons connu n’est donc qu’un avant-goût de ce qui nous attend. Nous sommes à « seulement » 1,1°C de réchauffement, et pourtant les effets sont déjà largement mesurables. Or notre trajectoire d’émission de gaz à effet de serre nous promet une augmentation de +2°C en 2050, puis +4°C voir +7°C en 2100. Sans un sursaut considérable dans la lutte contre le changement climatique, notre pays aura à affronter des aléas climatiques d’une ampleur et d’une violence jusqu’alors inconnues, avec des conséquences dramatiques. Les épisodes méditerranéens les plus violents seront plus fréquents et plus intenses, mais aussi bien d’autres phénomènes, car la France est particulièrement concernée. En effet, l’indice mondial des risques climatiques publié par German Watch, place la France au 15ème rang mondial des pays les plus vulnérables aux intempéries extrêmes, au même niveau que Madagascar, l’Inde, le Bangladesh ou encore la Thaïlande. 

L’écologie, et en particulier la lutte contre le changement climatique, est donc un enjeu de sécurité nationale pour notre pays. 

A l’occasion de son déplacement dans les Alpes Maritimes le 7 octobre, le Président de la République a annoncé le classement en état de catastrophe naturelle de 55 communes, des moyens pour l’aide d’urgence aux habitants encore sous le choc et pour la reconstruction des villages. Emmanuel Macron a par ailleurs indiqué que la reconstruction devrait se faire « de manière résiliente et durable, en limitant l’artificialisation des sols, en préservant les espaces naturels ». Pourtant, plutôt que d’évoquer les principes promus par les Agences de l’Eau visant à redonner aux cours d’eaux un fonctionnement naturel (restitution du transit sédimentaire et de la continuité écologique), de l’espace (en reculant les digues et en préservant les champs d’expansion de crues), il a au contraire cité en exemple la construction de nouvelles digues. Or si elles peuvent être efficaces face à des épisodes de moyenne intensité, nous savons aujourd’hui que les digues ont tendance à aggraver les conséquences des épisodes hydrologiques extrêmes. En effet, d’une part elles peuvent encourager l’urbanisation en zone inondable (les élus estimant à tort que les constructions sont protégées). D’autre part, face à des évènements d’intensité toujours plus exceptionnelle comme nous auront à connaître, il est difficile (impossible ?) et très coûteux de les dimensionner et de les entretenir convenablement. L’exemple de la Faute-sur-mer face aux submersions marines en témoigne tragiquement. 

Un risque est toujours le produit d’un aléa et d’une vulnérabilité. Nous aurons à affronter des aléas climatiques de plus en plus violents, il est urgent de construire une véritable stratégie d’adaptation au changement climatique, portée par un État-résilience assumant ses responsabilités en matière d’aménagement du territoire. Nous devons bien sûr mettre un coup d’arrêt à l’artificialisation des sols, adapter nos constructions et notre urbanisme pour cesser de construire dans des zones à risque, protéger strictement et probablement étendre les forêts de protection, ou bien encore préserver l’espace de mobilité des cours d’eau etc… Mais encore, nous devons créer une véritable culture du risque, du secours et de l’alerte. Canicules, tempêtes, inondations, submersions marines, incendies, crises sanitaires etc… Nous allons devoir apprendre à vivre avec ces aléas. C’est pourquoi chaque citoyen doit être régulièrement formé aux gestes de premiers secours, aux risques et à la manière de réagir en cas d’alerte. Il doit devenir un secouriste potentiel. Nous devons également construire une task force européenne de secours face à l’urgence écologique, car les aléas ne connaissent pas les frontières, comme l’illustre cet épisode méditerranéen qui a aussi durement touché nos amis italiens. Ce dispositif donnerait par ailleurs un sens et une dimension beaucoup plus concrète à la solidarité européenne et faciliterait la mutualisation de moyens.

L’État-Résilience doit nous permettre de réduire notre vulnérabilité aux aléas à venir et de mieux nous protéger en organisant notre sécurité collective. Cela passe aussi par une relocalisation de notre économie, en particulier de ses secteurs stratégiques qui doivent privilégier la résilience à l’efficience. 

Mais, dans le même temps, nous devons impérativement limiter l’ampleur de ces aléas, car au-delà de certains seuils il deviendra de plus en plus difficile de nous « adapter ». La violence des événements extrêmes sera trop forte.

Ainsi, lorsque le Président de la République s’est engagé le 29 juin dernier à reprendre « sans filtre » TOUTES les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat – à l’exception de trois jokers bien identifiés-, nous aurions pu croire à un sursaut en matière de politique climatique. Pourtant, les jokers brandis par le gouvernement ne cessent de se multiplier jour après jour. Le moratoire sur la 5G a été écarté avec mépris. Les restrictions sur la publicité des produits les plus polluants ont été rejetées. La baisse de la TVA sur les billets de train et l’augmentation de « l’éco-contribution » sur le transport aérien ont été oubliées en soute. Idem pour le crime d’écocide, l’instauration d’un critère poids dans le bonus-malus automobile (etc…) quand ils n’ont pas été purement abandonnés. Chaque jour ou presque une nouvelle déclaration vient déconstruire l’édifice cohérent patiemment élaboré par les citoyens de la Convention. Sur le site internet créé pour faciliter le suivi des propositions, ils relèvent d’ailleurs que sur les 149 mesures, UNE seule a été « partiellement acceptée » à ce stade. 

Lors de son déplacement au chevet des victimes des Alpes Maritimes, le Président de la République a longuement tenté de justifier ces hésitations et ces retards à traduire en actes les propositions des citoyens, démontrant hélas que l’urgence climatique n’est toujours pas considérée comme un enjeu majeur de sécurité nationale. Pourtant le rôle de l’État n’est pas seulement de faire face aux conséquences, mais d’agir enfin sur les causes. Les propositions de la Convention Citoyenne doivent être immédiatement mises en œuvre, ainsi qu’une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique et aux chocs écologiques à venir, portée par un véritable État-résilience.

Billy Fernandez