5 ans après l’Accord de Paris, le mur est là !

12 décembre 2020

Depuis l’origine des négociations climatiques internationales, un même cycle s’est sans cesse répété : des engagements sont pris ; les tendances d’émissions n’évoluent guère ; les scientifiques alertent sur l’urgence d’agir ; en réponse à quoi les engagements sont renforcés, ce qui réenclenche le cycle.

Ces trois derniers mois ont été ceux d’une salve de nouveaux engagements, dont le signal a été donné par la Chine, quand elle a annoncé viser désormais la neutralité carbone en 2060. Les gouvernements, partout dans le monde, qui ont pris ces nouveaux engagements, sont ceux qui « en même temps » pratiquent une relance brune plutôt que verte. On pourrait donc s’attendre à ce que le cycle éternel des engagements déçus se poursuive.

Hélas, il ne pourra pas ! Le mur est là : au rythme actuel, la cible actuelle de +1,5°C, à tenter de ne pas dépasser avant 2100, d’après l’accord de Paris, le sera dans 10 ans tout au plus – nous atteignons déjà +1,1°C. La succession d’événements climatiques destructeurs est désormais visible de tous, de même que la mobilisation citoyenne, qui ne cessera jamais d’interpeler les gouvernants. Le grand écart entre les engagements et l’inaction n’a jamais été aussi fort. Les prochaines années seront cruciales : elles verront ou bien le début effectif d’une action climatique forte, ou bien le basculement du monde dans la fin des faux-semblants, et dans une course à la catastrophe humaine et morale.

L’Europe, petit continent, mais grand par son poids commercial et par le rôle d’éclaireur des solutions qu’elle peut jouer, s’est enfin décidée à agir : c’est le sens du Green deal, tel qu’actuellement théorisé. Il fait siens les constats scientifiques incontournables : profondeur et caractère systémique des actions à mener ; nécessité de mobiliser à la fois sobriété énergétique des modes de vie et transformations industrielles ; accompagnement très substantiel des régions et communautés affectées, charbonnières notamment ; protection de l’espace européen par un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ». Ces orientations sont les bonnes. Seront-elles mises en œuvre, et au rythme nécessaire ? L’Union européenne saura-t-elle actualiser radicalement son logiciel en quelques années ? Nous avons certes des doutes, mais nous ne nous permettrons pas de déclarer la partie perdue d’avance.

Mais puisque la partie pourrait être perdue, nous sommes également résolus à nous préparer aux conséquences, comme nous y invite l’appel, cette semaine encore de plus de 400 scientifiques internationaux : « Il faut que les décideurs politiques ouvrent le débat sur la menace d’effondrement de la société pour que nous puissions commencer à nous y préparer et à en réduire la probabilité, la rapidité, la gravité et les dommages infligés aux plus vulnérables et à la nature. […] Il est temps de s’engager ensemble dans des conversations difficiles, afin de réduire notre participation aux détériorations en cours et d’être créatifs pour faire émerger le meilleur d’un futur chaotique ».

Cette semaine aussi, l’ancien Président de la République François Hollande a eu l’amabilité cruelle de prendre la plume pour confirmer, mais un peu tard, que l’enjeu climatique conditionne tous les autres. « Elu président en 2012, je n’avais pas pris alors la mesure de l’ampleur et de la rapidité de la dégradation climatique », écrit-il. Notre présidente Delphine Batho, débarquée du gouvernement pour en avoir pris la mesure trop tôt, l’avait bien noté ! Il assène également que « le constat établi en 2015 est d’ores et déjà dépassé ». C’est ne pas avoir compris la leçon, car rien de ce qui s’est passé depuis 2015 n’était imprévu, à qui voulait bien s’intéresser aux projections scientifiques, sans attendre — à la manière de l’actuel gouvernement face aux vagues de la pandémie — de voir arriver les catastrophes en premières pages des journaux.

C’est bien pour ne plus réagir avec perpétuellement plusieurs temps de retards que nous voulons mettre au pouvoir une nouvelle génération de décideurs, qui saura à la fois décarboner notre économie et préparer notre société aux chocs inévitables. Nous affirmons, non pour l’oublier le lendemain, mais pour le confirmer chaque jour, dans nos actes et dans nos décisions, que la préservation d’un monde habitable est, pour reprendre la citation d’Hendrik Brugmans, « la question préalable, celle qui prime tout et sans laquelle aucune autre ne saurait même être posée correctement ».

Marin Durcroz