09 février 2021
Le projet de loi censé traduire les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat est présenté en Conseil des ministres, et les vide de leur substance. Mais pour un gouvernement écologiste qui voudrait réellement agir à la hauteur de l’urgence climatique, il y a de nombreux enseignements à retenir de ce processus.
Depuis le mouvement des Gilets jaunes mais aussi les mobilisations de la jeunesse pour le climat, l’exécutif ne cesse de repousser, différer, les réponses aux mouvements sociaux liés à l’urgence écologique. Bref, il cherche à gagner du temps. Lorsqu’en avril 2019 le Président de la République a consenti à donner suite à la proposition émanant entre autres des Gilets citoyens et de Cyril Dion, et de mettre en place une Convention citoyenne pour le climat, il imaginait se donner un répit, autrement dit une année d’inaction de plus. Surtout, tout à sa conviction que la population n’est pas prête à accepter des changements des modes de vie, il n’imaginait pas que puisse sortir d’une assemblée citoyenne tirée au sort, sur la base de critères de représentativité de la diversité de la société française, autre chose qu’un filet d’eau tiède modérant les ardeurs des écologistes.
Patatras ! En juin 2020, loin des conclusions timides attendues par certains, la Convention citoyenne traçait un chemin de volontarisme, avec un ensemble cohérent de propositions. Malgré l’irruption de la Covid-19, la Convention a conduit ses travaux à leur terme, offrant un exemple de débat en sérénité, preuve que l’esprit de démocratie délibérative, même en des temps mouvementés, peut s’épanouir.
Surtout, les citoyennes et les citoyens ont proposé des mesures ambitieuses, portant souvent sur nos modes de vie, des mesures que nombre de politiques imaginaient, et le plus souvent imaginent encore, inacceptables pour leurs électeurs. Comment les citoyens osaient-ils ? Ils osaient, parce qu’ils s’étaient formés aux grands résultats des sciences du climat – ce qui est possible en peu de temps –, et parce que, contrairement à ce qu’essayent de nous faire croire les démagogues, les citoyens ne sont pas de simples consommateurs : elles et ils ont une attitude de responsabilité. Confrontés aux constats scientifiques, elles et ils regardent les risques d’effondrements en face, prennent de la hauteur, et font des propositions pertinentes pour notre avenir, y compris quand cela suppose de parler de sobriété énergétique.
Le projet de loi climat présenté demain en Conseil des Ministres, loin de la promesse du « sans filtre » et des 3 jokers, multiplie les renoncements, écarte nombre de propositions de la Convention, et vide les autres de leur contenu. Comme le diagnostique l’avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), adopté à l’unanimité hors la courageuse abstention des représentants du patronat, les mesures qui restent inscrites dans la loi se trouvent « souvent limitées, différées, ou soumises à des conditions telles que leur mise en œuvre à terme rapproché est incertaine », notamment « faute des moyens budgétaires ou humains », ne donnent pas de « vision claire sur la réorientation [des secteurs très émetteurs comme l’aviation ou le transport de marchandises] vers une réelle soutenabilité », et sont « insuffisantes » pour atteindre les objectifs climat de notre pays.
Imaginons une autre configuration politique que celle que nous connaissons avec le pouvoir actuel : pour un gouvernement réellement écologiste le processus de la Convention citoyenne un formidable levier ! Il y a de nombreuses leçons à en retenir :
• La méconnaissance des résultats de la science sur le climat inhibe encore l’action, mais tout change quand cette méconnaissance est levée ! Un programme de formation rapide sur les données du changement climatique, pour toutes et tous, 67 millions de Français, est indispensable. Nous ne parlons pas ici d’une campagne de sensibilisation, ni de « pédagogie » infantilisante, mais bien d’un programme de formation, qui se déploierait à la télévision, à la radio, dans les écoles, les mairies, à l’Assemblée nationale. Des initiatives telles que la Fresque du climat montrent la voie. Il n’y a qu’à la suivre !
• Les grandes menaces existentielles, en tête desquelles le dérèglement climatique et la destruction de la biodiversité, ne sont pas qu’un sujet pour universitaires et autres intellectuels éthérés. Au contraire, elles parlent concrètement aux Françaises et aux Français, comme d’ailleurs aux habitantes et habitants du monde, ainsi que nous l’apprend le « plus grand sondage de l’histoire », conduit par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) : pour 64% des terriennes et terriens, le climat est une urgence mondiale. Demain, le prestige de la France dépendra des mesures qu’elle aura prises pour le climat. Les citoyennes et citoyens voient ces menaces existentielles comme un tout : leur lettre de mission portait sur le climat, et ils l’ont d’eux-mêmes, très vite, transformée pour se prononcer aussi sur la biodiversité – les chercheurs de l’IDDRI ont compté que ce mot apparaît 95 fois dans le rapport de la Convention citoyenne. Dans un contexte où la pandémie de Covid-19 invite elle aussi à s’interroger sur les risques d’effondrements (de secteurs économiques, de services publics, d’Etats, etc.), ces préoccupations ne vont évidemment pas diminuer. Dans ce contexte, la question centrale est désormais celle de nos besoins essentiels, des moyens de les satisfaire, et de la résilience de ces moyens – et c’est bien parce que la Convention citoyenne sait débattre, loin des postures politiques, de ces besoins essentiels, qu’elle a su proposer des mesures radicales.
• L’écologie et le social ne sont pas opposés : les citoyennes et citoyens ont repris à leur compte l’« impératif de justice sociale » qui figurait à très juste titre dans leur lettre de mission. Ils en ont même fait, manifestement, un principe fondateur de leurs travaux, et cela n’a en rien empêché leurs propositions d’être ambitieuses.
• Les fuites de carbone ne sont pas une fatalité : les citoyennes et citoyens ont fait des propositions fortes sur les importations de matériels électroniques – à travers le moratoire sur la 5G et l’interdiction des écrans vidéo dans l’espace public, sur le transport aérien – dont l’essentiel de l’impact n’est compté dans les émissions d’aucun pays, sur la surconsommation de viande – et la déforestation importée qu’elle entraîne nécessairement.
• Les Françaises et Français sont prêts à reconnaître les limites des solutions techniques, et ne font pas leur la logique technophile de l’innovation pour l’innovation. La proposition de moratoire sur la 5G l’illustre parfaitement. Les citoyennes et citoyens identifient clairement la nécessité d’infléchir nos modes de vie vers plus de sobriété énergétique, et n’ont pas hésité à proposer les mesures correspondantes.
• Les Françaises et Français identifient clairement le rôle structurant de nos imaginaires, et l’emprise du consumérisme, avec les propositions d’interdiction de la publicité sur les produits les plus destructeurs.
Certes, les propositions de la Convention citoyenne, même mises en œuvre « sans filtre » et de la manière la plus volontariste, n’atteignent pas les -40% d’émissions, c’est-à-dire l’objectif qui leur était fixé initialement, et donc encore moins les -55% en 2030, nouvel objectif européen résultant de la mise en cohérence avec l’objectif de neutralité carbone en 2050.
Mais les propositions de la Convention citoyenne sont la clé d’entrée dans l’action climatique. Elles constituent un programme minimal et dessinent le premier « grand pas ». Si elles ne sont pas l’alpha et l’oméga du combat contre le changement climatique, elles en sont assurément l’alpha. La Convention citoyenne met les gouvernants, et toute notre société, au défi de démontrer la sincérité de notre engagement contre le changement climatique.
Marin Ducroz