« PestiRiv » : Les études scientifiques ne devraient pas servir de prétexte à l’attentisme

22 octobre 2021

Les grands médias, presse, télévision, radio, s’en sont fait l’écho, l’information a circulé et circule encore sur les réseaux sociaux : l’Anses, cette agence en charge de la sécurité sanitaire et de l’environnement, va engager un projet qualifié d’« inédit » (PestiRiv) visant à déterminer le niveau de contamination des riverains des vignobles par les pesticides. Parmi les pesticides largement utilisés dans les vignobles se trouvent au premier plan les fameux SDHI vendus pour supposément lutter spécifiquement contre certains champignons s’attaquant à la vigne. 

Supposément, car leur action est loin d’être restreinte aux seuls champignons. Ces SDHI, poisons de la respiration cellulaire (comme de nombreux pesticides, ceux dits mitotoxiques), ne distinguent en effet pas entre les espèces vivantes, car ce processus de respiration cellulaire est quasiment identique chez toutes les espèces vivantes. D’ailleurs, les études sont nombreuses qui désormais établissent la toxicité générale de ces substances SDHI, depuis les vers de terre, les nématodes, les crustacés, les batraciens, les poissons, jusqu’aux cellules humaines.  

Supposément encore, car leur efficacité à tuer les champignons, clamée par les firmes de l’agrochimie, reste en réalité à établir par des scientifiques indépendants, loin des conflits d’intérêts, c’est-à-dire loin des milliards de l’agrochimie, mais aussi loin des « autorités » professionnelles (FNSEA) ou administratives (Anses) ayant favorisé leur usage depuis tant d’années. Si besoin en était, à côté des effets du gel, les dégâts entrainés cette année par la prolifération des champignons dans les vignobles, cela malgré l’usage généralisé des SDHI en agriculture conventionnelle, conduisent à juste titre à douter de l’efficacité réelle de ces poisons. 

A ce stade, à travers cette étude projetée par l’Anses, il ne s’agit en réalité que d’apporter une confirmation de données déjà en partie disponibles sur la propriété de ces pesticides à pouvoir contaminer autant nous les humains que l’environnement. Les risques représentés par ces épandages ont été soulignés à maintes reprises par de nombreux scientifiques. Mais jusqu’à présent, ces appels à cesser l’utilisation de ces poissons ont été balayées en s’appuyant sur des affirmations fallacieuses ventant par exemple la précision quasi centimétrique des techniques d’épandage. Souvenez-vous des discussions surréalistes autours de la distance de « sécurité » de 5 mètres autours des habitations toujours prônée par notre autorité de protection sanitaire, l’Anses. 

En réalité, sur la base des études menées précédemment, il est raisonnable dès maintenant de prédire que seront retrouvés dans cette étude de faibles, voire très faibles, doses de pesticides dans les échantillons qui seront analysés (cheveux, urines, environnement direct), de faibles doses, mais de très multiples poisons. Et à la fin de cette étude, nul n’aura idée de la toxicité d’une telle imprégnation multiple et sur le long court. Pour ne parler que des seuls SDHI, ces poisons dont on connait parfaitement le mécanisme d’action, il faut réaliser que le long court cela veut dire pour l’homme 10, 20 ans au bas mot, un long court qui dépasse très, très largement la durée de vie des rongeurs pris comme les « modèles » qu’ils ne sont et ne peuvent pas être du simple fait de leur durée de vie (<5 ans). Si l’on additionne les synergies avec les autres poisons pesticides (glyphosate, néonicotinoïdes, etc), les inconnues touchant les moments (grossesse, enfance, ou au contraire grand âge), les durées et les modes d’exposition, il ne faut pas être grand clerc pour prédire qu’il sera totalement impossible de conclure à l’innocuité de cette imprégnation désormais généralisée de quasi tous et cela dans tous les milieux. Il sera toujours temps, après 2024 (la date prévue de la fin du projet), de lancer de nouvelles études pour étudier la dangerosité d’une telle imprégnation… Une bénédiction pour nos décideurs qui pourront en tirer profit pour ne toujours rien décider… et laisser passer les élections.

Avec de telles incertitudes me direz-vous, même si ces études sont engagées, ne faudrait-il pas mieux cesser l’usage actuel qu’il est fait des pesticides ? Le principe de précaution, il sert à quoi dans cette affaire ? Pour notre agence de sécurité sanitaire, visiblement à pas grand-chose. S’il faut attendre l’explosion du nombre de personnes malades pour sonner le tocsin — et les maladies attendues, Parkinson, Alzheimer, cancers, ne sont pas des plus réjouissantes —, on ne parle plus là de précaution, mais juste d’irresponsabilité ! Reconnaitre après coup ces maladies comme professionnelles, comme cela a été fait pour le Parkinson résultant de l’usage des insecticides à base de roténone, ne suffit pas, il faut stopper au plus vite l’usage aberrant de tous ces pesticides. 

Vous noterez aussi que l’on n’évoque là qu’un aspect du problème lié à ces épandages. En effet, si l’on parle de riverains des épandages de pesticides, peut-être faudrait-il un jour que l’Anses parle des animaux constitutif du petit peuple des sols, celui qui rend la terre fertile (vers de terre, collemboles, etc). De fait ce sont eux les premiers riverains bien involontaires de ces pesticides. Dans l’incessant ballet des informations, vous avez sans doute été ému.e.s par les conclusions des scientifiques de l’UICN, qui, tout en décrivant l’effarante perte de la biomasse et de la biodiversité, ont pointé les pesticides comme étant parmi les premiers agents responsables de cette perte. Et pourtant comme depuis sa création malgré ses discours, l’Anses, à travers ce type de programmes centrés sur la seule santé humaine, confirme sa totale absence de prise en compte d’une réalité bien tangible dès aujourd’hui que chacun, scientifique ou non, peut observer : les insectes, les oiseaux, de façon générale une grande partie de la microfaune sauvage, se font toujours plus rares. Là, les études sont faites, la catastrophe est largement en route, résultat : rien. Notre Anses répète à l’envie qu’il n’existe pas d’alerte, pas de risque, que les inquiétudes n’ont pas lieu d’être avec les garanties apportées par les procédures réglementaires. Pourtant, force est de constater que si l’on retrouve des pesticides dans les sols, dans l’eau, voir dans les mers, dans l’air, dans les assiettes, c’est bien que les dispositions réglementaires, durement négociées avec les lobbys de l’agrochimie, sont totalement inaptes à garantir quoique cela soit. 

C’est vrai, peu à peu le discours de l’Anses ne tient plus, se fissure, devient contradictoire. Comment peut-on simultanément nier les risques mais financer des projets pour les évaluer ? Comment peut-on nier les risques, mais recommander des distances de sécurité, cela tout en clamant qu’aux doses utilisées le risque n’existe pas ? Comment peut-on nier le danger, mais recommander de proscrire l’usage des pesticides dans les villes ?  Certes le ridicule ne tue pas – sinon l’Anses serait morte – mais les pesticides ? Demandez le aux vers de terre dans les vignes près de chez vous…[1]  

Pierre Rustin


[1] Selon deux études (accessibles à travers le site de l’Anses même) sur les populations de vers de terre (deux doses de SDHI ; 0.6 et 1.2 kg/ha, 3 applications à 12-14 j d’intervalle), qui ont été réalisées dans des pâtures, : « … aux deux doses, une réduction d’abondance de 30% est observée pour une espèce une année après la dernière application ».  AGRITOX – Base de données sur les substances actives phytopharmaceutiques (2006).