Usine BioTJet : le mythe de l’avion vert menace les forêts des Pyrénées-Atlantiques

13 novembre 2023

Génération Écologie dénonce le projet BioTJet qui vise à créer une usine de kérosène à Lacq dans les Pyrénées-Atlantiques pour approvisionner le secteur aéronautique à partir de bois prélevé dans les forêts du département. Ce projet met en danger l’environnement des Pyrénées à courte échéance. 

En juin dernier la ministre de la Transition Énergétique, Agnès Panier-Runacher annonçait la subvention d’un milliard d’euros accordée au projet d’ Elyse Energy (E-CHO) :  un ensemble de 3 sites de productions de « molécules bas carbones » composé d’une usine de fabrication de « bio-kérosène » (BioTJet) – dont tout le monde pourra juger du caractère bio à la lecture des destructions environnementales nécessaires à sa production-, d’une usine de méthanol destinée à l’industrie de la chimie et d’un site de production d’hydrogène (HyLacq) pour alimenter les deux usines. 

C‘est la disparition des forêts pyrénéennes en quelques décennies qui est en jeu.  

Ces usines, à priori engagées pour la transition écologique, posent d’énormes problèmes environnementaux car elles ont besoin de quantités gigantesques de ressources naturelles pour fonctionner.

L’association Canopée a fait le calcul : « si l’on additionne les 400 000 tonnes de bois qui seraient nécessaires à l’approvisionnement de BioTJet aux 200 000 tonnes de bois qui sont déjà prélevées chaque année dans le département, cela représente 4,2% du volume total du bois des forêts du département, alors même que les forêts ne croissent que de 2,8% par an » ; soit la disparition des forêts des Pyrénées-Atlantiques en quelques décennies. D’autant que les forêts sont toujours plus menacées d’incendies chaque été et que le changement climatique accélère la mortalité des arbres des forêts françaises.

L’association Sepanso 64, inquiète de l’impact de la production sur la ressource forestière et l’eau, a interpellé les porteurs de projet qui restent extrêmement vagues sur la provenance de la biomasse.

Sur le site des porteurs de projet et lors des consultations publiques, on apprend également que :

  • L’impact de BioTJet sur l’environnement ne se limite pas aux forêts :

Le projet BioTJet consommera directement 1,1 million de litres d’eau du gave et 5 millions indirectement à travers le site de production d’hydrogène  HyLacq. C’est 1,8% du débit du gave qui sera donc dédié à ces usines, en totale inadéquation avec la disponibilité de la ressource en eau dans les Pyrénées face aux épisodes de sécheresses, à la disparition accélérée des glaciers pyrénéens et aux besoins croissants d’irrigation pour l’agriculture. D’autant que le réchauffement climatique affecte déjà substantiellement les débits moyens et les régimes saisonniers du bassin Adour-Garonne dont dépend le Gave de Pau.

  • L’impact de BioTJet ne se limite pas à l’environnement local :

S’il est prévu d’utiliser du bois et biomasse en provenance des forêts pyrénéennes, il est également prévu d’en faire venir par voie maritime du pourtour méditerranéen.  Les importations de biomasse par bateau ne font que décupler l’hérésie de ce projet. Elles viennent ajouter la pollution en milieu maritime à la pollution terrestre pour acheminer la biomasse depuis les ports de Bayonne et Bordeaux.

De plus, la détérioration du rendement des forêts françaises et les perspectives de tripler le trafic aérien d’ici 2050 laissent présager le pire, c’est-à-dire que l’usine importe du bois de l’étranger, comme c’est le cas pour la très décriée mégacentrale de biomasse Gardanne qui se fournit en plaquette de bois du Brésil. 

Produire du kérosène en détruisant les forêts françaises, l’Amazonie ou en polluant lors du transport de biomasse, quel sens cela fait-il ? 

BioTJet aura un rôle quasiment nul dans la décabornation de l’aviation française

C’est aussi la question du mythe de l’avion vert qui se pose : cette quantité de biomasse affolante pour satisfaire les besoins d’à peine 1,3% de l’aviation, ce n’est pas raisonnable ! 1 

C’est un parfait exemple de maladaptation, c’est-à-dire : « une adaptation qui échoue à réduire la vulnérabilité, mais au contraire, l’accroît » comme le définissent les auteurs du 3ème rapport du GIEC (IPCC 2001: 990), parce que l’impact de l’aviation sur le réchauffement climatique ne se résume pas seulement à la combustion du kérosène. En effet, la consommation de kérosène n’est responsable que pour un tiers du réchauffement climatique lié à l’aviation : les deux tiers du réchauffement climatique lié à l’aviation ont pour source d’autres effets, tels que les traînées de condensations qui recouvrent des parties non négligeables du ciel, formant un voile nuageux qui empêche la chaleur d’être évacuée la nuit.

Aussi ne pas s’inquiéter de la croissance du secteur aérien, et seulement vouloir verdir son carburant ne réduira pas son impact sur le réchauffement climatique.  Le triplement du trafic aérien prévu d’ici 2050, implique de facto un triplement des besoins en kérosène et de sa contribution au réchauffement climatique.

C’est aussi l’avis du Haut Conseil pour le Climat qui écrit, dans son rapport de 2022  : « Le secteur aérien doit engager sa décarbonation par la maîtrise de la demande. », en précisant « que les réductions des émissions relevant de la technologie sont négligeables (à peine 2 % des réductions des émissions possibles) ». 

Autant dire qu’il faut engager la décroissance du secteur aérien si l’on veut réellement s’attaquer à son impact sur le réchauffement climatique.

Derrière cela, le mythe de la croissance verte 

Le mythe de la croissance verte veut nous laisser croire qu’il suffirait de remplacer toutes les industries par les mêmes industries mais produisant à partir de ressources naturelles, pour que nous puissions continuer à produire et à consommer comme avant. Les élus régionaux, départementaux et locaux qui soutiennent le projet BioTJet s’attachent à ce mythe qui leur permet de donner l’impression de faire quelque chose pour le climat, tout en ne faisant rien.

Mais la croissance du PIB ne peut pas être découplée de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. 2 3 Aussi, quand l’aviation continue à avoir une perspective de croissance économique, son impact sur le réchauffement climatique augmente également et de façon proportionnelle.

BioTJet est un mauvais investissement d’argent public si on souhaite lutter contre le réchauffement climatique

Force est de constater que les forêts et l’environnement des Pyrénées-Atlantiques et 650 millions de subventions publiques pour BioTJet contre 690 emplois pour remplir 1,3% des besoins de l’aviation française, ce n’est pas un bon deal, ni d’un point de vue économique, ni d’un point de vue écologique.

Comme de nombreuses industries de l’ère thermo-industrielle, l’aéronautique est à bout de souffle. C’est une industrie subventionnée par l’État depuis de nombreuses années pour maintenir l’illusion d’un mode de vie qui nous échappe et nous mène à notre perte. 

Mettre sous perfusion d’argent public des secteurs industriels entiers pour maintenir une activité « comme si de rien n’était » alors que nous sommes à un point de bascule dans nos sociétés est la preuve d’un aveuglement politique complet. L’urgence serait d’accompagner ces entreprises dans leur mutation profonde et de travailler avec elles à la reconversion professionnelle des salariées et des salariés. 

La fenêtre d’action pour agir contre le réchauffement climatique se rétrécit chaque jour, chaque dixième de degré compte et chaque somme investie dans de mauvais projets nous fait perdre des investissements précieux. 

Décroitre ou périr, la question ne s’est jamais posée de façon aussi claire pour la société industrielle. Et il n’y aura pas deux fois la possibilité de faire le bon choix. 

Cécile Faure, Claire Meunier, Abel Cuvidad

  1. D’après les porteurs de projet et la ministre de la Transition écologique, “le but est de fournir 75 000 tonnes par an de kérosène durable, soit 30 % de la consommation d’un aéroport comme celui de Bordeaux-Mérignac.”. On compte 5 millions de passagers à l’aéroport de Bordeaux en 2023, et 129 millions de passagers sur la totalité des aéroports français en 2023, chiffres officiels : tendanCiel ↩︎
  2. https://www.novethic.fr/actualite/economie/isr-rse/timothee-parrique-chercheur-la-croissance-comme-solution-est-une-croyance-sorte-de-pere-noel-des-economistes-151064.html ↩︎
  3.  https://www.ft.com/content/47b0917c-f523-11e9-a79c-bc9acae3b654 ↩︎