SDHI : les « Intox-icologues » de l’Anses ont encore frappé

05 décembre 2023

Le rapport du groupe de travail, (redouté au vu de la composition du groupe) réuni par l’Anses pour analyser les données sur la toxicité humaine des pesticides SDHI est enfin disponible. Les effets dévastateurs liés au déversement du cocktail de poisons pesticides, incluant les SDHI, sur la biodiversité n’y sont pas traités, jugés sans doute non prioritaires, et donc sujet secondaire, par les fonctionnaires de l’Anses, malgré la catastrophique urgence touchant la biodiversité.

Considérant les données scientifiques sur les SDHI (12 autorisés en France dont 1, l’isopyrazam, récemment interdit en Europe) extraites en partie de la littérature mondiale, mais souvent des dossiers réglementaires, le constat du groupe de travail – du moins de ce qu’il en reste puisque le groupe a partiellement explosé en route – est parfaitement accablant. Ci-dessous un bref résumé des données, relevées organe par organe, telles que réunies par le groupe (extraits fragmentaires et choisis du rapport) :

  • Concernant le foie, les études expérimentales analysées (tirées des dossiers réglementaires) indiquent que l’exposition à la plupart des SDHI induit des effets hépatiques. 
  • Concernant la toxicité sur la thyroïde, les études expérimentales analysées dans les dossiers réglementaires indiquent que l’exposition à la plupart des SDHI induit des effets thyroïdiens.
  • Concernant les surrénales, des effets (histologiques et/ou sur le poids) sont observés pour la majorité des SDHI analysés par le GT. 
  • Concernant le système visuel, des articles récents décrivent des effets délétères sur l’œil pour 5  SDHI (bixafen, boscalid, fluxapyroxad, isopyrazam, sédaxane) dans des espèces non mammifères. Une atteinte, en particulier de la rétine, est observée pour plusieurs SDHI. 
  • Concernant la neurologie, le groupe de travail note que les études d’exposition sub-chronique ou chronique ne comportent pas de tests approfondis au regard d’une éventuelle neurotoxicité chronique. Dommage, c’est justement celle attendue pour les SDHI…
  • Concernant le rein, les études réglementaires réalisées avec 8 SDHI indiquent des atteintes rénales à des degrés variables. 
  • Concernant les organes reproducteurs, la reproduction et le développement, 6 SDHI ont été décrits comme produisant des effets délétères. Ces effets (diminution de la mobilité des spermatozoïdes, diminution du poids fœtal, pertes implantatoires et résorptions fœtales) délétères pour la reproduction et le développement sont inconstants et variables en fonction des SDHI…

Ce relevé, qui donne froid dans le dos, constitue néanmoins une sorte de progrès puisque jusqu’à présent l’Anses n’y faisait jamais référence, préférant nous suggérer de passer notre chemin.

Dans la suite de leur rapport, les « Intox-icologues » réunis par l’Anses s’emparent du dossier pour ne plus que parler normes et alimentation. Être un « intox-icologue », c’est tout un art ! En 50 ans, subventionnée à haute dose par l’agrochimie, l’« Intox-icologie », grande avocate des pesticides, a très largement contribué à l’effondrement de la biodiversité, un effondrement en effet justement attribué aux pesticides par les experts du GIEC. Pour ne prendre qu’un exemple concernant précisément les SDHI, sachant qu’en une seule année de traitement par un SDHI (le boscalid), selon les propres chiffres de l’Anses, le pesticide extermine 30 % des vers de terre, calculez sur 5 ans… Sans aucun doute les SDHI, qui n’ont, notez-le bien, aucune spécificité (bien qu’ils soient affublés de l’étiquette de fongicides), sont parmi les pesticides responsables de l’effondrement constaté de la biodiversité. 

« L’Intox-icologie » c’est aussi une véritable perversion de la science. Une idée absurde y tient une place essentielle : l’homme serait une sorte de rat, ou de souris, qui vivrait 90 ans… et à l’inverse, ces malheureux rongeurs, seraient des humains « concentrés » qui vivraient 4 ans.  Un « modèle » pratique et pas cher… Pourtant depuis bien des années maintenant, les travaux des généticiens ont montré sans ambiguïté que ce n’est en rien le cas. L’immense déception éprouvée par les scientifiques, y compris nous-mêmes, dans l’utilisation des rongeurs pour l’identification de nouvelles molécules thérapeutiques démontre de façon absolue en particulier que soigner de tels « modèles » par telle ou telle molécule, à de très rares exceptions près, ne préfigure en rien l’effet de ces molécules pour d’autres espèces, en particulier humaines. Constituant de formidables outils pour comprendre nombre de mécanismes biochimiques ou génétiques, les rongeurs en particulier sont suffisamment distincts d’autres espèces vivantes pour ne pas pouvoir être considérés comme « modélisant » la situation rencontrée dans la plupart des organismes vivants. En résulte le fait qu’il est en réalité impossible de transposer les résultats obtenus sur les rongeurs, en particulier l’innocuité de telle ou telle molécule sur ceux-ci pour conclure à l’innocuité de cette molécule vis-à-vis de la biodiversité ou la santé humaine. Clairement ici, nos « Intox-icologues » nous et/ou se mentent : notre pauvre rongeur n’est pas un « modèle » pour l’homme, ni bien sûr pour les millions, voir les milliards d’organismes, des plus petits (les bactéries) aux plus grands, sur terre, les mammifères, dans l’eau les baleines, qui risquent de se trouver plus ou moins exposés aux pesticides ! Mais maintenant, et c’est là un tour de passe-passe essentiel, pour conclure à l’innocuité d’un SDHI, il suffira de montrer que notre rat résiste. Si comme c’est souvent le cas, il est mal-en-point, il suffira de déclarer la chose normale puisqu’il s’agit d’un poison ou bien que l’on a affaire à une sensibilité sans signification et limitée aux rongeurs, brusquement le « modèle » n’en est plus un. 

Deuxième tour de passe-passe, plutôt que de parler science, nos « Intox-icologues » vont parler normes, par exemple des valeurs toxicologiques de référence (dans leur jargon, les VTR) ou les doses journalières admissibles (les DJA).  Et pour parler normes, reconnaissons-le ils sont experts. Ils disposent pour cela des données sur les SDHI, fournies quasiment exclusivement par les industriels de l’agrochimie, des données souvent partielles, caviardées, réalisées dans des conditions plus que contestables, et surtout vu leur origine, entachées d’un conflit d’intérêt ineffaçable.

Sans véritable surprise, sur la base de ces données règlementaires maintenant tout va bien. Evacuée la science : elle n’était là mentionnée que comme caution. Nos « Intox-icologues » de l’Anses nous l’affirment : les règlements – les mêmes que ceux utilisés pour le chlordécone, les néonicotinoïdes ou le glyphosate et de tant de pesticides qui se sont révélés catastrophiques – sont quasi parfaits. 

Ainsi après plus de 4 ans (6 depuis l’alerte initiale), un nouveau rapport associé à divers avis (plus de 400 pages à lire !), pour un nombre d’heures de travail et un coût que l’on peut imaginer, il n’est toujours pas tenu compte des données scientifiques indépendantes. La raison essentielle : les conclusions de la science sur les SDHI ne plaisent pas. Elles ne rentrent pas dans les cases des règlements auxquels par nature la science ne peut pas être soumise. De fait, ces conclusions ne vont pas dans le sens souhaité par les fonctionnaires de l’Anses et… accessoirement par les industriels de l’agrochimie. Que l’Anses ose conclure qu’en gros tout va bien et que les règlements sont là qui nous protègent, on croit rêver, ou plutôt cauchemarder. 

Sur cette terre, pour sûr, mieux vaut ne pas être ver de terre, poisson, oiseau, paysanne, paysan, citoyenne, citoyen… que l’on soit scientifique ou non.

Paule Bénit et Pierre Rustin