19 février 2024
Les coupes budgétaires annoncées par le gouvernement ne laissent aucun doute : au nom de l’obsession pour la croissance, les politiques d’austérité sont de retour. Une fois de plus, l’écologie et la justice sociale en paient le prix. Ces décisions ne sont que les premières de la longue liste des conséquences à venir du retour au carcan budgétaire du Pacte de stabilité et de croissance dans l’Union européenne.
C’est sur TF1 à 20 heures que le ministre de l’économie Bruno Le Maire est venu annoncé révision à la baisse des prévisions de croissance du PIB de la France parce que « la croissance ralentit partout dans le monde » . Le ministre ne s’est pas attardé sur les causes profondes de ce constat, liées au franchissement des limites planétaires, ainsi qu’aux guerres et conflits géopolitiques qui en résultent. Il a aussitôt annoncé 10 milliards d’économies sur le budget de l’État, à commencer par la baisse d’un milliard d’euros des crédits dédiés à la rénovation énergétique de l’habitat, mais aussi du fonds vert, de l’aide au développement, du budget de tous les ministères ainsi que des opérateurs de l’État. Déjà, la hausse de 10% de l’électricité par le biais d’une taxe et l’augmentation des franchises médicales, précédemment annoncées, illustraient le retour à l’orthodoxie sur le dos des catégories populaires.
Ces décisions s’inscrivent dans le contexte du retour aux règles absurdes du Pacte européen de stabilité et de croissance, selon lequel le déficit public ne peut dépasser 3 % du PIB, depuis le 1er janvier 2024. Adopté en 1997 avec pour objectif de contenir la dette et les déficits publics, il avait été suspendu en urgence en 2020, dans le contexte de la pandémie de Covid 19, pour faire face aux conséquences économiques des confinements. Loin des promesses du « monde d’après », du retour de la puissance publique face aux défaillances de la main invisible du marché et de la remise à plat des règles du jeu économiques en fonction de priorités vitales (le climat, la relocalisation de l’économie, la santé, l’éducation et tous les métiers essentiels, etc), le « quoi qu’il en coûte » à l’échelle du continent n’était qu’une parenthèse qui a pris fin en 2024. Et le 10 février dernier, le Parlement européen et les États membres sont parvenus à un accord sur une réforme du Pacte de stabilité européen qui s’appliquera au 1er janvier 2025. Ce Pacte nouvelle mouture est présenté comme plus équilibré et plus souple que l’ancien. Mais, dans les faits, il repose une fois encore sur les dogmes de l’ancien monde : l’obsession, coûte que coûte, pour la poursuite de la croissance du PIB et son corolaire : l’austérité budgétaire.
Retour à Maastricht
Sur le papier, le nouveau pacte de stabilité se prétend adapté aux enjeux actuels : « (…) parvenir à une transition numérique et écologique équitable, garantir la sécurité énergétique, soutenir l’autonomie stratégique ouverte, tenir compte de l’évolution démographique, renforcer la résilience sociale et économique et la convergence durable, (…) la sécurité et la défense » . Cependant le fond idéologique n’a pas varié depuis le traité de Maastricht : la réduction de la dette et des déficits publics restent l’alpha et l’oméga des trajectoires budgétaires européennes. L’objectif affiché de « croissance durable pérenne et inclusive » , même enrobé de termes bienveillants, revient au dogme de la poursuite de l’impossible croissance infinie. Pour les mauvais élèves qui ne respectent pas la trajectoire d’austérité, impliquant toujours les fameux « critères de Maastricht » (le déficit ne doit pas dépasser 3 % du produit intérieur brut et la dette doit rester contenue sous les 60 % du PIB), la Commission concoctera une « trajectoire technique » comprenant les incontournables « réformes structurelles » toujours plus libérales et destructrices des services publics, de la protection sociale et des moyens de l’État.
Il n’est tenu aucun compte des alertes de l’agence européenne pour l’environnement qui, dès 2021, soulignait les défaillances de cette doctrine et invitaient aux « perspectives intéressantes de la post-croissance et de la décroissance » . Les États membres sont restés prisonniers du logiciel des critères de Maastricht, ne le modérant que par quelques clauses de flexibilité et d’ajustement. Ils n’ont pas voulu regarder en face les bouleversements à l’oeuvre. Nous ne sommes plus en 1997 : Poutine fait la guerre en Ukraine et menace l’Europe entière, la pauvreté explose tant l’obsession pour la croissance est structurellement inégalitaire, le chaos climatique frappe aux quatre coins du continent avec les sécheresses, les inondations, les méga-feux, et faute d’avoir organiser sa sortie des énergies fossiles l’Europe est dépendante de puissances peu recommandables… Mais toutes les dépenses publiques seront logées à la même enseigne de la restriction, même les plus vitales qui visent à notre défense et notre résilience commune.
La transition écologique sacrifiée à la croissance
Preuve que le nouveau Plan de stabilité européen ne change rien à l’ancien : la France n’a pas tardé à sacrifier une fois de la plus la transition écologique sur l’autel de la croissance, opérant notamment une large coupe budgétaire dans le dispositif d’aide à la rénovation énergétique des bâtiments (Ma Prime Rénov’), au grand dam du secteur du bâtiment, qui dénonce l’incohérence gouvernementale.
Mais qu’attendre d’autre de dirigeants qui restent accrochés au dogme de la croissance économique, prétexte à toutes les politiques d’austérité et qui nourrit la spirale infernale « croissance, chômage, dette » , l’instabilité et les crises à répétition depuis quarante ans ?
Génération Écologie, aux côtés de nombreux syndicats, économistes et mouvements citoyens, s’oppose au retour de l’austérité en Europe qui empêchera les États membres d’investir dans la transformation de nos économies, vers une société sobre, juste, solidaire, résiliente et respectueuse des limites planétaires, donc décroissante.
Il est plus que temps de changer de logiciel économique et d’abandonner la vieille lune de la croissance si l’on prétend, en 2024, réellement préparer l’avenir de la France et de l’Europe.
Pierre de Beauvillé et Arnaud le Bour, pour la commission Économie de la décroissance