15 mars 2025
Le 13 mars, Génération Écologie a organisé pour ses adhérentes et adhérents une soirée d’échange « NI TRUMP, NI POUTINE ! », sur la situation géopolitique, la défense et l’écologie, pour comprendre et agir. Voici la replay vidéo et la retranscription de l’introduction orale à la discussion présentée par Delphine Batho. Pour plus de confort de lecture, il est aussi possible télécharger cette retranscription au format pdf ici.
« Je n’ai pas besoin, avec toute l’équipe d’Animation nationale de Génération Écologie, d’expliquer pourquoi cette réunion est nécessaire. Je vais partager quelques éléments d’analyse, de réflexion et de perspective en introduction, qui n’ont pas vocation à l’exhaustivité. Les événements historiques que nous sommes en train de vivre sont d’une telle ampleur et d’une telle profondeur que nous l’abordons avec un principe d’humilité, qui ne prétend absolument pas à la complétude, mais à un objectif de clarté.
Nous sommes pour la paix !
Pour commencer, je voudrais d’abord clarifier un point qui est fondamental : nous sommes pour la paix. Le combat pour la décroissance, contre la violence, pour l’harmonie entre les humains et pour l’harmonie avec la nature, c’est un combat contre la guerre. C’est un combat contre la barbarie par définition. Génération Écologie ne fait pas sien le concept – dont vous avez peut-être entendu parler – de l’« écologie de guerre ». C’est un oxymore, c’est-à-dire l’association de deux termes qui sont le contraire l’un de l’autre. Nous sommes très au clair sur les causes profondes de la marche à la guerre liée au dépassement des limites planétaires.
Tout écologiste est condamné à se battre pour la liberté
Nous assumons entièrement la nécessité d’être partie prenante de la bataille en cours contre Poutine, contre Trump, car c’est la bataille contre ceux que nous appelons les Destructeurs et leur idéologie totalitaire. Tout écologiste est condamné à se battre pour la liberté. Il n’y a aucune écologie possible sans démocratie. Et c’est le combat pour la défense de la démocratie qui est à l’ordre du jour.
Et en tant qu’écologistes, nous devons prendre une part active à l’effort de défense parce qu’on ne peut pas défendre l’écologie dans le totalitarisme ou dans le crypto-fascisme. On pourra avoir certainement dans la conversation une discussion sur la caractérisation de nos adversaires. L’élément de clarification important, c’est qu’il ne faut pas confondre le fait d’assumer d’être partie prenante de l’effort de défense, avec une adhésion ou un consentement à la vision de la société qui est celle de toutes celles et tous ceux qui composent le bloc des gens qui veulent défendre la démocratie face à Trump ou à Poutine. C’est un peu, sans faire de parallèle historique comme dans la Résistance, où les meilleurs résistants étaient dans la bataille, mais avaient un projet alternatif pour la paix et pour les temps de paix.
Les tenants de la course à la croissance ont perdu la paix
Dernière remarque liminaire, en tant qu’écologistes nous avons un rôle éminent à jouer. Et un rôle bien plus important que ce qui paraît ou qu’on nous prête parce que la guerre, la vraie guerre en Ukraine, ou la guerre au sens du temps de ni guerre ni paix, de guerre hybride que nous connaissons en France, ne peut pas être gagnée sans un contenu écologiste.
La paix a été perdue, et elle est en train d’être perdue, par ceux qui se sont enfermés dans une logique de course à la croissance au sens factuel du terme. Quand on achète du gaz russe pendant des années, on crée le trésor qui permet à Poutine d’engager la guerre en Ukraine. On ne peut pas d’une main acheter le gaz de Poutine, ou le gaz de schiste de Trump, et de l’autre pleurer sur le sort du peuple ukrainien sous les bombes ou sur le sort du peuple ukrainien quand il se fait molester dans le bureau ovale à la Maison-Blanche. Les décroissants que nous sommes, les écologistes, ne sont pas une sorte de force d’appoint dans la période qui s’ouvre. Nous devons être un moteur de la victoire parce que, sinon, ce sera la défaite.
Nos constats sur la situation géopolitique
Pour commencer, après cette introduction, je voudrais énumérer un certain nombre de constats cliniques et, encore une fois, j’insiste, sans prétendre à l’exhaustivité.
– Évidemment, premièrement, il y a un renversement d’alliance et une trahison des États-Unis. La rupture est consommée. Je pense qu’il n’y a pas besoin de rappeler les faits entre le discours de Munich, les droits de douane, le vote à l’ONU des États-Unis avec la Russie de Poutine, le deal Trump-Poutine dans le dos de l’Ukraine, l’arrêt de l’aide militaire à l’Ukraine et l’arrêt de la fourniture des renseignements américains à l’Ukraine. Tout cela donne un avantage stratégique à Vladimir Poutine dont nous avons vu la matérialisation supplémentaire aujourd’hui avec ses déclarations sur l’installation supplémentaire de troupes en Biélorussie et de missiles nucléaires en Biélorussie. Il y a évidemment une convergence idéologique très profonde entre Trump et Poutine dans le culte masculiniste du chef, dans l’idéologie totalitaire et obscurantiste et aussi dans l’affairisme. Ils se sont mis d’accord sur une sorte de Yalta sur le dos de l’Ukraine et de l’Europe. C’est une trahison, et c’est évidemment une rupture historique et stratégique absolument majeure pour la France et pour l’ensemble du continent européen.
– Deuxième constat : nous sommes dans un nouveau régime économique que l’économiste et historien Arnaud Orain appelle « le capitalisme de la finitude ». Il y a un effet de synergie entre la surproduction, la surconsommation, la rareté des ressources, les limites planétaires et la mise en data du monde au travers du numérique. On entend beaucoup qualifier ce qui se passe d’une sorte de retour des empires, de retour à l’impérialisme classique. Or, d’abord, l’impérialisme classique n’avait jamais disparu. Mais surtout, ce qui se met en place aux États-Unis va bien au-delà des caractéristiques historiques déjà connues, parce que c’est une redoutable machine qui va organiser un changement majeur du régime économique actuel. Après l’âge du commerce, l’âge de l’usine, l’âge de la finance, c’est une nouvelle ère qui n’a pas commencé hier matin, qui se structure, et la fin de l’idée que la concurrence libre et non faussée, l’extension sans limite du marché, serait à même de garantir la paix. Donc c’est la fin de l’ère ultralibérale de la mondialisation commerciale généralisée et avec pas seulement une sorte de retour des empires, mais l’avènement d’une nouvelle domination, qui est l’âge de la firme-gouvernement ou de la compagnie-État, avec des prérogatives souveraines ou une souveraineté fonctionnelle, avec un objectif qui est un objectif de démantèlement de l’État de droit et de la démocratie, en organisant le remplacement du gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, par le gouvernement du monopole des algorithmes et des plateformes de réseaux sociaux, sur l’économie, sur la culture, sur l’information, sur tout. C’est en quelque sorte l’ultime étape de prise de contrôle et de pouvoir par les GAFAM.
– Troisième constat, la situation sur le plan militaire : Évidemment, d’abord, le retour sur le continent européen de laviolence désinhibée en Ukraine avec une guerre ouverte, une guerre de position, qui a fait un million de morts et de blessés. On parle de 80 000 Ukrainiens et 200 000 Russes tués, des pertes civiles très importantes, des enfants déportés et des millions de réfugiés. À cela s’ajoute la prolifération nucléaire. L’invasion russe en Ukraine se fait à l’ombre d’une rhétorique nucléaire qui a empêché un engagement direct de l’Europe et des États-Unis au point de départ en 2022. Il n’a échappé à personne dans le monde, dans tous les pays, que l’Ukraine n’a pas l’arme nucléaire depuis 1994 où elle a rendu les 1700 ogives nucléaires dont elle disposait en échange d’une garantie de sécurité des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni, etc. Cette réalité, et la manière dont Poutine manie la rhétorique nucléaire depuis le début du conflit, ouvrent une nouvelle période extrêmement dangereuse en termes de risques nucléaires et de prolifération nucléaire. La Chine augmente son arsenal de façon considérable. L’Iran veut toujours avoir la bombe atomique. Et maintenant, la Pologne et d’autres veulent aussi soit l’installation de missiles chez eux, soit la bombe atomique directement. On pourra évidemment revenir dans la conversation sur les questions de dissuasion. La situation sur le plan militaire est aussi marquée par l’extension de la guerre et la militarisation de tous les domaines et de tous les espaces. C’est d’abord la guerre menée par des moyens non militaires. C’est ce qu’on appelle les attaques hybrides, où on transforme en armes de guerre des attaques économiques, des déplacements de population, le contrôle de matériaux stratégiques ou de l’alimentation, de l’énergie. C’est aussi la militarisation du commerce dans les espaces maritimes et tous les espaces physiques qui sont à leur tour des espaces sujets à prédation et à conflit sous des formes militaires, donc les zones extra-atmosphériques, l’espace, les fonds marins, les routes maritimes qui s’ouvrent à cause du changement climatique et qui sont au cœur de la stratégie de la Chine, de la Russie, des États-Unis. Et toujours dans cette extension de la guerre à tous les domaines et tous les espaces, évidemment, la sphère cyber et la sphère informationnelle qui permet d’attaquer un pays et même de défaire un pays sans avoir livré aucun combat sur le plan physique, sur le plan militaire classique.
– Quatrième constat, sur le plan géopolitique : le deal entre Trump et Poutine s’inscrit dans le nouvel ordre du monde que veut imposer le Pacte des autocrates, à propos desquels nous avions, à Génération Écologie, adopté une résolution lors de la convention nationale de 2023. Ce pacte lie la Chine, l’Iran, la Corée du Nord, la Russie et quelques autres, qui ont depuis un bon moment des exercices militaires conjoints, des accords économiques. C’est ce Pacte des autocrates qui permet à la Russie de Poutine de contourner les sanctions européennes. Vous avez des troupes de Corée du Nord en Russie, la fourniture d’armes, etc., je ne développe pas. Vous avez sur le plan géopolitique, dans l’offensive de ce Pacte des autocrates, une remise en cause des fondamentaux du droit international, à commencer par le respect des frontières, une remise en cause évidemment de l’ONU, dont le Conseil de sécurité est bloqué, et du principe même du multilatéralisme, du règlement pacifique des conflits, et de tout ce qui est lié au droit international, donc le droit humanitaire, l’Accord de Paris, la recherche de la paix par le dialogue. La conséquence de cet effondrement du droit international, qui n’a pas commencé elle non plus hier, c’est que rien n’arrête, par exemple, les crimes de guerre de Netanyahou contre la population civile à Gaza après les pogroms du 7 octobre, qui est un événement qui a une place dans la stratégie de Poutine parce que nous sommes en train de vivre les conséquences, pour l’Ukraine, que nous redoutions après les pogroms du 7 octobre. De plus, le Pacte des autocrates s’appuie aussi sur la contestation de la domination de l’Occident, d’un ordre international qui proclame des principes qui ne sont pas respectés, avec l’explosion des inégalités, l’impuissance de la communauté internationale face aux injustices, l’attitude méprisante d’un certain nombre de pays qui n’ont pas compris que le monde a changé. Cela vaut particulièrement pour la France et pour la politique africaine de la France. Cette situation de contestation d’une domination de l’Occident qui n’a pas tenu les promesses d’un ordre international juste a été habilement exploitée par nos adversaires et en particulier par la Russie et la Chine en Afrique.
– Cinquième constat, sur le plan intellectuel et de la compréhension des événements qui sont en cours, s’ajoute ce que certains appellent un “biais de rationalité“. Il y a chez nombre de dirigeants européens un effet de sidération et un effet de souffle sur ce que fait Trump, dont ils sont en train d’en sortir fort heureusement. Mais il y a une espèce de réaction de nombre de dirigeants d’avoir du mal à y croire parce que, de leur point de vue et dans leur façon de penser, ce que fait Trump n’est pas cohérent et n’est pas logique. Donc ils ont du mal à y croire. C’est par exemple ce qu’on entend sur les droits de douane, quand il y a des commentaires expliquant que cela ne va pas durer car ce que fait Trump n’est pas logique pour sa propre économie. Ce biais de rationalité passe à côté de deux choses : la première, c’est que l’escalade de Trump ne va pas s’arrêter et qu’en réalité, sa stratégie, son projet politique, son idéologie, inspirée par les libertariens, est lisible et n’est pas si imprévisible que ça. La deuxième, c’est que sa politique a une cohérence. En fait, le biais de rationalité, c’est celui de dirigeants qui ne comprennent pas que le nouveau paradigme qui explique l’état du monde c’est le capitalisme de la finitude, c’est la frénésie d’accaparement des ressources, c’est une domination technologique autoritaire parce que la souveraineté numérique n’a pas été conquise et qu’en fait, derrière tout ça, c’est la trajectoire d’effondrement écologique.
Le paradigme de l’effondrement écologique
Pour Génération Écologie, la nouvelle ère dont je suis en train de parler n’a malheureusement pas commencé avec l’élection de Donald Trump. Nous l’avons vu venir de loin. Je fais référence aux travaux de Dominique Bourg sur la dénonciation des libertariens et du transhumanisme. Je fais référence aux travaux de Bruno Latour sur la sécession de ce que nous appelons les Destructeurs et la manière dont ils prétendent s’accaparer les ressources pour se constituer une espèce de refuge dans un monde en effondrement. En 2019, nous avions décrit une période historique d’accumulation des forces de guerre. À nos yeux, ces Destructeurs étaient en train de préparer la guerre mondiale de l’effondrement dans une sorte de « profitons-en tant qu’on est vivant, organisons-nous une sorte de partage du monde ». Et en fait, quand on regarde les événements les plus récents, l’effondrement écologique est partout : dans la volonté de s’emparer du Groenland, c’est-à-dire de futures terres habitables ; dans, évidemment, tout ce qui se joue sur les métaux et les terres rares ainsi que sur le pétrole et le gaz. En fait, ces Destructeurs ont parfaitement intégré l’existence des limites planétaires et affirment que leur mode de vie n’est pas négociable. Et c’est pour ça que dans l’idéologie de Trump et de Musk, la conquête de Mars, elle a un rôle idéologique très important parce qu’il faut entretenir le mythe d’une possible vie humaine en dehors de la Terre. Comme ça, on peut continuer de détruire notre planète. Ce que certains ont appelé un Earth-Exit. Tout ça se manifeste évidemment dans le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, dans la relance tous azimuts de l’extraction des énergies fossiles, dans la liquidation de l’ensemble des politiques environnementales, dans l’élimination même des mots « climat » ou « changement climatique » dans les sites internet de l’ensemble des agences fédérales, et avec le licenciement des scientifiques. Nous sommes dans une lutte à mort entre le capitalisme de la finitude et la démocratie écologique.
Le paradigme de l’effondrement aujourd’hui, en fait, guide ces États. Il est aussi à l’arrière-plan de ce qui se joue dans les démocraties en termes de peurs refoulées qui nourrissent la montée de l’extrême droite. Il faut se rappeler que Trump a été élu. Je vous renvoie, sur le site de Génération Écologie, à l’article remarquable de Stéphane Meriau sur l’analyse de la défaite des démocrates. La trajectoire d’effondrement « drive », pour prendre un terme anglais, aussi bien la politique des autocrates que la peur des peuples dans les démocraties, dont l’extrême droite s’empare avec pour réponse le déni, le drapeau du backlash contre l’écologie, pour faire croire à tout le monde qu’on peut faire comme s’il n’y avait pas de problème de changement climatique, qu’il n’y avait pas de problème d’effondrement écologique. Dans pas mal de discussions, on entend la réflexion, « mais comment articuler l’écologie aux questions de défense ? ». En fait, c’est une seule et même question. D’où nos orientations évidentes dans ce basculement historique.
D’abord, nous devons nous défendre pour gagner la paix
Si Génération Écologie a un objectif stratégique, c’est de gagner la paix. Nous voulons un ordre international qui est fondé sur les règles, sur le droit, sur le règlement pacifique des conflits. Nous devons participer à l’effort de défense parce qu’il ne peut pas être question de capituler face à des gens en armes, ni en Ukraine, ni à Paris, ni dans n’importe quel État démocratique. On ne peut pas laisser faire et attendre que ce soit notre tour. Il faut donc se défendre et être en capacité de protéger notre sécurité, de protéger notre pays, de protéger l’Europe. La menace est réelle. Les chars russes sont réellement aux portes de l’Europe. Il faut prendre très au sérieux les informations des services de renseignement des États Baltes sur la manière dont la Russie est en train d’organiser ses forces à leurs frontières. Les annonces de Poutine aujourd’hui sur la Biélorussie vont dans ce sens. L’intention de la Russie est extrêmement lisible. Après la Géorgie, après la Crimée, aujourd’hui l’Ukraine, et demain qui ?
En ce qui concerne la France, nous sommes déjà dans une situation qui n’est ni la guerre — au sens de la guerre ouverte, de la guerre physique —, ni la paix. Notre pays subit tous les jours des cyberattaques et des attaques hybrides, il subit aussi la guerre informationnelle. Nous sommes déjà dans cette situation.
Il n’y a pas de place pour la politique politicienne
Il y a une conséquence à tirer de ce que je viens de dire en termes de lucidité sur la réalité de la menace et la nécessité de se défendre, c’est que ce n’est pas le moment de faire de la politique politicienne. Ce serait une erreur grave dans le moment actuel. Les réflexes un peu pavloviens, du type « si Macron dit A, je suis forcément pour B, si Macron dit blanc, il faut dire noir », ce n’est pas possible et ce n’est pas supportable. Ce sont des réflexes qui, souvent, cachent une sorte de défaitisme de gauche. Alors que les choses sont extrêmement claires sur la menace que représente la Russie pour l’ensemble de l’Union européenne. Donc il faut prendre garde de ne pas interpréter les événements en cours avec le prisme de positionnements de politique intérieure française alors que nous sommes dans une situation où il y a une nécessité absolue de revisiter la capacité du pays à se défendre et à se défendre dans la durée.
Le réarmement est nécessaire,
mais ce n’est pas une stratégie de défense
Quelle stratégie de défense ? La position de la France à cette étape, c’est deux choses : l’autonomie stratégique européenne, d’accord, j’y reviendrai, et deuxièmement, le réarmement. Le réarmement en réalité est une nécessité parce qu’il faut avoir la capacité de se défendre, mais ce n’est pas une stratégie. Pour le comprendre, il faut faire un très bref panorama des capacités de défense actuelles de la France.
La France a des atouts. Son atout stratégique principal est qu’elle ne s’en est jamais remise aux États-Unis d’Amérique pour la garantie ultime de sa sécurité et de ses intérêts vitaux au travers de la dissuasion nucléaire. Elle a comme atout d’avoir la 7ème armée du monde avec une crédibilité historique : alliée des deux guerres mondiales, membre fondateur de l’Union européenne, pays fondateur de l’OTAN, dissuasion autonome, refus de la guerre en Irak, une armée qui a été longtemps une armée d’emploi.
Mais la France a aussi des points faibles. Les points faibles de la France, c’est premièrement, ses dépendances géostratégiques toxiques, en particulier en matière d’énergie, puisque le premier fournisseur de pétrole et de gaz de la France, c’est Donald Trump, et que le deuxième, c’est Vladimir Poutine. Et elle a aussi d’autres dépendances toxiques dans le domaine des matières premières notamment. La délocalisation industrielle induit aujourd’hui un problème de dépendance géostratégique très important. Deuxième point faible, beaucoup de dépendances aux États-Unis qui ont la main sur l’énergie, mais aussi sur la sécurité des routes maritimes de nos approvisionnements, sur le renseignement en partie via le spatial, même si on a du renseignement nous-mêmes, sur le numérique, et donc une capacité d’influence sur notre société qui est considérable. Sur le plan militaire, nous sommes dans une situation aujourd’hui où la France s’adapte à l’évolution de la menace. La rhétorique de la dissuasion nucléaire de Poutine nous oblige à mettre à jour la doctrine de la dissuasion nucléaire française. Il y a un contournement de la dissuasion nucléaire par le bas qui oblige à se poser la question de la masse, de la profondeur, de la durée. Or la France était sur un modèle déléguant la défense du pays à une armée d’un format qui a été considérablement réduit, une armée de professionnels extrêmement pointus, extrêmement aguerris, qui était un modèle d’armée expéditionnaire pour les opérations extérieures, les OPEX. Ce modèle-là devient totalement inadapté au regard de la nature de la guerre en Ukraine. Enfin, sur la dimension technologique, il y a des évolutions rapides qu’on est en quelque sorte obligés de suivre. Ce sont tous les enjeux autour des drones, de l’intelligence artificielle. Peut-être on pourra y revenir dans la discussion.
Point faible supplémentaire, évidemment nos alliances. La France était dans une espèce d’hésitation, pour des raisons qui peuvent se comprendre, entre l’affirmation de la nécessité d’une autonomie stratégique européenne et un engagement de plus en plus important dans l’OTAN. Or l’OTAN, c’est terminé. L’Europe de la défense, par contre, elle, n’existe pas encore. Et la France, compte tenu de ce que j’évoquais sur ses points faibles et notamment sur la question de la masse, de la profondeur, face à la Russie de Poutine, a absolument besoin d’alliés. Elle a un besoin indispensable d’une alliance et donc d’une Europe de la défense. Il faut bien comprendre qu’il y a une pression maximale de Trump au travers de tous les moyens de pression dont il dispose, qu’illustre parfaitement le discours de J.D. Vance à Munich, qui fait un chantage à l’Europe vis-à-vis de la réglementation européenne du numérique, sujet qui est au coeur de cette pression. Si les démocraties ne sont pas unies avec une défense européenne et avec des alliances, évidemment, même en dehors de notre continent, chacun va se retrouver dans une situation où il est acculé dos au mur, conduit à céder au chantage de Donald Trump. Vous avez vu comme un certain nombre de patrons à Davos ont trouvé Trump formidable. Vous avez vu comment CMA-CGM était dans le bureau de Donald Trump pour céder à la demande de faire des investissements aux États-Unis avec un investissement de 20 milliards de dollars. Pouyanné, le patron de Total, a négocié aussi de son côté qu’il resterait le plus gros importateur de gaz américain, avec là aussi l’investissement de 20 milliards de dollars aux États-Unis. Donc s’il n’y a pas une pression des peuples, une alliance des démocraties, et une pression populaire qui interpelle les gouvernements, vous voyez les effets de domino qui sont possibles.
Enfin, et évidemment, ultime point faible de la France, sa situation de politique intérieure avec des représentants amis, alliés, courroies de transmission de Trump et de Poutine dans le paysage politique français. La stratégie de nos adversaires est de saper la démocratie de l’intérieur, à coup de désinformation, à coup de montée de l’extrême droite, en cultivant toutes les divisions et tout ce qui peut fracturer le pays, dont la fièvre identitaire est évidemment une des dimensions. S’y ajoute le fait que nous avons des forces armées brillantes, avec de très grandes compétences, mais qui sont coupées des forces dynamiques de la société, coupées des femmes, coupées du métissage, et donc qui ont cet enjeu d’être beaucoup plus adossées aux réalités du pays d’aujourd’hui.
Dans l’ensemble de cette situation, évidemment, je pense que je n’ai pas besoin de développer longuement, pourquoi il faut apporter un soutien indéfectible à l’Ukraine. Si l’Ukraine tombe, si l’Ukraine est obligée d’accepter des conditions de cessez-le-feu, ou de simili-paix qui ne serait pas une vraie paix, dans des conditions désastreuses, cela engage notre sécurité, la sécurité de l’ensemble du continent européen. Je ne fais pas le point détaillé sur les derniers événements de la journée sur l’Ukraine, sur les déclarations de Poutine. On pourra y revenir dans le débat.
La conclusion de ce panorama est que nous avons besoin d’une stratégie qui résiste à l’épreuve des événements. Or ce n’est pas principalement un débat technique financier.
Pour une stratégie de défense totale, en profondeur
Il y a plein de débats techniques très intéressants à avoir sur le type de défense qu’il faut renforcer, sur combien ça coûte, sur où on va trouver l’argent. Mais une stratégie de défense, c’est d’abord une stratégie politique. Et nous, nous sommes pour une stratégie de défense en profondeur, de défense totale et de résilience citoyenne face aux événements en cours, qui n’impliquent pas simplement un réarmement, mais qui impliquent d’abord de conquérir une souveraineté écologique qui passe par la décroissance de l’inutile. Notre sortie des énergies fossiles doit être menée tambour battant. Comme l’avait dit la scientifique ukrainienne du GIEC Svitlana Krakovska « c’est une guerre des combustibles fossiles ». Et on ne peut pas, dans la situation géopolitique dans laquelle nous sommes, continuer d’être tenus en laisse par les détenteurs des énergies fossiles. Donc c’est une question de stratégie géopolitique absolument centrale.
Toujours dans le registre de la souveraineté écologique, la question du numérique, de sa réglementation, du respect des règles énoncées par la démocratie dans le cyberespace est absolument centrale, fondamentale. Elle n’est pas nouvelle, mais on voit les conséquences tous les jours quand ce sont des scrutins qui sont attaqués comme en Roumanie pour manipuler une élection. Il en va de même de la question de l’alimentation et de notre souveraineté alimentaire qui est utilisée, va être utilisée comme une arme de guerre, et l’est déjà au travers des tarifs douaniers. La souveraineté écologique est le premier élément d’une stratégie qui ne se limite pas à dire qu’il faut acheter des armes.
Nous avons besoin d’une mobilisation générale du pays pour la résilience. Il s’agit d’aider la société à tenir et à faire bloc en profondeur dans la durée, quelle que soit la menace, que ce soient des événements climatiques extrêmes ou que ce soit la guerre. L’armée, aujourd’hui, n’est malheureusement pas adossée à cette stratégie de défense totale qui est mise en œuvre dans les pays d’Europe du Nord. Elle doit être une inspiration pour la France, ce qui renvoie à tout ce que Génération Écologie a développé comme propositions sur la résilience, sur l’entraide, sur l’organisation locale, notamment à l’échelle des communes. Ce sera notamment un enjeu des élections municipales en termes d’organisation locale de la solidarité concrète.
Cette dimension de mobilisation générale du pays, pour la résilience, elle a évidemment un corollaire : elle doit faire l’objet d’un compromis social, d’un contrat social et écologique. Il n’est pas possible d’entendre les représentants du Medef ou d’autres expliquer que, comme il va falloir financer l’effort de guerre, ce n’est plus la peine de discuter de l’abrogation de la réforme de la retraite à 64 ans. Si dans l’ère du capitalisme de la finitude, les libéraux veulent profiter des circonstances actuelles pour en faire une prise d’avantage sur les catégories populaires, il n’y aura pas de solidité du pays, il n’y aura pas de cohésion nationale et il n’y aura pas de mobilisation dans les circonstances historiques qu’on affronte. Il ne s’agit pas seulement de répéter nos exigences sur la justice sociale, sur le respect qui est dû à chacune et chacun et la dignité des conditions de vie. C’est une question de défense en tant que telle de faire tout ce qu’il faut pour favoriser la cohésion nationale et de ne pas profiter de ce moment pour une prise d’avantages supplémentaires sur les catégories populaires, sur les travailleuses et sur les travailleurs. C’est une condition de l’adhésion du pays à la compréhension de ce qui est en train de se passer.
Enfin, la rupture avec le présidentialisme. Là aussi le propos n’est pas de répéter les orientations de Génération Écologie sur la rupture avec le présidentialisme, mais de comprendre que le système de la Ve République, qui fait du Président de la République et de lui seul le chef des armées au travers notamment du fait que c’est lui qui décide en matière de dissuasion nucléaire, a produit l’effet collatéral de décharger l’ensemble du pays et l’ensemble de la société des enjeux de défense. Cette forme de confiscation et de concentration des questions de défense par le présidentialisme a un effet nocif : le pays ne s’est pas trop intéressé à ces enjeux et a considéré que ce n’était pas le sujet de monsieur et madame tout-le-monde. Or, c’est le sujet aujourd’hui de monsieur et madame tout-le-monde et donc il y a un problème avec la nature de ce régime institutionnel.
Et enfin la France doit avoir une stratégie géopolitique qui porte un projet alternatif pour la vie sur Terre. Le problème de la masse, c’est-à-dire le fait que la France, qui est membre du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a certes la 7ème armée du monde, n’a pas du tout, évidemment, des capacités qui sont dans les ordres de grandeur de ce que représentent la Russie, la Chine, les États-Unis. Dans le nouveau capitalisme de la finitude, il va y avoir un effet systémique : chacun va se dire que la seule façon de s’en sortir, c’est de faire pareil que les autres, de chercher à construire son mini-empire. Par comparaison des ordres de grandeur, à ce jeu-là, c’est une stratégie qui conduit à la défaite. Bien sûr il faut avoir des capacités de se défendre et de se protéger. Mais la question de ce que certains appellent la masse ou la puissance, ne peut pas être résolue sur un plan politique dans le périmètre de nos seules frontières. Autrement dit, dans la course à la puissance, la plus grande puissance potentielle de la France et de l’Europe, ce n’est pas seulement une force physique, c’est de faire le choix politique d’un modèle social, culturel, pour les êtres humains qui veulent s’émanciper, qui veulent vivre libres, qui veulent des terres qui restent habitables partout dans le monde.
Il n’est pas normal que la seule voix sur la scène internationale qui ait dénoncé le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris soit celle de Lula. La France doit porter haut un modèle alternatif, doit porter haut les couleurs du métissage, de son insularité sur toutes les mers et sur tous les océans à travers les Outre-mer, de sa Déclaration des droits de l’Homme, de l’Accord de Paris pour le climat, de son droit à l’IVG inscrit dans la Constitution. La stratégie géopolitique qui doit être la nôtre, c’est d’être reliée à tous les peuples qui sont en lutte, à tous les maltraités sur la scène internationale, parce qu’on a besoin de nouer des alliances qui vont au-delà du seul continent européen.
La guerre idéologique : Ni Trump, ni Poutine !
Comme écologistes, notre tâche prioritaire dans la situation française est de mener la guerre idéologique ni Trump, ni Poutine ! L’affrontement qui est en cours est un affrontement entre ce que nous défendons et des idéologies totalitaires. Nous devons être à l’avant-garde de ce combat et monter au front écologique parce qu’il y a une correspondance entre le Trumpisme et le backlash contre l’écologie en France et en Europe. C’est la même idéologie, ce sont les mêmes attaques contre la science.
Pour conclure et sans être complète, nous devons prendre part à ce qui est en train de se passer autour de nos combats et de notre vision. Dans les événements en cours, beaucoup de dirigeants qui ne sont pas matricés par la pensée écologique, sont quelque part prisonniers d’une vision du monde qui est derrière nous, qui est obsolète, qui ne tient plus la route.
Nous devons prendre part à l’effort de défense dans la clarté sur le fait que le modèle qui nous a conduit à cet état du monde n’est pas le nôtre. Nous avons, avec d’autres, un objectif commun, qui est le refus du totalitarisme, mais que nous proposons, nous écologistes, un chemin différent et un contenu différent de celui de ceux qui ont armé la Russie de Poutine et Trump. Autrement dit, Génération Écologie ne rentre pas dans le rang. Nous assumons de prendre pleinement notre part à la défense de la démocratie. Pas pour revenir au modèle d’avant, mais pour construire un monde harmonieux.
Voilà sans ambiguïté notre lecture des événements en cours, la clarté nette qui est la nôtre et notre engagement pour conduire cette guerre idéologique. Nous avons un rôle essentiel à jouer, qui est celui d’être une colonne vertébrale de cette bataille, et évidemment d’empêcher la prise de pouvoir en France des alliés de Trump et Poutine incarnés par l’extrême droite française. »