17 avril 2023
Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), a accepté de répondre aux questions de Génération Écologie concernant la décision du Conseil d’État de fermer des zones de pêche dans le golfe de Gascogne pour certaines périodes afin de limiter le nombre de décès de dauphins victimes de captures accidentelles lors des actions de pêche.
Le Conseil d’État vient de sommer l’État de fermer les zones de pêche dans le Golfe de Gascogne, comment en est-on arrivé là ?
Allain Bougrain-Dubourg : On voit bien que l’exécutif traine des pieds devant la plus haute juridiction. Lorsque l’on entend dans les coulisses que les « pingers » (effaroucheurs) ne sont pas toujours fiables, que les bateaux ne sont pas tous équipés de caméra, on comprend alors qu’il y a un véritable manque de volonté. La déclaration surréaliste du Président de la République en date du 22 mars dernier illustre ce rapport au droit : le problème ne viendrait pas des retraites, mais des jugements qui tombent sur le Gouvernement !
Que le Conseil d’État puisse être remis en cause par le Président lui-même, par pure démagogie, est inacceptable. Nous ne sommes donc pas encore tirés d’affaire, malgré les cris d’alarme du Réseau National d’Échouage et du Conseil International pour l’Exploitation de la Mer. Si la situation devait durer, sans respect de ce jugement, nous irons alors jusque devant la Cour de Justice de l’Union européenne, comme nous l’avons fait pour empêcher la chasse à la glue. Nous avons ainsi contraint l’État à s’incliner. Il n’est pas raisonnable de ne pas faire triompher la raison de la haute juridiction de notre pays, à l’heure où l’on clame, dans tant de sommets et de colloques français ou internationaux, le respect de la biodiversité… ! C’est insupportable. Il faudrait déjà commencer par l’élémentaire : le respect du droit !
Le Conseil d’État parle de fermer les zones de pêche « pendant les périodes appropriées ». Comment comprendre ce terme et que faut-il en attendre ?
Allain Bougrain-Dubourg : La période la plus meurtrière s’échelonne entre fin décembre et fin mars. Il s’agit de la période de fret pour les bars et les merlus, qui attirent à la fois les dauphins et les pêcheurs ! Il s’agirait donc de fermer les zones de pêche concernées sous forme de « trêve hivernale » spatio-temporelle. Naturellement, il conviendrait d’indemniser les pêcheurs en compensation des pertes estimées. Nous avions adopté le même type de mesure pour la coquille Saint-Jacques ou pour le thon rouge en Méditerranée et cela a donné de bons résultats. Les bars pourront ainsi se reproduire en multipliant la ressource pour l’avenir, c’est donc vertueux en tout point.
Depuis quand ce sujet est-il dénoncé par les associations de protection de l’environnement telles que la LPO ?
Allain Bougrain-Dubourg : Voilà plusieurs décennies que la LPO alerte sur la situation catastrophique des dauphins dans le Golfe de Gascogne. Ayant notre siège à Rochefort, nous sommes bien placés pour constater le grand nombre de cadavres échoués sur nos côtes. Nous travaillons en collaboration étroite avec le Réseau National d’Échouage, nous portons notamment les cadavres pour autopsie. Nous sommes de cette manière en prise directe avec cette pathétique réalité.
Les dauphins et les marsouins sont des victimes connues de ces méthodes de pêche non sélectives, on parle de 5000 à 10 000 individus. Est-ce bien l’ordre de grandeur ?
Allain Bougrain-Dubourg : Les scientifiques à l’échelle internationale disent tous la même chose : si l’on trouve 1 000 cadavres de dauphins, c’est qu’il y a environ 10 fois plus de victimes, soit 10 000 dauphins agonisant par asphyxie pendant près de 30 minutes, avant d’être délivrés par la mort… A ce rythme, les populations de dauphins communs et de marsouins sont largement compromises car ces animaux ont des capacités de reproduction très lentes. On estime que l’espèce serait gravement menacée d’ici 30 ou 40 ans.
Comment travaillez-vous ensemble, LPO, Sea Sheperd, FNE… pour coordonner vos actions ?
Allain Bougrain-Dubourg : Chaque association a sa singularité. Sea Sheperd a des bateaux quand d’autres vont essentiellement devant les juridictions… Chacun porte l’intérêt général à sa manière, et en complémentarité. Ensemble, nous allons gagner, mais en attendant, en ce début de XXIème siècle, ces souffrances sont inacceptables.
Le délai de 6 mois est-il adapté à la situation ?
Allain Bougrain-Dubourg : On aurait pu espérer un référé suspensif immédiat. Mais le Conseil d’État a fait le pari du dialogue, qui reste néanmoins à construire.
Peut-on se risquer à l’optimisme si les mesures sont prises sous 6 mois pour l’avenir de ces espèces ?
Allain Bougrain-Dubourg : Ni optimisme, ni pessimisme. On se bat depuis si longtemps en espérant à chaque fois l’issue la meilleure. Je regrette néanmoins d’avoir encore à mener ces batailles alors qu’il n’existe plus aucun doute sur la souffrance animale, ni sur la crise d’extinction de la biodiversité en cours d’accélération. S’il le faut, nous poursuivrons donc, toujours avec la même détermination.
Quelle sera votre prochaine action ?
Allain Bougrain-Dubourg : Il y a un évident malentendu entre les pêcheurs qui estiment ne jamais avoir vu autant de dauphins autour des bateaux et les scientifiques qui constatent une réduction des populations. La LPO propose une rencontre avec les divers acteurs du dossier pour éclairer le débat.
Propos recueillis par Anne-Laure Bedu