23 janvier 2024
En vue de l’examen au parlement du projet de loi de constitutionnalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG), Génération Écologie a auditionné la sénatrice féministe du Val de Marne et ancienne ministre du Droit des femmes, Laurence Rossignol.
Elle revient avec nous sur l’historique et les enjeux de cette démarche.
Une vigilance de mise dans un contexte de montée de l’extrême droite
« Depuis la décision en juin 2022 de la cour suprême aux USA, [d’annuler l’arrêt fédéral Roe vs Wade qui garantissait le droit d’avorter sur tout le territoire des États Unis depuis 1973], la question de la protection du droit à l’avortement est venue percuter le débat français sur l’IVG.
En France, contrairement aux États-Unis, l’opinion publique est très majoritairement favorable à l’IVG et au droit des femmes à disposer d’elles-mêmes. Elle a soutenu à 80% l’allongement des délais légaux de 12 à 14 semaines en 2020. Et aujourd’hui le projet de loi de constitutionnalisation de l’IVG est soutenu dans les mêmes proportions. »
Pour autant, Laurence Rossignol nous met en garde face à la menace de l’extrême droite qui pèse sur la France. « Partout où l’extrême droite est arrivée au pouvoir, qu’elle soit néofasciste, conservatrice, illibérale, réactionnaire, ou populiste, elle s’en est systématiquement pris à l’IVG. »
La vigueur des mouvements anti-choix est également un danger : « En France, les mouvements anti-choix, c’est-à-dire anti-IVG, n’ont jamais désarmé. » Depuis la Loi Veil sur le droit à l’avortement (1975), les féministes et les parlementaires ont dû intervenir à plusieurs reprises, notamment avec la Loi Neiertz, qui introduit en 1993 le délit d’entrave à l’IVG, désormais étendu à internet.
Cela ne les empêche pas de poursuivre leur bataille culturelle, notamment en employant une rhétorique de l’IVG « de confort » qui a pour but de délégitimer les IVG en dehors de situations particulières telles que le viol, l’inceste ou un risque de santé pour la mère ou l’enfant, et qui s’oppose au choix des femmes de disposer d’elles-mêmes.
« Le mouvement anti-choix aujourd’hui est un mouvement international qui a énormément de financements, notamment du côté des églises évangéliques aux États-Unis. En France la « manif pour tous » a donné un vrai coup de jeune au mouvement catholique traditionaliste réactionnaire intégriste, et nous avons vu se développer un autre mouvement très activiste, dénommé « les survivants », qui était notamment à l’origine de campagnes d’affichage sur les Vélibs à Paris. Aussi, la fondation Le Jeune, qui a pignon sur rue pour une partie de son travail sur les maladies génétiques rares, lutte contre l’IVG et pour la défense de l’embryon. Ils distribuent des brochures chargées d’inepties sur l’avortement dans les établissements catholiques, et harcèlent judiciairement les scientifiques qui travaillent sur les embryons. Ils sont aussi très hostiles à la pilule du lendemain qu’ils considèrent comme abortive. Tous ces réseaux anti-choix ont de l’argent et sont très soutenus par les réseaux traditionalistes. »
La constitutionnalisation de l’IVG, une fierté pour la France de renouer avec sa tradition de pays phare des droits humains
Laurence Rossignol explique ainsi la décision de pousser le gouvernement à constitutionnaliser le droit à l’avortement : « En juin 2022, quand la cour suprême aux États-Unis rend sa décision, c’est pour nous le moment de dire qu’il faut protéger le droit à l’avortement en France. Le président Emmanuel Macron avait déclaré à la présidence de l’Union Européenne qu’il voulait que le droit à l’IVG entre dans la charte des droits fondamentaux. Alors, commençons par le faire chez nous ! ».
Les féministes souhaitent la constitutionnalisation de l’IVG pour protéger le droit à l’IVG en France, renforcer la France sur ce sujet vis à vis de l’Union Européenne, et donner de la force aux mouvements pro-choix dans les autres pays qui se battent pour la légalisation de l’avortement, en montrant le chemin de l’entrée de l’IVG dans les droits fondamentaux.
Laurence Rossignol nous explique : « Sur le plan de la procédure parlementaire, plusieurs propositions de loi ont été déposées, et nous étions arrivées à un texte de compromis, qui garantissait la liberté des femmes de recourir à l’avortement, avant que le président de la République ne dépose un projet de loi avec une rédaction semblable.
Ce projet de loi sera examiné à l’Assemblée Nationale le 24 janvier, et au Sénat le 26 février, pour passer si possible devant le congrès autour du mois de mars. Le texte sera très probablement voté à l’Assemblée nationale, mais il est difficile de savoir ce que fera le groupe LR au Sénat, s’ils sont sur une trajectoire réactionnaire comme ils l’ont été pendant l’examen de la loi asile et immigration, ou s’ils réalisent qu’ils sont plus à droite que leur électorat. Espérons que nous nous entendrons sur une rédaction proche de l’actuelle. »
Notons que l’emploi du terme « liberté » plutôt que « droit » a suscité bien des débats. « Les associations féministes auraient préféré l’emploi du terme « droit », mais tous les droits ne sont pas opposables. On pense au droit au logement par exemple… Nous estimons que la portée juridique serait identique si un jour un projet de loi revenant sur l’IVG devait être déféré au conseil constitutionnel. » précise la sénatrice.
La mise en œuvre effective de la liberté garantie de recourir à l’IVG pour toutes les femmes est une question d’ambition politique
« Si la loi passe, il restera pour verrouiller la protection du droit à l’avortement, les conditions de sa mise en oeuvre, la pratique et l’ambition politique. Toute la question est de savoir comment ils et elles vont se mettre au travail, et si ce gouvernement mettra ou non la santé sexuelle et reproductive parmi ses priorités. »
Elle ajoute : « Aujourd’hui il nous faudrait un pilotage, une agence de santé sexuelle et reproductive, comme il existe une agence nationale du cancer qui pilote les recherches et l’accès aux soins». Selon la sénatrice, cette agence de santé concernerait toutes les questions de fertilité et permettrait de mieux évaluer la mise en œuvre effective des politiques de santé sexuelle et reproductive pour tous et toutes.
Génération Écologie se tient résolument du côté des droits des femmes à disposer d’elles-mêmes, et soutient le projet de constitutionnalisation de l’IVG.
Propos de Laurence Rossignol, recueillis par Anaïs Widiez et Cécile Faure pour la commission Écoféministe