01 février 2021
Alerte sur la dégradation de l’état de santé mentale des jeunes
La situation sanitaire du pays, les confinements répétés, les couvre-feux, la distanciation physique, tout ceci pèse sur le moral de toutes et tous et en particulier sur celui des étudiantes et des étudiants qui se retrouvent à l’isolement dans un moment charnière de leur existence. En effet, étudier c’est construire son avenir professionnel mais aussi relationnel. Se projeter dans la vie active est d’autant plus difficile que celui-ci est rendu très incertain tant par la pandémie que par les mesures mises en place pour tenter d’en limiter les effets. Aujourd’hui, nul ne sait quand les enseignements pourront reprendre sur les bancs des universités et la menace de cours uniquement à distance pèse lourd sur l’équilibre psychique des étudiantes et étudiants.
Dès le premier confinement, les alertes se sont multipliées sur une grave dégradation de l’état de santé mentale de la population française et en particulier des plus jeunes. Le deuxième confinement a renforcé leur isolement vis-à-vis de leur famille et de leur cercle amical. La fermeture des universités et donc la suppression totale des cours dans les établissements, ont contribué à cette aggravation. D’autant qu’une partie se retrouve dans une grande précarité économique (revenus à la baisse par la perte des jobs étudiants ou précarité économique des parents, difficultés à payer son alimentation, précarité énergétique…).
La précarité estudiantine n’est pas nouvelle. C’est au terme d’un long processus que cette détresse psychique survient. La pandémie de Covid-19 ne fait que mettre en lumière une vulnérabilité relative au statut social et financier d’une partie de la population estudiantine qui existe depuis longtemps ainsi qu’à son isolement. Cette vulnérabilité est également liée à ce moment particulier que représentent les années d’études qui conjugue à la fois la pression de la réussite, les changements de vie que cela implique, la période affective particulière de ce moment de vie. Le passage de l’adolescence à l’âge adulte participe à fragiliser cette population.
Dans ces conditions et en l’absence de lieux de rencontre, la pression des études et la crainte pour l’avenir entraînent perte de sens, phénomènes dépressifs et risque de décrochages massifs.
Aujourd’hui, le constat est alarmant. Santé Publique France nous alerte : 29% des 18-25 ans sont en dépression et une personne sur cinq a des pensées suicidaires parmi les jeunes. Les drames se succèdent, à l’instar des deux jeunes ayant tenté de mettre fin à leurs jours récemment à Lyon.
Les moyens d’accompagnement mis en place ne sont pas à la hauteur
Au-delà de la détresse étudiante, la capacité d’accompagnement par les professionnels de santé atteint très largement ses limites. L’ampleur de la tâche est immense, et les personnes ressources en sous-nombre et démunies. D’autant que la situation sanitaire s’ajoute à l’éco-anxiété de plus en plus présente chez les jeunes, confrontés de toute part à un avenir inquiétant, « génération no future ». La désillusion et la rupture de confiance avec les générations précédentes en sont deux symptômes manifestes.
En pratique, il n’y a qu’un ou une psychologue pour près de 30 000 étudiantes et étudiants dans les services de santé universitaire alors que l’OMS en préconise un psychologue pour 1 500. La France est ainsi entrée dans la pandémie de Covid-19 avec un malaise déjà installé en raison d’un grand retard dans la prise en charge de la souffrance psychique des populations étudiantes. Plus largement, l’accompagnement psychologique n’est aujourd’hui pas pris en charge financièrement par la sécurité sociale. La plupart des mutuelles renforcent dès lors la pression sur les professionnels de santé universitaires, seuls à même de pouvoir répondre à la détresse des étudiantes et des étudiants.
La fermeture complète des universités doit être questionnée, si on pouvait aisément la comprendre au début de la pandémie, elle n’a pas été réinterrogée alors que les classes préparatoires étant intégrées au fonctionnent des lycées sont restées ouvertes tout comme les établissements qui les accueillent. Bien que la réouverture des universités ne réglerait pas complétement les enjeux énoncés ici, des adaptations pourraient être envisagées.
La santé physique ne peut être dissociée de la santé psychique
Les actions menées par le gouvernement et la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, sont insuffisantes face à l’ampleur de la détresse exprimée.
La détresse psychologique constatée chez les étudiantes et les étudiants pose la question de la place de la santé mentale dans notre conception de la santé publique.
La hiérarchisation culturelle entre santé mentale et physiologique a poussé le Gouvernement vers une gestion de la pandémie uniquement centrée sur les symptômes physiologiques de la Covid-19. En conséquence, les impacts psychologiques sur la population n’ont pas été anticipés et ne sont toujours que très peu appréhendés alors que quelques études commencent à pointer l’impact de la pandémie sur notre santé mentale.
Or, nos capacités de résilience et l’efficacité de nos défenses immunitaires indispensables pour traverser cette crise sanitaire sont intrinsèquement liées à nos ressources morales psychologiques, sociales, émotionnelles et affectives. Nous ne pouvons plus considérer la santé mentale et morale comme une dimension dissociée de la santé physiologique. Notre approche de la santé doit appréhender l’être humain dans sa globalité et dans toutes ses dimensions. La capacité de toutes et tous à traverser cette crise sanitaire en dépend ainsi que notre capacité collective à surmonter cette épreuve. Cette période doit nous amener à inventer l’après Covid-19 dans le domaine de la santé comme dans tous les autres. Cette crise pourrait nous permettre de penser une politique de santé publique qui réconcilie le corps et sa psyché comme deux dimensions intrinsèquement liées.
Tout cela aurait pu être mieux anticipé. L’intégration des professions de santé mentale au sein du conseil scientifique bien qu’insuffisante aurait dû être mise en place. Les alertes ont été lancées très rapidement, y compris par les étudiantes et étudiants, sans que s’esquissent des mesures à la hauteur des enjeux.
Au-delà de la gestion de la pandémie de covid-19, c’est la conception des politiques de santé que nous devons revoir en commençant par reconnaître la psychologie comme essentielle à la santé publique.
L’accompagnement psychologique dans la durée étant inaccessible, le personnel médical et psychiatrique en est réduit à limiter les dégâts par la prescription médicamenteuse, qui ne résout pas les problèmes de fond. Et c’est ainsi que les services d’urgence psychiatriques, parents pauvres de l’hôpital, sont de plus en plus débordés.
Un changement de statut vis-à-vis de la Sécurité Sociale et une revalorisation pour les psychologues est indispensable pour accompagner notre population, et en particulier notre jeunesse.
Les plateformes d’écoute mises en place sont nécessaires mais ne suffiront pas dans un contexte d’isolement et tant elles sont méconnues. Prendre soin de sa santé, et notamment de sa santé mentale, cela s’apprend au quotidien : par une meilleure gestion de l’alimentation, du sommeil, de l’exercice physique régulier, de la gestion du stress.
Pour accompagner les jeunes, la création de conseils de prévention et de résilience dans chaque académie, mobilisant la communauté de l’enseignement supérieur et médico-sociale d’un territoire pourrait être envisagée/proposée. Il s’agirait de faire un bilan global de santé et des conditions de vie de chaque personne qui étudie, en commençant par les plus exposées et les plus vulnérables, afin de les orienter vers les ressources adaptées à leurs besoins. Seraient ainsi mis en place des tutorats, des parrainages, ou encore des cellules d’écoute individuelle et collective.
Il s’agirait de favoriser des solidarités afin que les liens soient renforcés, tant au sein de la communauté étudiante qu’avec le reste de la société mais également entre services publics (services de santé universitaires dépendants des universités, Crous, médecine libérale, ARS etc.). Apprendre aux jeunesses étudiantes et à leurs proches à déceler les signaux annonçant une fragilisation de leur état de santé mentale : les angoisses, les insomnies, l’isolement, le manque d’énergie pour s’habiller, la mal-bouffe etc…
Prévenir en encourageant les pratiques sportives, les stimulations culturelles et artistiques, les nouveaux modes de socialisation et de mises en lien, favoriser les apprentissages, leur permettre des respirations sociales par du bénévolat, leur redonner le sentiment d’utilité, de réussite et de confiance en eux.
Il est de notre responsabilité de faire de cette mobilisation et de ces sujets des priorités pour garantir l’avenir des générations futures. Nous ne pouvons pas accepter le sort d’une « génération sacrifiée”.
C’est la gestion globale de l’épidémie et ses contradictions qui doivent être questionnées
Le travail et la possibilité de consommer sont maintenues mais la culture, les temps sociaux et conviviaux, la présence dans les universités ne sont pas permises. Or, une société se maintient par la vie sociale, les interactions humaines. Travailler et manger ne suffisent pas. L’incertitude sur l’évolution de la pandémie doit nous conduire collectivement à sortir de l’attentisme et à inventer une nouvelle vie sociale, une nouvelle vie culturelle, à rehabiliter l’action collective, etc. Nous devons apprendre à vivre AVEC la pandémie.
Anne-Laure Bedu, Nina Geron, Sophie Haristouy, Stéphane Meriau, Myriam Petit, Gaëlle Rougeron, Christian Senelier, Laura Senelier, Anais Widiez.