Le traité sur la haute mer, amorce d’un processus long et difficile

21 mars 2023

Quelques mois après l’adoption d’un accord lors de la COP15 biodiversité visant à protéger 30% des terres et 30% des mers d’ici à 2030, une coalition de 51 membres de l’ONU a adopté le 4 mars dernier un traité sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer. 

Nicolas Jarry est docteur en ingénierie côtière, océanographie physique et expert en adaptation au changement climatique en milieu littoral. Il a accepté de répondre à nos questions.

Peux-tu nous en dire plus sur le “ Traité de la Haute mer”  qui vient d’être adopté ? 

Nicolas Jarry : Ce traité a vocation à élaborer un instrument international juridiquement contraignant afin de renforcer la gouvernance de la haute mer et d’établir les outils nécessaires à une protection effective de l’océan et à une utilisation durable de ses ressources.

Il ouvre la voie à des avancées essentielles et inédites, comme par exemple :

  • La définition d’un cadre réglementaire et la reconnaissance d’un patrimoine commun de l’humanité ;
  • La création d’aires marines protégées en haute mer ;
  • Des obligations pour les États d’évaluer l’impact environnemental des nouvelles activités qu’ils projettent en haute mer ;
  • Un partage juste et équitable des bénéfices de découvertes faites dans les océans, et qui pourraient être déterminantes pour les sciences, les technologies ou la médecine ;
  • Le renforcement des capacités des États en développement en matière de recherche scientifique et d’aptitude à assurer une bonne gouvernance des aires marines.

La France a joué un rôle actif avec l’Union européenne (UE) tout au long de ce processus de négociations, qui a commencé il y a plus de quinze ans (en 2004), et pour lesquelles Delphine Batho a activement participé lorsqu’elle était alors Ministre de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie. 

Quel est l’enjeu de la protection de la haute mer ? 

Nicolas Jarry : Pour citer l’édito du Monde du 10 mars : « Ce qui n’appartient à personne doit néanmoins faire l’objet de l’attention de tous ». Les océans, en plus de fournir la moitié de l’oxygène que nous respirons, sont l’un des principaux réservoirs de la biodiversité du monde. Ils constituent aussi plus de 90 % de l’espace habitable sur la planète et abritent quelque 250 000 espèces connues ainsi que de nombreuses espèces encore inconnues. Les océans séquestrent 30% des émissions de carbone émises par les activités humaines par des processus physiques et biologiques : ce sont des puits de carbone essentiels à la lutte contre le dérèglement climatique.  

Or, la haute mer, également appelée “eaux internationales”, est située en dehors des zones de souveraineté, c’est-à-dire des eaux territoriales et des zones économiques exclusives des États côtiers (qui s’étendent au maximum jusqu’à 370 km des côtes). Elle ne relevait jusqu’à présent d’aucune juridiction nationale ni de protection spécifique. Elle représente pourtant 60% de la surface des océans et près de la moitié de la surface du globe ! 

La haute mer est d’ailleurs en partie devenue une zone de non droit, livrée au pillage de ressources, aux pollutions généralisées (continents de plastiques notamment) et aux trafics en tout genre. En donnant un cadre légal à la conservation et à l’usage durable de la biodiversité de la haute mer, le traité constitue une avancée majeure pour la protection d’un patrimoine précieux. 

Le texte, juridiquement contraignant, reconnaît que cette étendue gigantesque constitue un enjeu universel, dont il est temps de se préoccuper. Réguler l’activité humaine dans un espace qui est à la fois source de richesses suscitant les convoitises politiques et économiques, et écosystème essentiel à la vie sur Terre est un défi à l’échelle de l’immensité des océans.

Que penses-tu du traité qui vient d’être conclu ? 

Nicolas Jarry : L’une des principales avancées réside dans la possibilité de créer des aires marines protégées au-delà de celles qui existent dans les eaux territoriales. Un ou plusieurs États signataires peuvent en faire la proposition concernant des zones particulièrement sensibles ou vulnérables sur le plan de la biodiversité. 

L’enjeu consistera à parvenir à des majorités suffisamment larges pour que de tels projets soient adoptés et à déployer les moyens nécessaires pour assurer la protection de tels espaces, d’identifier les éventuelles infractions et de les sanctionner.

Cette dimension est particulièrement importante car elle crédibilise l’engagement pris en décembre 2022 lors de la 15ème Conférence des parties (COP) sur la biodiversité de Montréal, visant à protéger 30% des océans d’ici 2030. 

L’autre volet essentiel du texte concerne la mise en œuvre de règles de partage des bénéfices attendus des ressources vivantes présentes dans l’océan, qui sont convoitées par les secteurs pharmaceutiques, chimiques et cosmétiques. Il est notamment prévu de partager avec les pays les moins développés les bénéfices tirés de cette exploitation, tant sur le plan économique que scientifique.

Mais comme pour les COP et les traités onusiens, le texte ne dit pas quels vont être les moyens mis à disposition et les sanctions juridiques pouvant être encourues pour non-respect du traité. 

Justement, quelles limites vois-tu à ce traité  ?

Nicolas Jarry : Si l’adoption de ce traité international sur la haute mer est une étape historique, elle ne doit pas occulter le fait qu’il ne s’agit que de l’amorce d’un processus qui s’annonce long et difficile. Son ambition consiste à préserver la biodiversité, à limiter la dégradation due aux effets du changement climatique et à protéger les océans de la pollution et de la surexploitation. 

Le fait qu’à ce stade le traité ne s’applique ni au secteur militaire, ni à la grande pêche, ni à l’extraction des ressources minérales des fonds marins réduit sensiblement sa portée !

Entretien réalisé par Cécile Faure