Publié par Génération Ecologie

Je suis professeur émérite d’université, donc clairement ça veut dire à la retraite mais qui a encore une activité scientifique. Après une thèse d’état (durée 5 ans), soutenue en 1975, j’ai, dès les années 80, dirigé une équipe de recherche de 20 à 40 personnes selon la période et les années, et ce pendant plus de 30 ans.

J’ai pris ma retraite fin 2012. Au cours de ces 30 ans, j’ai dirigé environ 200 doctorats, réalisé environ 1 000 publications et j’ai été co-auteur de plus de 200 brevets dont la moitié au moins ont été internationaux.

Pourquoi écrire cela ? Pas pour faire de l’autosatisfaction, pas du tout pour me plaindre d’une carrière qui m’a, somme toute, comblé, protégé et permet aussi, à la retraite, de continuer à faire ce qui me plait.

Alors pourquoi ? La raison principale est un témoignage, car 40 ans de recherche avec l’industrie principalement, m’ont permis de mieux appréhender les problèmes qui existent entre la recherche universitaire et le monde industriel et c’est de cela que je veux parler.

Convaincu que ça n’a que peu de chances de faire évoluer les choses, mais si ça pouvait les faire un peu bouger ce « serait déjà ça ».

Il y a un gap, un schisme entre la recherche universitaire et le monde industriel et cela particulièrement en France. Comment expliquer ce phénomène ?

C’est le niveau des valeurs qui est en cause. Dans le monde scientifique, les recherches sont quasiment exclusivement orientées dans des domaines d’excellences définis d’ailleurs par les scientifiques eux-mêmes.

Tout est fait dans un monde fermé qui déclare ce qui est une « bonne » recherche, qui l’évalue dans son sein et qui lui décerne une valeur. Loin de moi de dire que c’est toujours mauvais, car il faut une recherche fondamentale, c’ est ainsi qu’ils l’ont définie eux-mêmes, pour faire des sauts technologiques et non des petites avancées scientifiques, mais il y a une place pour tout et en particulier pour des recherches plus terres à terres mais qui constituent en réalité l’essentiel de l’activité du monde industriel, qui lui, est là pour se préoccuper de la vie courante.

Si je prends l’exemple des matériaux qui sont un centre d’intérêt, la recherche scientifique s’intéressera aux nanomatériaux par exemple, mais négligera les matériaux de construction qui eux intéressent l’industrie.

On peut renouveler cet exemple à l’infini, mais rappelons-nous bien qu’au terme de quantité, d’emplois, etc. …, il y a des facteurs énormes qui ne sont pas contrebalancés par les rapports de prix.

Aussi, faudrait-il réhabiliter la recherche dite applicative, celle qui s’intéresse à ces produits de « deuxième zone », mais nobles, qui valorisent moins (et de beaucoup) les chercheurs qui s’y intéressent car la conséquence économique sera dure en terme de chômage, délocalisation, etc. …

Dernier volet de cette « plaidoirie », pourquoi cela est-il plus sensible en France ?

Tout simplement, parce que la France se veut le pays d’avant-garde dans tous les domaines, le pays de l’élitisme, etc. …

Ce que l’on veut ce sont des prix Nobels, pas des chercheurs à la « petite semaine » qui se contentent d’aider le monde industriel à résoudre leurs problèmes.

J’ajouterai, de plus, que souvent la résolution de ces problèmes demande de faire appel aux plus hautes connaissances scientifiques, mais le simple fait que « ça serve à quelque chose » est déjà suspect.

Voilà, que ça serve de méditation à nos dirigeants pour réfléchir comment évoluer.

Bernard BOUTEVIN

Professeur Emérite

Tribune libre : la recherche en France par Bernard BOUTEVIN
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