Le greenwashing en marche : quand l’ancien monde parle d’écologie

10 mai 2019

Ainsi donc l’écologie serait, le temps de la campagne européenne, désormais au cœur du programme du parti au pouvoir.  L’information méritait qu’on s’y arrête et qu’on prenne le temps d’en étudier le contenu, bien que l’on ait une certaine habitude du verdissement des promesses électorales…

Derrière le vernis des apparences, les propositions du parti majoritaire s’avèrent terriblement révélatrices de l’incapacité des partis traditionnels à penser l’urgence écologique.

Pour En marche, l’écologie est d’abord une affaire d’argent. C’est un festival de 1000 milliards (qui dit mieux ?) pour « faire de l’Europe une puissance verte ». Tous ceux qui, comme nous, considèrent que nous sommes désormais confrontés à une question de survie, à un enjeu de sécurité des populations fondamental face à des périls imminents, n’auraient rien compris. L’écologie est une nouvelle opportunité de puissance économique dans la compétition mondiale. Peu importe si les milliards promis ne connaissent pas le début de la moindre concrétisation et si le gouvernement français n’a mené aucune bataille en Europe à cet égard, l’essentiel c’est de se montrer ambitieux.

Il y a un mot que la République en marche ne prononce pas, c’est évidemment celui d’effondrement. Car il ne saurait être question de prendre au sérieux les données scientifiques qui disent l’obsolescence d’une vision du monde. Ni de rompre avec de prétendus remèdes qui sont en fait la cause du mal. L’écologie n’est ainsi conçue que comme un relais de croissance. Proposition phare : la création d’une « banque du climat », car c’est bien connu, dans nos sociétés, les banques peuvent tout régler ! Outre le débat de fond que soulève cette proposition (voir à ce sujet les réponses de Dominique Bourg aux questions du Pacte Finance-Climat), considérer qu’il faut créer une banque « à part » pour le climat revient à refuser une politique d’écologie intégrale. Celle-ci consisterait, plutôt qu’à créer de nouveaux instruments « à part » et inefficaces, à mettre un coup d’arrêt au financement de la destruction (c’est-à-dire aux aides publiques massives accordées aux énergies fossiles, à l’agriculture chimique etc) et à placer l’écologie aux commandes de toutes les politiques publiques européennes.  Prisonnière culturelle de la civilisation du fric, la République en marche n’est évidemment pas capable d’une telle audace. Manifestement, il est plus facile de promettre la création d’une banque nouvelle que d’exiger de celles qui existent qu’elles respectent le climat, elles qui, en France, ont augmenté de 10 milliards par an leurs financements aux énergies fossiles depuis la signature de l’Accord de Paris…

Continuité pour les choix structurels, écologie à la marge : le même raisonnement vaut pour la politique agricole dont il est question du « verdissement » marginal (il y aura du bio… mais seulement sur les aires de captage d’eau potable), comme s’il était encore possible après le rapport de l’IPBES de soutenir des modes de cultures gavées de pesticides qui détruisent la santé et la biodiversité.

LREM assume une écologie de la « croissance verte », expression qui est à elle seule un oxymore. Prévaut la conception d’une transition paresseuse, qui se résume à une affaire de changement de technologies, et non de changement des modes de vie en rupture avec la société d’hyperconsommation. Et surtout, que l’on se rassure, l’écologie, c’est pour plus tard ! 2025, 2030, 2050,… Bon nombre de mesures évoquées sont reportées dans le temps. Il faut dire que les gouvernements successifs comme l’actuel sont coutumiers de ces objectifs de long terme qui n’engagent à rien. Ainsi, même la fermeture des centrales à charbon promise avant 2022, inscrite dans le programme de ce parti pour les européennes, vient d’être repoussée… à plus tard. Les scientifiques du GIEC indiquent qu’il reste une dizaine d’année pour agir et transformer assez radicalement nos sociétés. Cherchez l’erreur ! Aucune leçon n’est tirée d’une politique qui ne marche pas. Pour preuve : il est proposé d’œuvrer à un accord international sur la biodiversité équivalent à l’Accord de Paris sur le climat, peu importe que ce dernier ne soit pas respecté, y compris par la France.

Pas de cohérence, pas de crédibilité non plus. Il est question de budget 100% compatible avec l’Accord de Paris, quand le gouvernement français diminue les aides aux économies d’énergie ou encore autorise l’importation de gaz de schiste américain. L’écologie c’est pour les programmes électoraux. Dans la « vraie vie », c’est la realpolitik qui inspire les à côtés de chaque déplacement international du Président de la République pour des sommets climat lors desquels « en même temps » il signe des contrats d’Airbus, d’autoroutes, de nouvelles infrastructures polluantes… Dans la « vraie vie », le pouvoir soutient Europacity, le Grand Contournement de Strasbourg, le Center Parc de Roybon, et bien d’autres projets destructeurs, ainsi qu’une grande offensive de démantèlement du droit de l’environnement au mépris des acquis des directives européennes en la matière. Même le CNPN est désormais attaqué dans ses prérogatives. Un mot manque dans le programme de LREM sur l’écologie : c’est le mot « lobby », et pour cause l’ancien monde ne s’est jamais si bien porté !

La France est en situation de faillite écologique. Le pouvoir actuel n’est pas apte au changement de paradigme complet qu’impose l’urgence écologique. S’il l’était, Nicolas Hulot serait encore membre du gouvernement. Le glyphosate aurait été interdit par la loi. Total n’aurait pas été autorisé à importer 300 000 tonnes d’huile de palme au mépris de la déforestation massive. S’il l’était, nous ne serions pas dans l’urgence de faire émerger une nouvelle force politique écologique indépendante et sérieuse, dont les orientations soient fondées sur les travaux scientifiques et la volonté d’apporter une réponse à la jeunesse qui entre en révolte écologique. Au travail donc !

Delphine Batho