Réforme ferroviaire : attention aux mirages de la libéralisation
Par Henri Malosse - 30ème Président du Comité Economique et Social européen (CESE)
Encouragé par le 4ème paquet ferroviaire européen qui prévoit la libéralisation du transport ferroviaire pour passagers à l'horizon 2020, le gouvernement d'Edouard Philippe ne doit pas se tromper d'objectif.
Dans le droit fil de la COP21, cet objectif doit être en priorité de favoriser le rail, non polluant, face aux autres modes de transport qui le sont.
Si certaines dispositions européennes sont de bon sens, telles que celles sur le renforcement des droits des passagers ou de découpler la gestion des infrastructures des services de transport, la privatisation n'est pas la panacée comme le montre le mauvais exemple britannique: manque d'investissements de modernisation, augmentation exagérée des tarifs qui fait préférer la route au train, retards, accidents, détérioration du service et mauvaise rentabilité. L'exemple de la libéralisation du service du fret en France est également catastrophique avec une baisse de 40% du trafic au profit de la route.
Enfin la question du "statut des cheminots" n'est en rien fondamentale car il n'est pas la cause des dysfonctionnements actuels qui résultent de mauvais choix des différents gouvernements de gauche comme de droite qui se sont succédés: centralisme, priorité au tout TGV au détriment des petites lignes et liaisons transversales, manque d'ouverture à l'Europe.
Si on cherche un bon exemple en Europe, on devrait plutôt le trouver en Suisse avec le maintien des petites lignes et des petites gares et un haut niveau d'investissement avec la réalisation du plus long tunnel ferroviaire au monde, le Gothard Base Tunnel (GBT) de 57 km de long qui va réduire considérablement le trafic routier des poids lourds et diminuer d'autant les émissions de CO2.
Une vraie réforme s'impose certes dans le ferroviaire, mais elle devrait, à partir des éléments de bon sens de la directive européenne (sur les droits des consommateurs et une ouverture à la concurrence, mais avec un renforcement des obligations de service public), privilégier les liaisons transrégionales, transeuropéennes et ne pas négliger le rural pour lequel le rail est un outil fondamental. Je préconiserais donc d'abord de jouer la carte des régions, qui d'ailleurs contribuent déjà très largement au fonctionnement de la SNCF, avec des appels à concurrence pour les services sur les petites lignes comme l'Allemagne le fait déjà avec succès.
Certaines pourraient même rouvrir comme la liaison Bastia-Porto-Vecchio proposée par la Collectivité unique de Corse. Par ailleurs, ainsi délestée, la SNCF pourrait se spécialiser sur les TGV et les grandes liaisons transrégionales, tandis que de nouveaux consortia se constitueraient sur de nouvelles liaisons rapides européennes.
Il faut en finir avec le réseau en étoile desservant en priorité la capitale et que ce gouvernement joue résolument la carte des régions et de l'Europe. Cette ambition demande certes un haut niveau d'investissement, mais est surtout un pari pour l'avenir durable de la planète, un pari cohérent avec la COP21.